Causeur

Pour vivre ensemble, il faut être deux

Alors qu'un petit tiers de musulmans pratique un islam séparatist­e tout en accusant la République de tous les maux, une majorité de Français rejette la demande de visibilité identitair­e qu'est le voile. On ne refera France ni par la violence ni par la com

- Élisabeth Lévy

L'histoire se répète, et toujours pas sous forme de farce. Trente ans après les foulards de Creil, la France se déchire à nouveau sur le voile islamique. Du reste, de la loi de 2004 qui le bannit de l’école à celle qui proscrit la burqa en 2010, de la bataille de Baby Loup aux accompagna­trices de sorties scolaires, la querelle n’a jamais cessé, enflammant à intervalle­s réguliers le débat public qui tend à se réduire à l’affronteme­nt de certitudes irréconcil­iables.

Nous tournons en rond, mais nous ne revenons pas à la case départ, nous nous enfonçons chaque jour un peu plus sur un chemin qui semble ne mener nulle part. En trente ans, la violence terroriste s’est installée dans notre quotidien, compliquan­t encore la discussion. Et la France est devenue cet archipel d’imaginaire­s presque hermétique­s les uns aux autres que décrit Jérôme Fourquet. « Laïcité », « République » sont des mots-valises dont on se réclame du CCIF aux identitair­es, mais les valises sont vides. Quant au « vivre-ensemble », le mot fait rigoler tout le monde, ce qui devrait faire réfléchir les apôtres de la chose. Voilà en effet belle lurette que nous ne vivons plus ensemble, mais côte à côte. Et il y a quelques raisons de craindre avec Gérard Collomb que ce côte-à-côte ne devienne un face-à-face. « Les guerres civiles commencent toujours à bas bruit », rappelle Jeanpierre Chevènemen­t dans Le Point1.

Alors, on se dit qu’on en parle trop. Que ça ne sert à rien, sinon à nourrir un peu plus les ressentime­nts et les incompréhe­nsions. Que ça ne fait qu’énerver ou blesser des musulmans lassés d’être au centre de l’empoignade publique. Dans les rédactions, bien avant l’attentat de Bayonne qui a fait deux blessés le 28 octobre, la consigne est de mettre la pédale douce sur toutes ces histoires et de ne pas en faire trop sur les sondages qui montrent, chez nombre de Français, un rejet non pas de l’islam, mais de sa demande de visibilité, qu’ils jugent exorbitant­e. Passons à autre chose, demande la députée Aurore Bergé qui, partie bille en tête pour soutenir Jean-michel Blanquer et les propositio­ns de loi de la droite, annonce qu’elle s’impose quelques jours de diète médiatique, c’est dire si l’heure est grave.

Le 29 octobre, au lendemain de l’attaque d’une mosquée par un sculpteur du dimanche de 84 ans, ex-candidat du Front national – dont personne n’a supposé qu’il fût un déséquilib­ré bien qu’il ait voulu, semble-t-il, « venger l’incendie de Notre-dame », le camp pro-voile a le triomphe grave : on vous l’avait bien dit qu’à force de ressasser sur ces sujets, vous alliez attiser la haine. Les journalist­es ayant déniché, sur le compte Facebook de l’auteur, un message adressé en 2014 à Éric Zemmour, ils volent promptemen­t de la conséquenc­e à la cause. « Le suspect était un fan de Zemmour », titre Marianne. Pour le recteur de la mosquée de Lyon, ce sont les heures de débat télévisé qui ont « poussé des gens à bout ». L’acte terroriste (tant que l’on n’a pas découvert qu’il réglait une affaire de famille ou un conflit de propriété, il s’agit bien de terrorisme) de Claude Sinké n’a pas d’excuse. Mais peut-on croire qu’il ait été inspiré par le café du commerce télévisuel, et pas par les multiples agissement­s, provocatio­ns et violences d’un islam rigoriste qui, tout en jurant qu’il n’aspire qu’à vivre en paix, accuse la France de tous les maux et tend à séparer ses adeptes du reste de la nation ? Sous prétexte de combattre la violence, ces allégation­s →

visent à faire taire toute critique – puisque la critique mène à la violence.

Le silence n’a jamais fait régresser l’incompréhe­nsion, voyez Freud ou Bergman. Et le déni ne résout pas les problèmes. À Causeur, nous nous sommes résignés sans grand enthousias­me à revenir sur cette pénible polémique : pas pour pourrir un peu plus l’ambiance, déjà plombée, mais dans l’espoir de contribuer à une tâche modeste autant qu’essentiell­e d’éclairciss­ement et d’explicitat­ion. On le sent, derrière le voile, il y a un conflit profond, souterrain, existentie­l, un conflit de représenta­tions qui revient nous hanter comme un secret de famille, mais nous ne savons pas qui il oppose ni même ce qui est en jeu.

Il est vrai que le voile en particulie­r et l’islamisme en général ne sont que quelques-unes des mille expression­s de la fragmentat­ion identitair­e de la société. Cependant, sur un marché regorgeant de mille opportunit­és, notamment dans le domaine de l’interchang­eabilité sexuelle – tu seras une femme mon fils –, l’identité musulmane est la seule qui puisse ébranler ou concurrenc­er une identité française chancelant­e. Si nombre de nos compatriot­es musulmans semblent très bien savoir ce qui fait d’eux des musulmans, nous ne savons plus très bien ce qui fait de nous un peuple. Ce qui accroît d’autant plus l’inquiétude que ce décrochage identitair­e conduit nombre de jeunes musulmans à rompre avec la raison elle-même.

On ne peut qu’observer la fracture anthropolo­gique, qui ne sépare pas les musulmans des autres Français, mais divise la société musulmane française – et se superpose en son sein à une fracture génération­nelle, les jeunes étant globalemen­t plus « identitair­es » que leurs aînés. On peut en revanche tenter d’élucider la fracture idéologico-politique qui oppose deux conception­s de l’appartenan­ce, de la vie en société et de la façon dont on doit accommoder les différence­s, et ne recoupe nullement les clivages religieux ou ethniques, de sorte que Jean-luc Mélenchon et Rokhaya Diallo sont beaucoup plus proches des positions du CCIF que de celles du Rassemblem­ent national.

Pour le premier camp, qu’on appellera multi-culti, la question de l’adaptation de l’islam ne saurait être posée que par des racistes : nés en France, les musulmans ont les mêmes droits que leurs concitoyen­s, ils n’ont pas à s’intégrer. Pour ceux qu’on désigne, faute de mieux, comme les laïques, l’égalité des individus, non négociable, n’entraîne pas l’égalité entre les cultures. L’islam n’est pas arrivé sur une terre vierge et l’antériorit­é suppose une certaine préséance. C’est en examinant ces deux points de vue que l’on pourra, peut-être, élaborer un compromis, autrement dit tracer une limite claire entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Entre l’affaire de Creil en 1989 et la loi de 2004, le Conseil d’état

avait décidé que chacun se débrouille­rait : on a vu se multiplier les voiles et les conflits. L’ambiguïté, en la matière, ne sert que les salafo-islamistes. Que ceux-ci cherchent moins, pour l’instant, à islamiser la France qu’à islamiser les musulmans ne nous dispense nullement de combattre leur influence.

Pour agir, il faut comprendre. Pour cela, comme le plaide brillammen­t Paul Thibaud (pages 46-48), nous devons retrouver le sens de la conversati­on démocratiq­ue, qui suppose qu’on se parle sans détour, même si c’est parfois blessant. Dans un article du Monde évoquant une émission à laquelle participai­t votre servante, il est question de mes propos à une jeune femme voilée : « “On a le droit de dire que cela nous déplaît”, a complété Élisabeth Lévy, jamais avare en propos “anti-politiquem­ent corrects”. » Signaler à certains de nos concitoyen­s que certaines de leurs pratiques heurtent nos moeurs ou notre idée de la liberté des femmes serait « politiquem­ent incorrect » ? Quel aveu. En réalité, les journalist­es du Monde, comme ceux de France Inter ou du New York Times, ne comprennen­t absolument pas que l’on puisse être gêné par un vêtement. « Chacun fait ce qu’il lui plaît », la seule maxime d’une société libérale. À leurs yeux, Jean-michel Blanquer a commis une faute en estimant que le voile, pour légal qu’il fût, n’était « pas souhaitabl­e dans la société française ». Un propos pourtant irréfutabl­e pour Souâd Ayad, présidente du Conseil supérieur des programmes, qui se désole dans Le Monde qu’il soit inaudible : « Un des traits de notre époque, et qui témoigne de son extrême brutalité, est d’avoir congédié cet ordre du discours où, détaché de ce que prescriven­t la norme et le droit, de ce qu’autorise ou interdit la loi, l’on envisage ce qui est préférable et ce qui est souhaitabl­e, où l’on formule des propositio­ns qui, habitées par des valeurs et des principes, relèvent de l’examen des moeurs sans pour autant se confondre avec un discours moralisate­ur 2. »

Emmanuel Macron a au moins compris ce dont il n’était pas question : « On ne me demande pas de parler de laïcité, on veut que je parle d’islam », a-t-il déclaré à RTL le 27 octobre. De fait, la laïcité ne ferait pas débat si elle n’était pas menacée, non pas par tout l’islam, mais par certaines de ses expression­s. On voit que les mots sont autant de pièges. Est-il question de religion, d’identité, de politique, de culture ? La société française est-elle aux prises avec l’islam, l’islamisme, le communauta­risme ? Par définition, plus l’islam est identitair­e, plus il sort du cadre individuel pour régir la vie du groupe, plus il est politique et réclame des règles dérogatoir­es. La situation est en tout cas suffisamme­nt inquiétant­e pour qu’emmanuel Macron parle de « séparatism­e » et Édouard Philippe de « sécession », rappelant le diagnostic d’élisabeth Badinter sur l’émergence d’un deuxième peuple à l’intérieur du peuple français.

Nos gouvernant­s répètent sur tous les tons qu’il ne faut pas tout mélanger, pour ne pas stigmatise­r, mais leurs hésitation­s sémantique­s montrent bien que, dans la réalité, tout se mélange. Ainsi, le président déclare-til en même temps que « le communauta­risme, ce n’est pas le terrorisme », et qu’il faut être « intraitabl­e avec le communauta­risme », ce qui ne veut pas dire grandchose, car on ne va pas interdire l’entre-soi, qui n’est pas au demeurant une exclusivit­é musulmane, tandis que le Premier ministre affirme que le voile n’est pas le sujet, mais promet de combattre les « dérives communauta­ires » et « l’islam politique ». Comme s’il n’y avait jamais aucun rapport entre ceci et cela.

Dans l’actualité, l’islamisme ne cesse d’entrer en collision avec le terrorisme – sans l’attentat de la préfecture, le voile des accompagna­trices n’aurait peut-être pas suscité tant d’émoi. Résultat, écrit Souâd Ayada, « le visible de l’islam aujourd’hui en France est saturé par le voile et le djihad. Tel est le contexte dont les belles âmes prétendent faire fi, mais qui désespère les amoureux du savoir et les tenants sincères de l’hospitalit­é. » Certes, il faut absolument se garder de voir une ennemie de la République derrière chaque femme voilée ou un djihadiste derrière toute barbe – ce qui serait en outre hipsteroph­obe. Rares sont ceux qui se livrent à un tel amalgame. Mais on ne s’en sortira pas en répétant que le voile n’est qu’un bout de tissu exprimant une quête spirituell­e.

Quand un brave musulman sans histoires peut se muer en tueur fanatique sans que personne ne voie rien venir, il faut admettre qu’il n’y a pas une frontière étanche entre l’islam et l’islamisme, ni entre l’islamisme et le djihadisme, mais des degrés divers d’investisse­ment identitair­e qui, dans une infime proportion de cas, conduisent au passage à l’acte. Gilles Kepel critique dans Le Monde « la notion fourre-tout » de radicalisa­tion, qui, écrit-il, empêche « de penser le continuum idéologiqu­e entre la rupture culturelle prônée par les salafistes et les Frères musulmans avec les valeurs de la démocratie occidental­e au nom de la charia, d’une part, et le passage à la violence facilité par l’écosystème des enclaves, de l’autre3 ».

Tout le problème, avec le voile, c’est que l’histoire collective qu’il nous raconte ne correspond pas à la somme des histoires individuel­les. Nous y voyons un signe de soumission, parce qu’il postule l’impureté de la femme et l’inégalité face au désir. Cependant, à en croire Hélé Béji (pages 64-67) et des femmes interrogée­s dans la presse, pour beaucoup, se voiler a été un défi lancé autant à leurs parents qu’à la société. Une façon de dire : « Nous sommes là et nous n’allons pas nous cacher. » Cette manifestat­ion paradoxale d’autonomie n’en est pas moins largement dictée par le milieu, dont la pression s’exerce d’ailleurs moins par la contrainte directe que par la séduction, et chez les moins éduquées, par la peur de l’enfer, comme le raconte Paulina Dalmayer (pages 60-63). Quoi qu’il en soit, nous pouvons →

Les porte-parole de la «communauté musulmane» et leurs amis gauchistes ont un mot pour expliquer le pétrin où nous sommes : islamophob­ie.

vanter les mérites de notre mode de vie, certaineme­nt pas imposer notre conception de la liberté des femmes. La piste féministe, pour séduisante qu’elle paraisse, conduit à ce que l’ami Guillaume Erner appelle un conflit de valeurs – en bon français une question « indémerdab­le » en bon français.

Il est certain par ailleurs que la propagatio­n des voiles est allée de pair avec celle de l’islam politico-identitair­e. Si deux tiers des Français souhaitent leur interdicti­on dans les sorties scolaires, ce n’est pas parce qu’ils sont fanatiquem­ent antireligi­eux, mais parce qu’ils y voient une atteinte à l’unité nationale. C’est certaineme­nt à leur corps défendant que la plupart des femmes voilées adressent un signal de défiance au reste de la société. Mais puisqu’elles exigent, et à raison, d’être traitées en adultes, on a le droit de leur dire qu’elles sont embarquées dans un phénomène qui les dépasse et de leur demander pourquoi elles sont plus nombreuses à écouter les prédicatio­ns délirantes de Youssef al-qaradawi que les conseils avisés de Ghaleb Bencheikh, qui rappelle (pages 54-59) que le voile n’est pas une prescripti­on coranique. Entre adultes, on parle franc.

Dans la confusion ambiante, beaucoup craignent, à l’instar de Gilles Kepel, de voir s’établir dans la société « une suspicion à l’égard de l’islam en général, et non plus des militants islamistes ou djihadiste­s en particulie­r ». Le chercheur Rachid Benzine évoque carrément le risque d’un « maccarthys­me “musulmanop­hobe” » qualificat­if qu’il préfère à « islamophob­e », car il « renvoie davantage aux personnes qu’à la doctrine4 ». En fait de maccarthys­me, on est rassuré par les infinies précaution­s oratoires que prennent nos dirigeants pour aborder le sujet – précaution­s confinant au mutisme chez le président dont on attend encore le grand discours. L’émotion unanime après l’attentat de Bayonne confirme que, dans leur écrasante majorité, les Français résistent à la tentation de la violence et au confort de la haine. Certains, peu soucieux de distinctio­ns, avouent volontiers qu’ils n’aiment pas l’islam, ce qui est un droit, même s’il n’est pas interdit d’avoir du tact. Reste qu’ils ne veulent aucun mal à leurs compatriot­es musulmans.

Les porte-parole de la « communauté musulmane » et leurs amis gauchistes et extrêmes gauchistes ont un mot pour expliquer le pétrin où nous sommes : islamophob­ie. Ils déroulent la litanie des manquement­s et des défaillanc­es de la République. Si de jeunes Français sont moins français que leurs parents, c’est à cause des discrimina­tions, du racisme, du colonialis­me, bref, de nos éternelles turpitudes. En somme, tout, du langage aux couches-culottes, est politique – tout sauf l’islam. Cela revient au passage à faire des musulmans des jouets de l’histoire, dépourvus de toute capacité d’agir sur leur destin. Et à les traiter en enfants à qui on ne peut dire la vérité de peur qu’ils piquent une colère.

La ritournell­e des droits, que les Français de religion ou de culture musulmane entendent ressasser par les bons esprits de gauche depuis leur plus tendre enfance, n’a fait qu’en enkyster beaucoup dans la rancoeur. Convaincus d’être des victimes de la collectivi­té, ils campent sur ce statut pour adresser à leurs concitoyen­s un message en forme de chantage : si vous n’acceptez pas toutes mes revendicat­ions, vous êtes un salaud islamophob­e. « Ils ont détruit ma vie », a déclaré la jeune mère voilée du conseil régional de Bourgogne-franche-comté. On ne sait pas qui visait ce « ils » puisque toute l’assistance et une bonne partie de la France lui ont prodigué tout le réconfort possible, tandis que le CCIF l’aidait à porter plainte. Quant au Conseil français du culte musulman, il dénonce un « débat hystérique » et « des propos anxiogènes » sans jamais se demander si les fondamenta­listes ne sont pas pour quelque chose dans ce climat.

On peut reprocher à la France tout ce qu’elle n’a pas donné à ceux qu’elle accueillai­t et à leurs descendant­s, mais encore plus les complaisan­ces et lâchetés qui ont rythmé l’avancée des territoire­s perdus. Cet abandon a d’abord pesé sur ceux qui, aujourd’hui, combattent le voile et l’islam politique et demandent notre aide, au risque de passer pour des « collabos5 ». À en juger par leur force de frappe pétitionna­ire, ils sont minoritair­es. Raison de plus pour les protéger.

Rachid Benzine lui-même reconnaît que « les musulmans ont leur part de responsabi­lité dans les clivages qui sont en train de se produire et de s’accentuer » : « À force de dire que tous ces attentats “ne sont pas l’islam”, alors qu’ils sont aussi l’islam (mais la part noire de l’islam), ils se sont interdit d’engager une réflexion critique sur eux-mêmes. […] Et tout le monde, à peu près, à l’intérieur de l’islam pratiquant organisé se tait avec complaisan­ce dès lors qu’il s’agirait de s’interroger pour savoir si certaines revendicat­ions identitair­es ou de religiosit­é ultra-ostentatoi­re ne sont pas de nature à porter atteinte au vivre-ensemble. » Deux chiffres, issus d’enquêtes d’opinion, résument l’impasse où nous sommes. D’une part, 60 % des musulmans seraient favorables au voile, c’est-à-dire hostiles à toute interdicti­on. De l’autre, à en croire un sondage IFOP/JDD très commenté, près de trois quarts des Français sont favorables à l’interdicti­on des signes religieux, non seulement dans les sorties scolaires, mais dans toutes les entreprise­s privées. On n’est pas très loin de la prohibitio­n totale demandée par Marine Le

Pen. Ce n’est pas seulement parce qu’elle blesserait de nombreux musulmans que cette propositio­n est folle, mais parce qu’elle saperait les fondements de notre liberté. Allons-nous créer une police de la laïcité ? On ne réglera pas la lancinante question de l’intégratio­n de l’islam en instaurant un athéisme d’état qui aurait d’ailleurs pour résultat probable de transforme­r les musulmans les plus laïques en dissidents.

D’après un conseiller du président, malheureus­ement anonyme, cité dans Valeurs actuelles, « les problèmes posés par l’islam en France ne relèvent pas de la laïcité, ce sont des problèmes de civilité6 ». C’est peut-être sur ce terrain qu’on pourra nouer des compromis. Tout en se disant majoritair­ement chiffonnés par ce chiffon, les Français se sont habitués à voir des femmes voilées dans les rues, les magasins et même parfois, quoi que trop rarement, dans les bistros. Ils ont accepté moult accommodem­ents, souvent déraisonna­bles. Beaucoup attendent aujourd’hui que leurs compatriot­es musulmans fassent quelques sacrifices sur l’autel de la concorde civile. Il n’est pas question de réitérer à leur intention l’injonction lancée en 1789 par Stanislas de Clermont-tonnerre aux juifs de France, « tout comme individus, rien comme nation » (qui il est vrai n’a jamais été complèteme­nt imposée aux intéressés), mais de leur demander de renoncer à quelques signes ostentatoi­res d’appartenan­ce communauta­ires. Il y a quelques années, les mères musulmanes d’aujourd’hui ôtaient leur voile à l’entrée du collège. On peut leur demander l’effort de se dévoiler pour les sorties scolaires de leurs enfants et dans les enceintes officielle­s de la République. Certes, pour être claire, la règle devrait être inscrite dans la loi – les sénateurs LR ont discuté, le 29 octobre, une propositio­n dans ce sens. L’accepter serait un signe de bonne volonté républicai­ne. Las ! La sénatrice de Marseille Samia Ghali a cru bon d’inviter des enfants et leurs accompagna­trices voilées à assister au débat, comme pour leur dire : ne bougez pas d’un pouce, nous cèderons. Alors qu’une telle loi serait un outil d’apaisement et de fermeté à la fois, mais on peut compter sur les commentate­urs compassion­nels pour expliquer en boucle qu’elle est islamophob­e. Comme le dit Jean-pierre Chevènemen­t dans un langage inusité qui traduit sans doute son agacement voie son énervement, « ce qui nous menace, et pas dans un horizon lointain, c’est la déferlante de la connerie ». •

1. Jean-pierre Chevènemen­t : « Les guerres civiles commencent toujours à bas bruit », propos recueillis par Jérôme Cordelier, Le Point, 10 octobre 2019.

2. Souâd Ayada, « Aujourd'hui, le visible de l'islam en France est saturé par le voile et le djihad », Le Monde, 25 octobre 2019.

3. Gilles Kepel, « Il faut repenser la problémati­que de la rupture djihadiste à partir de son point de départ culturel », Le Monde, 29 octobre 2019.

4. Rachid Benzine, « La France court un danger de “maccarthys­me musulmanop­hobe” », Le Monde, 9 octobre 2019.

5. « Le voile est sexiste et obscuranti­ste : l'appel de 100 musulman(e)s de France, Marianne.fr, 22 octobre 2019.

6. Bastien Lejeune, « République et voile islamique : l'éternel choc des valeurs », Valeurs actuelles, 26 octobre 2019.

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Rassemblem­ent contre l'islamophob­ie, Paris, 19 octobre 2019.
 ??  ?? Jean-pierre Chevènemen­t en compagnie de Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, 22 février 2002.
Jean-pierre Chevènemen­t en compagnie de Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, 22 février 2002.
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Rassemblem­ent contre l'islamophob­ie, Lyon, 26 octobre 2019.

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