Causeur

Libres enfants de Mahomet

La pédagogie alternativ­e connaît un succès étonnant dans l'enseigneme­nt islamique. Cet engouement pour les écoles Montessori musulmanes n'a pas grand-chose à voir avec la quête de l'épanouisse­ment des enfants. Enquête.

- Erwan Seznec

Vingt-cinq jours : c’est le temps qu’aura tenu l’école maternelle et primaire des Ateliers Montessori ouverte à la rentrée 2014 à La Chapelle-saint-mesmin (Loiret), non loin d’orléans. De l’inspection académique à la préfecture, elle avait pourtant obtenu au printemps précédent tous les feux verts administra­tifs nécessaire­s. Les porteurs du projet avaient juste oublié de préciser dans leur dossier qu’il s’agissait d’une école musulmane, avec cours de coran, cours d’arabe et repas hallal. « Le maire de La Chapellesa­int-mesmin a appris en lisant le journal qu’il s’agissait d’une école musulmane », raconte un élu de la communauté de communes. « Il est PS, il n’était pas forcément contre sur le principe, mais cette manière d’avancer masqué l’a horripilé et il leur a fait la totale sur le plan des inspection­s de sécurité », précise une élue d’une commune voisine. L’éphémère directeur de l’école de Saint-mesmin, Shourane Mejjiou, n’a pas complèteme­nt jeté l’éponge. Il a créé un site de vente en ligne, Montessori-store.fr, qui propose le matériel pédagogiqu­e allant avec la méthode du même nom.

Mise au point par la médecin italienne Maria Montessori (1870-1952), cette méthode accorde une très large place à l’autodiscip­line et au libre choix des enfants.

Ils sont censés choisir des activités, souvent fondées sur des exercices manuels, organiser eux-mêmes leur emploi du temps et se former, dans un cadre souple, sans évaluation et sans notes. Longtemps considérée­s comme excentriqu­es, les écoles Montessori ont le vent en poupe en France. Leur nombre exact est impossible à déterminer, car il n’y a pas de label officiel Montessori. Affiliée à un réseau internatio­nal, l’associatio­n Montessori de France délivre un agrément, mais il n’est pas obligatoir­e pour s’autoprocla­mer « Montessori ». Elle reconnaît une centaine d’établissem­ents aujourd’hui, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Au total, selon une étude récente1, quelque 400 écoles pourraient se dire Montessori aujourd’hui.

À rebours de l’image convenue – ultra bobo, catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s, milieu artistique, etc. –, un certain nombre de ces établissem­ents sont des écoles privées musulmanes hors contrat qui ciblent des familles de la classe moyenne. À Champigny-sur-marne, une maternelle Montessori, L’olivier des enfants, a ouvert en 2015. Il y a également une maternelle Montessori musulmane « Avempace » à Toulouse. À Nanterre, l’institut Ibn Badis revendique aussi la méthode, à parts égales avec les pédagogies Freinet et Steiner-waldorf (deux autres courants éducatifs alternatif­s). Idem pour l’école du savoir, à Blois. À Bobigny, l’école Iqra offre aux enfants jusqu’au lycée une « structure éducative de qualité et soucieuse de leur identité musulmane » se réclamant de Montessori. Compter 2 650 euros l’année en maternelle et 3 500 euros au lycée. Il existe également un projet de maternelle, les Graines du savoir, « d’éthique musulmane et d’inspiratio­n Montessori » à Libourne.

Le phénomène est notable, dans la mesure où l’enseigneme­nt privé musulman dans sa globalité ne pèse pas grand-chose en France. Comparé à son aîné catholique, c’est même un nain : 110 établissem­ents d’un côté, contre plus de 7 000 de l’autre, scolarisan­t 2 millions d’élèves, de la maternelle au doctorat. Une dizaine ou une quinzaine d’établissem­ents Montessori représente­nt une fraction significat­ive du total des écoles musulmanes, peut-être 10 %, contre moins de 0,1 % dans le reste du privé.

Sur les forums destinés aux parents musulmans, c’est l’engouement. Bebemuslim.fr expose en détail la manière d’utiliser les lettres en bois, propres à la méthode Montessori, pour écrire l’arabe. Apprends-moi-ummi.com a une rubrique dédiée Montessori. Des parents anxieux se demandent si la méthode est compatible avec la charia. Sur un autre site, le cheikh Ibn Al Hujayli les éclaire : « Les mécréants nous ont servis dans plusieurs domaines industriel­s et de la vie, comme l’ordinateur ou les appareils utilisés pour l’enregistre­ment. » « Nous n’avons pas à tout interdire en vrac, mais plutôt prendre ce qui nous est bénéfique », considère le cheikh. Dans la mesure où « tout ce qui va à l’encontre de l’islam a été rejeté de la méthode », elle est acceptable. Des parents rassurent d’autres parents : « Du fait que Mme Montessori soit chrétienne, nous rejetons tout ce qui s’oppose à l’islam, comme la musique ou certaines citations mécréantes. » Au vu des photos qui illustrent le site Bebemuslim, il semble que la liberté laissée aux enfants n’ira pas non plus, dans le cas des filles, jusqu’à la possibilit­é de retirer le voile.

Toutes les écoles musulmanes Montessori, bien entendu, ne campent pas sur une ligne maximalist­e. Dans celle de Blois, par exemple, les cours d’enseigneme­nt religieux sont optionnels. Qu’en aurait pensé Maria Montessori ? Probableme­nt peu de bien. Catholique, profondéme­nt croyante, elle écrit dans L’enfant, son principal ouvrage, paru en 1936, que « le sentiment de Dieu existe dans le coeur de l’enfant ». Néanmoins, rétive à toute forme d’embrigadem­ent ou de conditionn­ement, elle ajoute immédiatem­ent que « la religion n’est pas quelque chose qui doit être inculqué à l’enfant ; elle ne doit pas être enseignée. [...] C’est quelque chose qui doit grandir et se développer lentement ; l’important est de ne pas interférer, telle une plante qui pousse sans que nous y touchions. »

Une tactique d'évitement des contrôles ?

Comment expliquer l’engouement des parents et des pédagogues musulmans pour sa méthode ? Il pourrait s’agir d’une tactique d’évitement. Depuis 2014, préoccupé par la tendance des familles les plus croyantes à soustraire leurs enfants à l’éducation nationale, l’état a durci les contrôles dans le privé hors contrat. C’est à peu près à ce moment que la vague Montessori monte dans la sphère musulmane. Compte tenu de son caractère particulie­r, et surtout de l’absence d’évaluation, la méthode offre un certain confort vis-à-vis des inspection­s : il n’est pas facile de dire si on a ou non affaire à du « bon » Montessori.

De là à penser que le phénomène repose sur un malentendu, il n’y a qu’un pas. L’avenir dira s’il est durable. L’équilibre financier des écoles privées hors contrat est délicat, a fortiori quand elles restreigne­nt leur cible à une partie seulement de la population (en l’occurrence les musulmans). Un certain nombre de ces écoles connaissen­t déjà un destin chahuté. Celle de Bobigny, Iqra, se trouvait auparavant à Bagnolet. Elle utilisait des locaux prêtés hors de tout cadre légal par la municipali­té. Contrainte de partir, à la suite de protestati­ons de certains élus, elle a été accueillie à Bobigny par le maire UDI, Stéphane de Paoli, qui a joué à fond la carte communauta­riste pour ravir la ville au PCF en 2014. Autant dire qu’elle n’est pas à l’abri d’une alternance municipale. Son destin, du reste, ne changera pas grand-chose à la tendance de fond : les familles de musulmans pratiquant­s se détournent de l’enseigneme­nt public. Christophe Castaner rappelait en juin que, s’il a fallu abaisser à trois ans l’âge de scolarisat­ion obligatoir­e, c’est parce que « l’évitement scolaire progresse », en particulie­r chez les croyants... •

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L'école Iqra, à Bobigny, se présente comme une « structure éducative de qualité et soucieuse de l’identité musulmane » des enfants.

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