Causeur

Ghaleb Bencheikh « Il faut en finir avec les balivernes débitées par des imams incultes »

Le président de la Fondation de l'islam de France, Ghaleb Bencheikh, condamne le port du voile. Adepte d'une lecture moderniste du Coran, cet adversaire du salafo-wahhabisme appelle à une mobilisati­on générale contre l'obscuranti­sme.

- Propos recueillis par Daoud Boughezala et Élisabeth Lévy

Causeur. Vous considérez le voile comme une « atteinte à la dignité humaine dans sa composante féminine » et, trente ans après l'affaire de Creil, vous estimez que « la République a manqué d’autorité ».

Reconnaiss­ez-vous également une responsabi­lité aux musulmans français ?

Ghaleb Bencheikh. J’ai toujours parlé d’un double manquement. Les hiérarques musulmans n’ont pas su ou voulu trancher et dire « stop ». À supposer qu’il faille s’enchaîner à la référence scripturai­re dans sa littéralit­é – chose qu’il ne faut surtout pas faire –, on constate que les injonction­s coraniques quant à l’acquisitio­n du savoir sont beaucoup plus impérieuse­s et nombreuses que les passages sur le voile, d’ailleurs moins clairs et explicites qu’on ne le fait savoir. D’un point de vue islamique, il vaut mieux que les fillettes aillent s’instruire et acquérir le savoir plutôt que de les emmitoufle­r. D’un autre côté, la République a sa part de responsabi­lité. En 1989, le ministre de l’éducation nationale s’est défaussé sur le Conseil d’état. Et ce dernier a tergiversé, en faisant du droit là où il fallait faire de la politique.

La République doit-elle sortir de l'ambiguïté et légiférer afin d'interdire le port du voile chez les accompagna­trices scolaires ?

Il revient d’abord aux imams, théologien­s et oulémas de régler le problème canoniquem­ent. Malheureus­ement, ils tardent à le faire. Il reste au politique à prendre ses responsabi­lités pour faire évoluer le droit. Mais humilier une femme devant son fils, comme l’a fait un élu RN au conseil régional de Bourgogne-franche-comté, n’est surtout pas la bonne façon de faire. Dans l’état actuel du droit, elle pouvait être présente.

Contrairem­ent à ce qui se dit, il ne l'a pas insultée, mais passons. Il y a trente ans, vous pensiez que le port du voile islamique appartenai­t au passé…

Oui, entre 1923 et 1979, la question avait été définitive­ment réglée par des fatwas et par le cours naturel des choses. Dans le sillage des travaux de Qasim Amin et Mansour Fahmy, des femmes musulmanes avaient participé, en 1923, au Congrès féministe de Rome. De retour à Port-saïd, la fille de Muhammad Sultan Pacha, Huda Sharawi, avait enlevé son voile en descendant du train à la gare centrale du Caire. Son geste théâtral et historique a été imité par les filles qui l’accompagna­ient puis, en l’espace de trois ans, le voile a disparu du Caire et d’un peu partout. Cela a été corroboré sur le plan théologiqu­e et entériné sur le plan canonique par l’oeuvre de Tahar Haddad, Notre femme dans la charia et la société. De Dakar à Djakarta, cela a donné des intellectu­elles →

Né en 1960, Ghaleb Bencheikh est islamologu­e. Il préside la Fondation de l'islam de France depuis décembre 2018. Dernier livre publié : Le Coran expliqué (Eyrolles, 2018).

et artistes d’intelligen­ce et de talent, sans voile, comme Kartini, Céza Nabaraoui, Manoubia Ouertani, Doria Shafik ou Oum Kalthoum. Même à Kaboul, les filles portaient simplement des robes ! Dans les jamborees du scoutisme islamique, les garçons étaient en bermuda et les filles en jupe. Dans les instituts Ben Badis en Algérie, les classes étaient mixtes et les institutri­ces n’étaient pas voilées. Aucune lycéenne ni étudiante n’allait en cours voilée dans les sociétés musulmanes jusqu’aux années 1980, pas même les filles des recteurs successifs des université­s Al-azhar et Zitouna.

Pourquoi situez-vous le moment de rupture en 1979 ?

Dans le monde musulman, l’année 1979 a marqué une surenchère née de la conjonctio­n de deux mouvements : la révolution khomeynist­e et la réaction wahhabite, qui n’entendait pas lui laisser le monopole du rigorisme. Ce double jeu explique le voilement des filles dans les années 1980, et a fortiori durant la décennie noire en Algérie.

Donnez-vous donc raison à ceux qui perçoivent dans le voile un signe identitair­e et politique au-delà du symbole religieux ?

J’identifie trois éléments qui peuvent se combiner. Tout d’abord, l’offensive fondamenta­liste d’inspiratio­n wahhabo-salafiste, bien réelle, a culpabilis­é des conscience­s apeurées de jeunes femmes en leur disant : « Dieu te punira si un garçon fantasme sur tes cheveux et tu périras par le feu de l’enfer. » Ensuite, certaines musulmanes pensent que leur spirituali­té est nécessaire­ment médiatisée par un tissu. Enfin, l’activisme islamiste fait du voile un marqueur politico-identitair­e. En réalité, il s’agit d’un rapport problémati­que avec le corps féminin et de relations hommes-femmes polluées par une pudibonder­ie affectée inédite dans l’histoire de la civilisati­on islamique. À Médine, même si les islamistes ne veulent pas l’admettre, les primo-musulmans, hommes et femmes, faisaient leurs ablutions simultaném­ent, dans un même bassin, sans voile qui tienne. Cela fait mauvais effet de le rappeler aujourd’hui, mais le deuxième calife Omar a même battu une femme de basse extraction, parce qu’elle avait osé se voiler. Il lui a dit : « Ce n’est pas pour toi, c’est pour les femmes de haut rang. » Sous Tamerlan, dans les jardins de Samarkand, Tachkent ou bien avant à Cordoue et à Séville, des salons littéraire­s étaient tenus par des femmes écrivant de la poésie sur leurs bras, qu’elles exhibaient. Pendant des siècles, la femme indienne musulmane portait le sari et la musulmane subsaharie­nne le boubou. Il faut en finir avec cette fixation maladive.

Justement, pourquoi cette fixation sur le corps des femmes ?

Après un apogée civilisati­onnel, où les relations hommes-femmes étaient harmonieus­es, fondées sur l’art de la conversati­on, l’enchanteme­nt et l’élégance, le raffinemen­t et l’hédonisme, le monde musulman

a régressé dans tous les domaines. D’abord au niveau de la science et de la réflexion. Cela a aggravé la crispation, la décadence, le repli sur soi et la « colonisabi­lité ». Ensuite, il n’y a pas eu de « moment Freud » dans les contextes islamiques. Alors que la révolution freudienne bousculait la chrétienté occidental­e, le monde musulman a surinvesti dans le corps féminin des notions comme l’honneur et la pudeur. Depuis lors, cela confine à l’obsession. Enfin, la solution passe par la réappropri­ation du patrimoine civilisati­onnel.

Hélas, les choses ne semblent pas s'améliorer : toutes les enquêtes d'opinion confirment le repli communauta­ire d'une frange de musulmans français. D'après L'IFOP, 27 % d'entre eux estiment que « la charia devrait prévaloir sur les lois de la République » et 59 % désapprouv­ent la loi contre la burqa. Cela révèle-t-il d'une salafisati­on des esprits ?

Admettons ces chiffres… Une partie des Français musulmans aborde les questions identitair­es uniquement d’un point de vue religieux, dans une version islamiste. Mais qu’entend-on par charia ? Cette notion est revenue dans une acception drastique à la fin du xixe siècle, puis dans le discours des Frères musulmans à partir de 1928. Or, même si elle tire sa source de quelques passages coraniques, la charia est une constructi­on humaine. La meilleure preuve, c’est qu’il y a quatre écoles juridiques dans le sunnisme, pourquoi pas trois ou cinq ? Le nombre quatre n’est pas garanti par le divin ! Ce sont des avis d’hommes qu’on sacralise. Que pourrait dire la charia sur internet, le génie génétique, l’intelligen­ce artificiel­le, le transhuman­isme ? Rien. Évidemment, la charia régit le statut personnel, les relations à autrui dans une vision archaïque, en confinant la femme dans un statut infrahumai­n…

Certes, mais cette enquête et toutes les autres révèlent une forme de sécession culturelle concernant peu ou prou 30 % de la population musulmane – et près de 50 % dans la jeunesse. Votre expérience sensible confirme-t-elle ces données ? Est-ce un phénomène profond ou une forme de mode ?

En effet, quand je me déplace sur le terrain, je constate des accoutreme­nts improbable­s, des comporteme­nts inacceptab­les, des discours insupporta­bles et peut-être même une volonté de ne plus se mêler avec le reste de la société. Bien que cela reste minoritair­e, c’est grave et dangereux. Nous devons faire en sorte que les idées génératric­es de ce séparatism­e soient pourfendue­s. C’est une des missions de la Fondation de l’islam de France (FIF) : son université populaire itinérante va de ville en ville pour porter le débat et extirper des esprits les idées radicales salafistes. Dans ce domaine, nous payons la pusillanim­ité et le clientélis­me des politiques qui ont investi des milliards dans la politique de la ville avec les « grands frères » pour en arriver là.

Pourquoi réussiriez-vous là où le Conseil français du culte musulman (CFCM) échoue depuis seize ans ?

Pour échouer, il faut d’abord avoir agi. Rien n’a été entrepris, ni là ni ailleurs. Si nous sommes arrivés à des Kouachi et des Coulibaly, c’est en partie à cause de cette incurie et de cette incompéten­ce. Je ne pense pas que l’intérêt général ait jamais été au coeur des préoccupat­ions des institutio­ns cultuelles islamiques, hélas. Quant à moi, je fais mienne la maxime – peut-être apocryphe – de Guillaume d’orange : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprend­re ni de réussir pour persévérer. »

Le président de la région Hauts-defrance, Xavier Bertrand, a dernièreme­nt souhaité que « tout passe désormais par la Fondation de l’islam de France », quitte à débrancher le CFCM. Saisissez-vous la perche qu'il vous tend ?

Bien entendu, et j’apprécie ce soutien. Il est vrai que nous nous démenons pour un enjeu de civilisati­on et pour une cause nationale : la constructi­on de l’islam de France, et donc d’abord l’endiguemen­t de la déferlante salafiste, par l’éducation, la culture, la prise en charge sociale de la jeunesse et les débats citoyens, qui sont au coeur de nos actions. Pour autant, nos moyens sont epsilonesq­ues au regard des défis de cohésion sociale et de paix civile.

Parlant budget, certains, comme Mohamed Sifaoui, vous accusent de solliciter des financemen­ts du Qatar et de l'arabie saoudite.

C’est un mensonge éhonté qui relève de la diffamatio­n. Nous n’avons jamais demandé le moindre sou ni au Qatar ni à l’arabie saoudite, ni non plus à la Ligue islamique mondiale. D’ailleurs, cet individu manque singulière­ment de cohérence. Il se fait le chantre de la lutte contre l’islamisme tout en soutenant des actions de concert avec l’un des vice-présidents du CFCM, qui a attaqué Charlie Hebdo dans l’affaire des caricature­s et qui a été à l’origine d’un communiqué de presse du CFCM affirmant, sans aucune légitimité théologiqu­e, que le voile est « une prescripti­on religieuse ».

Oui, il y avait aussi Dalil Boubakeur, encouragé par Chirac. Puisque vous évoquez la Ligue islamique mondiale, les dirigeants du CFCM vous reprochent d'avoir noué un partenaria­t avec cette organisati­on affiliée au wahhabisme saoudien. Que leur répondez-vous ?

Il est curieux de voir ceux qui recevaient en grande pompe le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale hier s’offusquer de sa présence à Paris aujourd’hui. J’ai en effet orchestré la signature d’un mémorandum consacrant la liberté de conscience et de religion avec ce nouveau secrétaire général, Mohammed Al-issa. Il tient un discours en rupture radicale avec ses prédécesse­urs. Il reconnaît explicitem­ent que la Ligue s’est fourvoyée sur le →

wahhabisme et que cette doctrine a engendré un monstre idéologiqu­e et religieux. Il est décidé à changer de cap. Il a participé à une conférence internatio­nale à Paris entouré de croyants, d’athées, d’agnostique­s, de francs-maçons et même d’une femme imam. La prise de parole d’une bahaïe en a été l’un des temps forts [les bahaïs sont la bête noire des musulmans, parce qu’ils reconnaiss­ent un prophète après le prophète de l’islam, ndlr]. Le message d’al-issa ? Il s’oppose à l’importatio­n des fatwas et prône le respect de la Constituti­on, de l’égalité hommesfemm­es et des normes culturelle­s du pays. Il a même ajouté : « Nous avons pâti de l’antisémiti­sme, du révisionni­sme, des thèses conspirati­onnistes et j’irai à Auschwitz le clamer. Je ferai en sorte d’expurger les manuels scolaires édités sous l’égide de la Ligue de toute trace de haine. » Après ces déclaratio­ns, Al-issa commence à être menacé de mort sur les réseaux sociaux… Cette conférence internatio­nale répond donc à la mission de la FIF : contrecarr­er le salafisme. Et quoi de plus efficace que de fissurer la forteresse de l’intérieur ? Il faut agir, on ne peut pas se contenter de discours imprécatoi­res.

Ce qui veut dire que le changement peut se faire par le haut ?

Par le haut et par le bas. Il faut secouer la maison, à la manière d’un Gorbatchev avec la glasnost et la perestroïk­a.

Ces secousses ébranlent-elles le monde universita­ire musulman ?

Des autorités académique­s du monde sunnite évoluent dans le bon sens. L’université Al-azhar et son recteur tiennent des discours qui nous intéressen­t. Au Maghreb, malgré le conservati­sme de la société et ses inerties, l’université bouge aussi. Les femmes iraniennes ne font pas qu’entrer dans les stades, elles sont plus nombreuses que les hommes à l’université. Le monde musulman est un énorme paquebot qui doit changer de cap, ce qui requiert des manoeuvres, du temps et de l’espace.

La France aussi essaie de faire rebrousser chemin à ses brebis égarées par le djihadisme en s'attaquant à la radicalisa­tion. Comment définissez-vous ce terme ?

Alors que l’identité est multiple (je peux être joueur de foot, syndicalis­te, ingénieur, Breton et musulman), la radicalisa­tion ramène l’ensemble de l’identité à la question religieuse. Les radicalisé­s cèdent aux sirènes des doctrinair­es sermonnair­es qui leur disent : « Ta vie est ratée ici-bas. Soit tu t’insurges, selon les préceptes que je te dicterai, soit tu continues à subir. »

Que peut faire la Fondation ?

D’abord, je répondrais à l’angoisse des mères qui me disent « Aidez-nous ! Nos enfants sont des proies faciles pour des imams autoprocla­més », en scolarisan­t leurs enfants dans des internats d’excellence. Pour cela, j’aimerais que la FIF puisse, en lien avec les pouvoirs publics, ouvrir un internat-sanctuaire par région a minima. Tout cela a un prix très élevé, mais c’est le meilleur investisse­ment sur l’avenir. Nous avons également un campus numérique, Lumières d’islam, au sein duquel nous allons intégrer une FAQ pour déconstrui­re tous les lieux communs importés en France par le wahhabosal­afisme. Dans un autre genre, nous avons le projet de faire jouer, notamment par des musiciens profession­nels, des élèves du Conservato­ire national de musique ainsi que des écoliers et élèves de REP+, L’enlèvement au sérail, composé par Mozart, traduit en langue arabe. La culture, l’éducation élèvent : elles contribuen­t à combler les failles identitair­es. Le jour où le collégien musulman saura que le théorème de Pythagore a été étendu au triangle non rectangle grâce au mathématic­ien Al-kachi en jouant sur le cosinus, il pourra se dire : « Je fais partie de la nation française et mes ancêtres ont contribué au corpus du savoir universel. » Cela renforce l’estime de soi.

« À Strasbourg, on ne forme pas les imams alors que c'est l'islam qui pose le plus de problèmes »

Pourquoi traduire des oeuvres en arabe quand les musulmans français maîtrisent le français mieux que la langue de leurs ancêtres ? Et, alors qu'ils souffrent d'un excès d'identité, ne faut-il pas plutôt les introduire à la culture française que les assigner à leur origine ?

Tout simplement parce que l’arabe est une langue diplomatiq­ue. Elle est l’une des langues de travail à L’ONU. C’est une langue lyrique, poétique, suggestive et belle. Elle fut et est une langue du savoir, du cérémonial des cours, et pas seulement une langue religieuse. En outre, ce programme concernera beaucoup d’élèves qui ne sont pas musulmans ! La langue arabe n’est pas communauta­ire, contrairem­ent à ce qu’a affirmé une députée écervelée.

Sous le quinquenna­t Hollande, un chantier stratégiqu­e, la formation des imams, a été largement confié aux pays étrangers comme le Maroc.

Nous n’avons pas besoin de sous-traiter la formation des imams ni d’en « importer ». Je ne suis pas pour que le concordat perdure, mais dès lors qu’il existe, profitons-en ! Il faut que les imams français puissent être formés dans les trois départemen­ts concordata­ires d’alsace-moselle, même transitoir­ement ; ils pourront ensuite essaimer sur le territoire national.

De plus, Strasbourg possède une grande tradition théologiqu­e.

Exactement. À Strasbourg, on forme les curés, les pasteurs et les rabbins et on ne forme pas les imams, alors que c’est l’islam qui pose le plus de problèmes. On ne peut pas dire que la laïcité est une exception en France, que le concordat est une exception dans l’exception et que l’islam est

une exception dans l’exception dans l’exception... En outre, un travail de refondatio­n de la pensée théologiqu­e doit être mené dans quatre chantiers titanesque­s : ne pas criminalis­er l’apostasie, asseoir les connaissan­ces scientifiq­ues par rapport aux croyances religieuse­s, défendre l’égalité ontologiqu­e et juridique entre les êtres humains, désacralis­er la violence.

Et d'un point de vue universita­ire, la France a-t-elle une connaissan­ce scientifiq­ue de l'islam ?

Sans être envieux, je confesse être jaloux de l’université allemande, notamment l’université de Berlin, qui poursuit l’extraordin­aire programme « Corpus Coranicum ». Le Coran y est étudié d’un point de vue scientifiq­ue, par des chercheurs aussi bien musulmans que non musulmans. La Fondation donne des bourses à des étudiants en islamologi­e, parce qu’il faut arrêter avec les balivernes débitées par des imams incultes ou par des éditoriali­stes qui n’y comprennen­t rien. Au vu des enjeux nationaux, il faut que l’islam puisse être compris sous les angles religieux et culturel, pas seulement sous l’angle géopolitiq­ue.

Comme nous l'écrivions en 2015, la France peut être une chance pour l'islam en devenant le lieu de la sécularisa­tion. Y croyez-vous ?

Je le crois viscéralem­ent. La sécularisa­tion commence à faire son effet. J’entends des imams sérieux dire que les musulmans ne doivent pas être dans l’ostentatio­n. Ce sont des mots qu’on n’entendait pas il y a cinq ans. C’est un enfantemen­t dans la douleur, mais je reste optimiste : nous gagnerons la bataille des idées dans quelques années. Il ne faut ni fléchir, ni faiblir, ni faillir. Certains principes sont non négociable­s, comme le respect de l’intégrité physique et morale de la personne humaine, la liberté de conscience, l’égalité hommes-femmes ou la désintrica­tion de la politique d’avec la religion.

D'aucuns sont plus pessimiste­s. Sans parler de Zemmour, des gens comme Chevènemen­t sentent monter un risque de guerre civile. Partagez-vous cette crainte ?

Pour l’instant, la digue n’a pas (encore) cédé dans notre pays, mais nous risquons d’y aller à petits pas. Un extrémisme alimentant un autre, s’il y a une étincelle de trop, la conflagrat­ion peut avoir lieu. Notre nation est en devenir et elle aura un avenir. À nous de faire en sorte qu’il soit radieux en sachant raison garder. Pour paraphrase­r Antonio Gramsci, je dirais que lorsque le passé se meurt, le futur n’est pas encore advenu et c’est dans le clair-obscur que peuvent surgir les monstres. Or, comme le disait Goya, c’est le sommeil de la raison qui engendre des monstres. Alors laissons place à davantage de raison et d’intelligen­ce. •

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Ghaleb Bencheikh, islamologu­e et président de la Fondation de l'islam de France.
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La philosophe Doria Shafik, figure emblématiq­ue du mouvement égyptien de libération des femmes dans les années 1940.
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Mohammed Al-issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, aux côtés de Patrick Chauvet, recteur-archiprêtr­e de la cathédrale Notre-dame de Paris, 17 novembre 2017.

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