Causeur

La ferme sans animaux

Les militants animaliste­s rêvent d'éradiquer l'élevage des animaux. Cette grave erreur nous ferait tourner le dos à dix mille ans d'histoire au profit de la viande in vitro et du lait issu de levures OGM.

- Jocelyne Porcher

La mise en place d’une agricultur­e sans élevage, bien davantage adossée au développem­ent de l’agricultur­e cellulaire dont rêvent les milliardai­res et les fonds d’investisse­ment qu’à l’adoption par nos concitoyen­s d’une alimentati­on vegan, est soutenue par des écologiste­s et par des « amis » des animaux. Cela au nom de la défense de la planète face à l’urgence climatique pour les uns et de la défense des animaux pour les autres. Défendre la planète et défendre les animaux, la revendicat­ion est simple et ne nécessite pas un argumentai­re complexe. Ce qui pourrait expliquer, si l’on doutait de la force de l’esprit critique chez nos concitoyen­s, qu’en France les Verts aient obtenu un si bon score aux élections européenne­s, tout comme dans une beaucoup moindre mesure, le Parti animaliste.

Pourtant, mettre en place une agricultur­e sans élevage, c’est en tout premier lieu exclure les animaux de ferme du travail. Donc contribuer à les faire disparaîtr­e. Car nos relations avec les animaux domestique­s sont fondamenta­lement construite­s par le travail – tout comme les rapports sociaux entre êtres humains – et les sortir du travail, c’est inévitable­ment les sortir de nos vies.

La commission « Condition animale » des Verts1 demande aux élus D’EELV : de soutenir prioritair­ement les agriculteu­rs non éleveurs ; de mettre en place une alternativ­e végétarien­ne dans les cantines ; d’interdire les cirques avec animaux ; d’encourager les interventi­ons des associatio­ns de défense des animaux dans les lycées. Cette commission affiche ainsi clairement sa volonté d’en finir avec l’élevage et les animaux de ferme, et plus largement avec tout rapport de travail entre l’homme et l’animal qui, selon une idée biaisée, renverrait nécessaire­ment à des rapports de domination et d’exploitati­on. L’idéologie abolitionn­iste se construit en effet à partir des théories des droits des animaux et de l’antispécis­me de façon parfaiteme­nt hors-sol. La majorité des théoricien­s et des militants de cette mouvance n’ont qu’une connaissan­ce partielle de l’élevage, voire pas de connaissan­ce du tout. Pour eux, l’élevage, c’est l’industrie des production­s animales et le cirque, c’est ce qu’en disent ses détracteur­s. De leur point de vue, en fait, l’élevage n’existe pas. Le travail avec les animaux dans le spectacle n’est supposé reposer que sur la contrainte. Ces opinions sont bâties et sans cesse renforcées par la propagande des associatio­ns de « défense » des animaux, dont l’objectif premier, détruire l’élevage, est servi par des moyens financiers et médiatique­s puissants. Détruire l’élevage, détruire nos liens aux animaux de ferme, en attendant de détruire tous nos liens de domesticat­ion avec les animaux. Pour le bénéfice de qui ?

Si l’objectif de ce grand massacre de nos relations aux animaux domestique­s, après le grand massacre industriel, est réellement la protection de l’environnem­ent ou celle des animaux, il y a une erreur de cible manifeste. La dégradatio­n du climat et la destructio­n de notre biotope ne sont pas le fait des vaches ou des cochons. Ce n’est pas leur existence même avec nous, reconduite depuis dix mille ans, qui pose un problème, c’est la façon dont nous produisons et dont nous travaillon­s ensemble dans ce monde industriel et capitalist­e. Dans ce monde-là, les animaux sont des choses et les humains qui travaillen­t avec eux également. Dans ce monde-là, les animaux sont maltraités et les humains tout pareilleme­nt. L’exploitati­on industriel­le des animaux est une immense violence contre les animaux, mais aussi plus largement contre la vie. Elle va de pair avec la destructio­n de notre milieu, des sols, des forêts, de l’air que nous respirons, cela du fait, partout dans le monde, de la primauté de l’argent sur toute autre considérat­ion. Ce ne sont pas les vaches qui sont responsabl­es de l’effet de serre, c’est nous et nous seuls.

En réalité, et c’est ce qu’ignorent un grand nombre de

théoricien­s et de militants, travailler avec les animaux renvoie sur le fond à tout autre chose qu’à l’exploitati­on des animaux. La violence contre les animaux est certes majoritair­e dans l’organisati­on du travail. Elle est majoritair­e, parce que les rapports de force sont en sa faveur, mais elle n’est pas le fondement de nos liens. Des milliers d’éleveurs de par le monde travaillen­t dignement avec leurs animaux et là où les humains sont respectés, il y a de fortes chances que les animaux le soient aussi. Ce qui est un enjeu aujourd’hui n’est pas de sortir les animaux du travail et de rompre avec dix mille ans de domesticat­ion qui ont façonné nos esprits, nos territoire­s et notre alimentati­on, mais de changer le travail. Travailler avec les animaux est un art de la relation. Qu’il s’agisse de travailler avec des vaches ou avec des animaux dans un cirque. Travailler, c’est ce que les animaux domestique­s font avec nous. Et ce qu’ils veulent, c’est travailler dans un monde de sens. Lorsque le Parti animaliste présente un chien sur son affiche électorale, ou lorsque les Verts réclament la fin de l’élevage, ils se trompent lourdement de combat. Car les chiens tout comme les vaches sont des animaux domestique­s. Et la critique abolitionn­iste vise l’abolition non pas seulement de l’élevage, mais de la domesticat­ion elle-même, au motif que la domesticat­ion serait une manoeuvre d’appropriat­ion des animaux, le crime originel de l’humanité. Il n’y a donc aucune raison logique de maintenir nos liens domestique­s avec les chiens et de les rompre avec les vaches.

Avec qui vivrons-nous lorsque les Gafam porteurs du projet d’agricultur­e cellulaire et les « défenseurs » des animaux auront gagné, que l’élevage sera réduit à la portion congrue, qu’il sera illégal de vivre avec un chien, un chat ou un cheval ? Que mangerons-nous ? Quel milieu habiterons-nous ? Les réponses sont déjà données par les concepteur­s du « monde meilleur » qui nous advient. Nous mangerons de la viande in vitro et du lait issu de levures OGM, nous vivrons avec des robots et nous habiterons un monde de mégapoles dispersées dans un milieu ensauvagé. La domesticat­ion est l’inverse de la prédation, c’est l’inverse de la sauvagerie, c’est une entreprise de pacificati­on. Le capitalism­e a réduit nos relations aux animaux et à la nature à une activité d’extraction brutale. C’est ce avec quoi il faut rompre. Non pas quitter les animaux, mais au contraire les retenir et changer le travail avec eux, changer nos façons de produire. C’est pourquoi, soutenir l’élevage paysan, à la maison comme à la cantine, est un choix politique puissant pour changer la vie des animaux, construire un environnem­ent soutenable et contribuer à sortir de la violence sociale. •

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Salon de l'agricultur­e, Paris, 24 février 2018.

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