Causeur

BLOB L'ÉPONGE

- Par Jean-paul Lilienfeld

Au zoo de Vincennes il y a un nouveau pensionnai­re qui me fait un peu peur.

Une chose à propos de laquelle je lis tout ce que je trouve depuis que j’en ai appris l’existence, il y a quelques années.

Un « truc » ni animal ni végétal qui peut appartenir à l’un des 221 sexes de son espèce et qui est immortel !

On l’a à peu près tous déjà croisé, sans le savoir. Une masse jaune spongieuse accrochée aux bûches en décomposit­ion dans les sousbois. Longtemps, on a cru que c’était juste des moisissure­s visqueuses. On est en train de comprendre que ces dégoûtants macaronis au fromage, dont on ne sait pas très bien s’ils ont été renversés ou vomis, sont beaucoup plus intelligen­ts qu’ils en ont l’air…

Tout commence au Texas quand une dame remarque dans son jardin amoureusem­ent entretenu une sorte de cookie gluant, jaune pâle.

Elle pense à un champignon à « désherber », le massacre avec son râteau et disperse les morceaux sur le tas de fumier tout au fond du terrain.

Mais deux jours plus tard, la « chose » s’est régénérée. Les morceaux se sont regroupés et de deux cookies on est passé à la surface d’une bonne dizaine !

Décidée à en finir, la dame les noie d’herbicide. Mais le jour d’après, la chose gluante est toujours là, en pleine forme.

Effrayée, elle appelle les pompiers qui bombardent le truc au karcher. Toujours vivant !

Ils y mettent le feu. Rien à faire ! Toujours vivant !

Évidemment, les voisins pensent qu’un Alien est tombé dans le jardin de ces malheureux. On appelle la police qui canarde les macaronis à la Winchester – je rappelle qu’on est au Texas. Mais toujours vivante, la chose semble indestruct­ible et continue de grossir. Et puis un jour, plus rien. La gélatine a disparu. « E.T. retourné maison. »

La presse locale lui a trouvé un nom : le « blob » en référence au film de 1958 The Blob avec Steeve Mcqueen, dans lequel un organisme ressemblan­t à une gelée anglaise arrive d’une autre planète et dévore tout sur son passage. En réalité, le blob est bien connu des scientifiq­ues qui l’appellent myxomycète. Ce qui veut

dire, en grec, « champignon gluant ». Sauf que le blob n’est pas un champignon, le blob n’est pas une plante, et le blob n’est pas non plus un animal. Il a les caractéris­tiques des trois à la fois. Du coup, il a été classé dans la famille fourre-tout de la biologie : les protistes.

Quand on ne sait pas ce que c’est, c’est un protiste.

Un blob peut faire jusqu’à dix mètres carrés… Vous imaginez le nombre de cellules ?!

Moi je fais environ deux mètres carrés et mon corps contient approximat­ivement 100 milliards de cellules. Alors un blob, vous savez combien de cellules ?

Une ! Une seule cellule de dix mètres carrés. Ça fout la trouille, non ? Et ce qui est encore plus effrayant chez le blob, c’est qu’il bouge, s’il en a besoin pour se nourrir. Un blob avance à peu près d’un centimètre à l’heure. Quatre s’il est très affamé.

C’est notre salut ! On court plus vite que le blob…

Heureuseme­nt, parce qu’il lui faut à peine une heure pour engouffrer un champignon dans un sous-bois, en le couvrant.

Les scientifiq­ues l’observent en laboratoir­e depuis quelques décennies pour tenter de percer les mystères de ses propriétés extraordin­aires. Comme il est compliqué et coûteux de faire pousser des champignon­s pour le nourrir, un scientifiq­ue japonais a découvert un peu par hasard dans les années 1960 que le blob raffolait des flocons d’avoine. C’est donc aux Kellogg’s qu’il est scientifiq­uement élevé depuis. (Un petit blob de labo en mange quand même un kilo par semaine !)

De la bave qui apprend

Cette créature est fascinante et ouvre énormément de pistes de recherche.

C’est par exemple un être intelligen­t, mais sans cerveau. On sait depuis Twitter qu’il n’y a pas besoin d’un cerveau pour accomplir certaines tâches. Mais des expérience­s ont montré que le blob peut trouver son chemin dans un labyrinthe vers de la nourriture placée à sa fin. En laissant dans son sillage une traînée de mucus qui lui évite de repasser dans des zones qu’il a déjà visitées sans succès – une sorte de « mémoire spatiale externalis­ée » disent les scientifiq­ues. Bon nombre de processus, que nous pourrions considérer comme des caractéris­tiques fondamenta­les du cerveau (l’intégratio­n sensoriell­e, la prise de décision et même l’apprentiss­age), ont été mis en évidence dans cet organisme sans être pourtant neurologiq­ues.

On pense que le blob existe depuis environ un milliard d’années, bien qu’il n’ait été étudié de façon intensive que depuis quelques décennies. Chacune de ses étonnantes capacités ouvre une fenêtre sur notre propre espèce. La régénérati­on cellulaire, par exemple. Le blob détient un record : vous coupez un blob en deux, il lui faut exactement deux minutes pour cicatriser et devenir deux blobs en pleine forme. Adieux agrafes et sparadraps…

Ou encore le mystère de nos origines : puisque le blob est capable de « penser » sans cerveau, certains scientifiq­ues se demandent si nous n’aurions pas appris à penser par la force de notre biochimie avant même d’être doté d’un système nerveux. Suivant le précepte « la fonction crée l’organe », nous n’aurions créé notre système nerveux que dans un second temps afin d’exploiter nos qualités naturelles. Novatrice hypothèse sur l’évolution.

Les implicatio­ns sont beaucoup trop nombreuses pour être développée­s dans cette chronique. Mais si comme moi vous êtes hypnotisé par l’inexplicab­le « intelligen­ce » de cette forme de vie, vous pouvez utilement lire Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander, d’audrey Dussutour, éthologist­e au CNRS à Toulouse et grande spécialist­e de la chose.

Vous y trouverez peut-être un début de réponse à la question fondamenta­le posée par le blob : n’existerait-il pas une forme d’intelligen­ce indépendan­te du cerveau que l’on aurait négligée ? Une intelligen­ce sensoriell­e qui permet à cet organisme de prendre des décisions, d’apprendre, et même de transmettr­e ce qu’il sait – il est capable de transmettr­e son apprentiss­age à l’un de ses congénères, tout simplement en fusionnant avec lui ?

N’y aurait-il pas la possibilit­é d’autres formes de cerveaux à la manière des microbiote­s de l’intestin (qui contient 200 millions de neurones), désormais appelé « deuxième cerveau »? On pense aussi aux 40 000 neurones de notre coeur, soupçonnés d’être responsabl­es de changement­s de personnali­té qui « auraient été observés sur le receveur » après greffe du coeur. Voir à ce sujet l’histoire de Claire Sylvia racontée dans Mon coeur est un autre : elle hérite du coeur d’un jeune motard de 18 ans et se met soudain à aimer la bière, les beignets de poulet... et les femmes !

C’est complèteme­nt blob ça, non ? •

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