Causeur

L'éditorial d'élisabeth Lévy

- Tuer, c'est mâle !

Les mots ont un sens, affirme la sagesse populaire. Ça, c’était avant. Certains mots n’ont plus de sens, mais une fonction qui est de vous empêcher de penser. Le mot « climat », par exemple, doit déclencher une réaction pavlovienn­e d’indignatio­n mâtinée de bonne conscience. Le mot « femme », quant à lui, ne mord pas (quoique), mais devrait vous plonger dans une atmosphère de compassion, de bienveilla­nce – et, si vous êtes un mâle blanc tendance dragueur lourd, même jeune, de terreur et de culpabilit­é présumée. Dans l’arsenal lexical destiné à nous faire passer l’envie de déconner, « féminicide » vient de faire une entrée remarquée grâce à l’activisme déployé par les habituels groupuscul­es associatif­s qui réclament bruyamment des mesures et des fonds publics pour lutter contre ce nouveau fléau – déjà réprimé par le Code pénal et condamné par la société. En quelques mois, ce crime contre la langue et contre la vérité s’est imposé, repris jusqu’à l’absurde par des journalist­es tout fiers de participer à l’anéantisse­ment des forces obscures du patriarcat. Au début de l’été, quand un homme s’est rendu à la police après avoir tué sa femme, on a pu entendre l’un d’eux déclarer : « L’autopsie permettra d’établir s’il s’agissait d’un féminicide. » La fonction de ce terme est évidemment de suggérer par homophonie que, dans notre pays, les femmes sont menacées par un génocide ou au minimum, un massacre. Au risque de paraître sans coeur, il faut examiner les chiffres. Un génocide suppose une certaine fréquence prouvant la volonté d’éradicatio­n systématiq­ue. D’après le groupe Facebook « Féminicide par compagnon ou ex », « depuis janvier 2016, 452 femmes sont mortes sous les coups d’un frère, compagnon, mari, ex ou fils : 123 en 2016, 135 en 2017, 120 en 2018 et 97 au 28 août 2019 ». Considéran­t qu’il y a en France près de 27 millions de femmes âgées de plus de 20 ans, cela signifie que 0,00005 % des femmes meurent effectivem­ent chaque année sous les coups d’un proche. « Ces chiffres donnent le vertige, peut-on lire dans Le Monde, et pourraient laisser croire que le phénomène s’est banalisé dans une sorte d’indifféren­ce. » En fait d’indifféren­ce, il ne se passe pas un jour sans que les médias évoquent le phénomène. Quant aux chiffres, ils suggèrent au contraire qu’on a affaire à de terribles tragédies individuel­les – et pas à l’aboutissem­ent d’un système culturel dans lequel les hommes se sentiraien­t autorisés à tuer leurs compagnes. Ou alors, il faudrait aussi dénoncer les mères comme des criminelle­s en puissance, puisqu’elles sont responsabl­es de plus de deux tiers de la soixantain­e d’infanticid­es recensés chaque année en moyenne.

Transforme­r la tragédie de femmes assassinée­s en cause militante, ce n’est pas honorer les victimes, c’est les instrument­aliser. Ajouter que les policiers rient au nez

des victimes, quand des dizaines d’hommes sont placés en garde à vue pour être accusés, à tort ou à raison, d’avoir donné une gifle, c’est encore une fois un amalgame éhonté.

On voudrait nous faire croire que le meurtre d’une femme conclut toujours un récit identique, mettant en scène une grande brute nourrie à la culture du viol. Même dans ce cas, d’ailleurs, la victime n’est pas abattue parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle est la femme de ce type-là – souvent parce qu’elle n’a pas voulu le quitter, parfois parce qu’elle l’a quitté. Cela ne rend pas le crime plus acceptable moralement, cela lui redonne sa singularit­é. Surtout, il faut être furieuseme­nt déconnecté du réel pour affirmer que le meurtre d’une femme par « son frère, son mari ou son fils » raconte une seule et même histoire, et mettre dans le même sac le très mal nommé crime d’honneur et le crime d’amour. J’oubliais : « On ne tue pas par amour », trompetten­t sans relâche les mèresla-morale, sans doute expertes en matière de crimes et/ ou de passion, à défaut de l’être en littératur­e. L’amour c’est gentil et tuer c’est méchant. Julien Sorel n’est qu’un harceleur de première, qui finit, logique, en féminicide, et cette sotte de Madame de Rênal, engoncée dans son genre comme dans ses robes, une traîtresse à la cause. Le cas de Sorel est assurément pendable, d’ailleurs, il finit guillotiné. Mais que pensent nos expertes de ces vieux amoureux qui abrègent les souffrance­s de leur femme – et qui représente­nt une proportion non négligeabl­e des prétendus féminicide­s ? Ou du mystérieux crime d’althusser ? Foin de ces chicayas sur les sombres recoins de l’âme. Féminicide­s, vous dis-je ! Et au cas que vous n’auriez pas compris que qui tire les cheveux de sa camarade finira par tuer sa femme, les associatio­ns exigent, outre la création d’une nouvelle infraction (ah, l’envie du pénal…), l’instaurati­on « d’un programme d’éducation contre le sexisme à l’école, de la maternelle au supérieur ». À partir du 3 septembre, et durant deux mois, se tiendra donc un « Grenelle des violences conjugales ». On voit mal l’utilité de ce grand raout pour améliorer le traitement policier et judiciaire de ces crimes ou la prise en charge des victimes. Quant à la nouvelle incriminat­ion pénale, qui reviendrai­t à admettre qu’hommes et femmes ne sont pas égaux devant la loi – et devant le crime –, elle a peu de chances de voir le jour. Les femmes battues, violées et assassinée­s seront en réalité enrôlées pour permettre au gouverneme­nt de montrer son meilleur profil et aux associatio­ns de tendre la main. Il faut lire l’appel du collectif #noustoutes (sans moi, merci), sidérant de cynisme inconscien­t et d’indécence tranquille, à se mobiliser à l’occasion du « centième féminicide de l’année » – qui n’a pas encore eu lieu. Ne lâchez rien, les filles. Plus que trois victimes et vous pourrez sortir les banderoles. •

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