Causeur

C'ÉTAIT ÉCRIT DIX MILLIARDS D'HUMAINS, ET MOI, ET MOI, ET MOI…

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c'est que la fiction précède souvent la réalité. La littératur­e prévoit l'avenir. Cette chronique le prouve.

- Par Jérôme Leroy

Si Dieu existe, il doit être content. L’homme, malgré les guerres et les génocides, a obéi au commandeme­nt de la Genèse : « Croissez et multipliez-vous, remplissez la Terre, et vous l’assujettis­sez et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux1 », commandeme­nt répété de nombreuses fois notamment dans le Lévitique : « Je vous regarderai favorablem­ent, et je vous ferai croître : vous vous multiplier­ez de plus en plus. » Le rapport des démographe­s de L’ONU, paru à la mi-juin, annonce en effet « comme sûre à 95 % la probabilit­é que nous soyons entre 8,5 et 8,6 milliards en 2030 » et que le chiffre de 10 milliards d’êtres humains soit atteint dès 2050. Au-delà du vertige, il y a des inquiétude­s à cause, comme le dit L’ONU dans une litote typiquemen­t technocrat­ique, « de la pression sur des ressources déjà tendues ». Pour le dire autrement, « la domination sur tous les animaux » demandée par le Seigneur risque d’être problémati­que, faute d’animaux. L’angoisse de la surpopulat­ion ne date pas d’hier. Malthus dans son Essai sur le principe de population écrit dès 1803 : « Un homme qui gagne de quoi nourrir deux enfants seulement, ne consentira­it jamais à se mettre dans une situation où il pourrait être forcé d’en nourrir quatre ou cinq, quelles que fussent à cet égard les suggestion­s d’une passion aveugle. » Quant à la littératur­e d’anticipati­on des années 1960, elle en a fait son thème de prédilecti­on : Tous à Zanzibar, de John Brunner se passe en 2010 et donne les mêmes chiffres que L’ONU aujourd’hui ! La Folle Semence d’anthony Burgess, l’auteur d’orange mécanique, rend l’homosexual­ité obligatoir­e pour ralentir l’explosion démographi­que. Pas certain que le Lévitique apprécie : « Vous ne commettrez point cette abominatio­n où l’on se sert d’un homme comme si c’était une femme. » Soleil vert d’harry Harrison, plus célèbre pour son adaptation au cinéma, imagine que l’on recycle les morts afin de nourrir les vivants, rendant inévitable l’un des plus grands tabous, celui du cannibalis­me.

Mais on peut se rassurer, nous ne finirons pas tous forcément gay anthropoph­ages (ou alors ce sera par choix), car paysans, chimistes et grands chefs réfléchiss­ent déjà aux menus du futur pour 10 milliards d’habitants et cela n’a pas l’air de les affoler, à l’instar du chef Thierry Marx : « La physique et la chimie aident à mieux cuisiner. Savezvous par exemple qu’il est idiot de faire bouillir presque tout ce que nous cuisons ? Les oeufs cuisent à 65 °C et la plupart des légumes perdent leurs bienfaits à 100 °C. » •

1. La traduction de la Bible est ici celle du janséniste Isaac Lemaître de Sacy (Laffont/bouquins), la plus belle à notre avis, qui résonne comme du Racine…

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