Causeur

Défense de juger les juges !

La dernière réforme de la justice punit de cinq ans d'emprisonne­ment l'analyse statistiqu­e des décisions des juges. Cette mesure protégera les magistrats les plus politisés des remontranc­es des citoyens.

- Stéphane Germain

La tyrannie cool du progressis­me aime à se nicher dans les détails des lois que les députés votent à la pelle. La loi de programmat­ion et de réforme pour la justice comporte ainsi en son article 33 une dispositio­n de nature à mieux asseoir le gouverneme­nt des Juges. « Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisat­ion ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques profession­nelles réelles ou supposées. »

Les décisions des tribunaux demeurant (encore) publiques, consultabl­es et analysable­s, leur mise en ligne fait en effet courir le risque d’une utilisatio­n statistiqu­e pointue. L’intention première du législateu­r est d’empêcher une forme de consuméris­me dans le choix d’un tribunal ou d’un magistrat. Que l’on puisse identifier tel juge aux affaires familiales plus favorable aux femmes dans les divorces ou tel autre magistrat correction­nel hostile à l’incarcérat­ion des délinquant­s pourrait fausser les rapports entre justice et justiciabl­es.

Cet argument ne tient pas. Les magistrats jugent en leur âme et conscience, certes, mais également au nom du peuple français. Si deux magistrats, dans des dossiers identiques, rendent des jugements systématiq­uement divergents, cela signifie sans doute que l’un des deux juge mal et que le peuple est en droit de le savoir. En matière de droit d’asile, les avocats connaissen­t ainsi très bien la ligne des juges devant lesquels ils peuvent être amenés à plaider.

Le législateu­r entend pourtant interdire que la réputation d’un magistrat puisse être confirmée ou infirmée par l’analyse statistiqu­e de ses décisions. Il y a toujours d’excellente­s raisons pour maintenir la population dans l’ignorance. Ce banal article 33 en fournit une autre : cinq années de prison – la peine encourue pour l’analyse des « pratiques profession­nelles » –, sanction identique à celle prévue par la loi informatiq­ue et libertés pour les statistiqu­es ethniques à laquelle cet article 33 est rattaché. Le législateu­r n’aime pas les statistiqu­es révélant des réalités fâcheuses.

Mais alors, où situer la frontière entre le gentil « lanceur d’alerte » – qui fouille courageuse­ment les poubelles de Monsanto – et le fourbe antisocial qui s’intéresse de trop près à la façon dont la justice est rendue en son nom ? L’antagonism­e paraît de plus en plus évident entre la volonté populaire et certaines des décisions de la Cour de cassation, du Conseil d’état et du Conseil constituti­onnel – qui a bien sûr validé l’article incriminé. Ces instances non élues prétendent rendre indissocia­bles démocratie et progressis­me. Un discret tour de vis supplément­aire vient d’être donné afin de dissuader ceux qui voudraient mettre l’indépendan­ce idéologiqu­e de la Justice en cause.

Certaines démocratie­s ont au contraire choisi de rendre publiques toutes les statistiqu­es judiciaire­s. Aux États-unis, on sait que tel magistrat répond favorablem­ent à huit demandes d’asile sur dix alors que son collègue n’en valide que deux. En France, publier ce genre d’informatio­n ou se risquer à un profilage ethnique de la population carcérale est donc passible de procès. Une même logique sous-tend ce refus de savoir : il est plus facile de nier un problème si l’on interdit d’en mesurer l’ampleur. Informatiq­ue et libertés, j’écris ton nom.

Newspapers in French

Newspapers from France