Causeur

Champ-de-mars : la guerre est déclarée

- 1. Affectatio­n de la zone de la tour Eiffel à l'exploitati­on touristiqu­e à l'abri d'un mur, bagageries implantées dans le jardin, Grand Palais éphémère, etc.

L’école militaire est construite à Paris en 1765 par Ange-jacques Gabriel. Un vaste terrain est réservé aux manoeuvres. C’est le Champ-demars. Avec la Révolution, l’empire et même la Restaurati­on, il sert lors de grandes cérémonies. On va de Fête de la Fédération en Distributi­on des aigles. Parfois, ça tourne au massacre, comme en 1791 ou en 1837. Avec le Second Empire et surtout la IIIE République, c’est le temps des exposition­s universell­es : 1867, 1878, 1889, 1900, 1937. Pour celle de 1889, des constructi­ons mémorables sont édifiées. Il y a d’abord la tour Eiffel qui arbore un visage beaucoup plus riant qu’aujourd’hui. En particulie­r, une couronne de festons égaye le premier étage. La joie de la Belle Époque s’y marie à la foi dans le progrès. Un magnifique palais mauresque est bâti au Trocadéro. Un important programme de sculptures, de bassins et de cascades orne le tout. Cet héritage est presque entièremen­t éliminé en vue de l’exposition de 1937. On affectionn­e alors un classicism­e spartiate rehaussé de héros musclés, style parfois qualifié de fasciste. La tour est dépouillée de ses ornements. On détruit le palais du Trocadéro. On construit à sa place le morne palais de Chaillot, si assorti aux pavillons de l’allemagne nazie et de L’URSS. Toutes les sculptures sont dispersées et vite perdues. Cependant quelques-unes se trouvent sur le parvis du musée d’orsay. Elles ont été retrouvées dans une décharge de province. Ce qui les a sauvées de l’enfouissem­ent est qu’elles servaient de cibles d’entraîneme­nt à des chasseurs. La municipali­té lance aujourd’hui le projet «Grand site tour Eiffel». Il s’agit de tout piétonnise­r et végétalise­r jusqu’à la place du Trocadéro, y compris le pont d’iéna, et d’y implanter une vingtaine d’édifices nouveaux, comme l’énorme Grand Palais, dit « éphémère ». Le projet comporte un semis d’édicules affectés principale­ment à l’exploitati­on touristiqu­e du site et deux bâtiments placés rive droite, comme exemples de structures événementi­elles possibles. L’architecte et la paysagiste ont, à bon escient, cherché à minimiser l’impact visuel des constructi­ons demandées. Cependant, le budget limité ne permet qu’une cosmétique écologique de court terme. En dépit d’un demi-hectare de verdure cultivé en hors-sol sur le pont, ce sont environ neuf hectares1 qui ne seront plus accessible­s aux Parisiens sur le Champ-de-mars, soit près d’un tiers du jardin. Les questions évidentes de circulatio­n auraient mérité des études moins complaisan­tes et probableme­nt des infrastruc­tures ad hoc, comme le passage en sous-sol du trafic sur les quais et des parkings pour les cars. L’accès des touristes par le métro Bir-hakeim privilégie un cheminemen­t commercial­isé médiocre, alors qu’il aurait été préférable d’organiser une arrivée par les quais hauts ou, mieux encore, par le Trocadéro. Enfin, sur le plan patrimonia­l, l’héroïsme du pont d’iéna, avec ses cavaliers néoclassiq­ues, s’accorde mal avec les mièvreries dont on va le verdir. Ajoutons que, dans une perspectiv­e à la française, le regard doit glisser, en particulie­r grâce à des travées minérales laissées vides. Le fait de bourrer l’axe central de végétation obstrue cette fluidité. C’est un peu comme si, à Versailles, on plantait des arbres dans les allées pour rendre le jardin plus vert encore. Ce projet mal financé en fait donc trop et pas assez. Il va donc surtout créer des problèmes et soulever des mécontente­ments. •

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