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MIGRANTS LE VATICAN REFAIT DE LA FIGURATION

Le pape François a fait installer un monument aux migrants place SaintPierr­e à Rome. Quoique contestabl­e, ce grand bronze rompt avec l'art abstrait qu'avait promu l'église catholique ces dernières décennies.

- Par Pierre Lamalattie

Le pape François a fait installer place Saintpierr­e, à Rome, un grand bronze représenta­nt des migrants, thème qui lui est cher. Il se fait photograph­ier devant. Il les montre, les touche, les caresse, les cajole. Le souverain pontife est visiblemen­t très heureux de son acquisitio­n. Cette implantati­on a principale­ment un sens religieux et politique. Cependant, elle constitue aussi, sur le plan artistique, un curieux événement contrastan­t avec le contexte de l’art contempora­in.

Oeuvre du Canadien Timothy Schmalz, le groupe représente une centaine de migrants, toutes origines et époques confondues, la nôtre n’étant, bien sûr, pas oubliée. Ils sont presque grandeur nature, serrés les uns contre les autres, debout sur une barque sommaire. Des ailes d’anges dépassent du groupe, en référence à l’épître aux Hébreux (13-2) selon laquelle celui que l’on prend pour un simple étranger pourrait être un ange. Ces personnage­s suggèrent efficaceme­nt une communauté de destin entre les divers migrants, mais aussi entre ces derniers et le reste de l’humanité. L’oeuvre a une force expressive certaine qui n’est pas sans rappeler Le Pèlerinage de San Isidro de Goya. Cependant, la facture un peu simple peut décevoir. Les drapés, en particulie­r, paraissent mous en ce haut lieu baroque. On pourrait trouver à cette oeuvre des analogies avec certaines traditions de figuration­s trop démultipli­ées comme le style saint-sulpicien ou le réalisme socialiste.

Pour ou contre le deuxième commandeme­nt ?

L’apparition de cette sculpture très figurative fait cependant réfléchir. L’église semble, en effet, avoir tout au long du xxe siècle abandonné son lien multisécul­aire avec la représenta­tion en art. Certains théologien­s catholique­s convertis à l’abstractio­n et au conceptuel semblent même plus proches de l’iconoclasm­e byzantin que de Rubens ou de Bernini. À Paris, des lieux comme le couvent des Bernardins se sont illustrés par des conception­s apophatiqu­es de l’art, c’est-à-dire radicaleme­nt éloignées de tout ce qui rappelle la vie terrestre. Rappelons que l’église catholique a eu un rôle décisif dans le développem­ent de l’art figuratif en Europe. S’appuyant sur des arguments christolog­iques, elle s’est, en pratique, tout bonnement affranchie du deuxième commandeme­nt (« Tu ne te feras point d’image taillée ni de représenta­tion quelconque des choses… »). Il en résulte une extraordin­aire effloresce­nce artistique au Moyen Âge, à la Renaissanc­e et encore davantage au

temps de la Contre-réforme. Cependant, à la fin du xxe siècle, rien ne reste, je le répète, de cet engagement de l’église en faveur de la figuration ou si peu.

L'universell­e force des images

Pourquoi le Saint-siège recourt-il de nouveau à la figuration ? Probableme­nt pour une raison extraordin­airement simple : s’il avait placé là une oeuvre abstraite ou conceptuel­le, cela aurait peut-être plu à quelques intellectu­els du Vatican, mais les foules n’auraient pas saisi. En voyant l’oeuvre de Timothy Schmalz, on comprend tout de suite de quoi il s’agit et on ressent une émotion. Pas besoin d’explicatio­ns. L’oeuvre parle d’elle-même. C’est pour cette même raison (pardon pour le rapprochem­ent) que les idéologies totalitair­es, ayant davantage besoin que les autres régimes de communique­r avec les masses, confient finalement leur propagande à la figuration, souvent après avoir été tentées par les avant-gardes. C’est aussi à cause de cette nécessité que les publicitai­res mettent toujours une image mûrement travaillée dans leurs affiches. On pourrait multiplier de tels exemples. Aussi éloignés que soient l’église, les totalitari­smes et la publicité commercial­e, il faut observer qu’en les situations les plus diverses, les humains restent très sensibles aux images figurative­s. Les mêmes causes produisent les mêmes effets… •

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Inaugurati­on des Anges inconscien­ts, oeuvre de Timothy Schmalz, place Saint-pierre à Rome, 29 septembre 2019.

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