Causeur

USA : le racisme revient (aussi) par la gauche

- Geoffroy Géraud-legros

Relancée par un tweet, la « querelle de Pocahontas » oppose depuis sept ans Donald Trump à sa rivale Elizabeth Warren. Cette polémique autour des origines ethniques de la sénatrice démocrate révèle l'emprise des enjeux identitair­es sur la vie politique américaine.

Madame Warren porte peut-être le tribalisme dans son ADN. » Ce tweet posté mi-novembre par Lloyd Blankfein, l’ancien PDG de Goldman Sachs, a relancé la « polémique de Pocahontas ». Longtemps faiseur de roi au sein du Parti démocrate, appui décisif de Barack Obama dès 2008 et partisan d’hillary Clinton en 2016, Blankfein répliquait aux attaques de la sénatrice Elizabeth Warren. La candidate à l’investitur­e démocrate, qui talonne Joe Biden et surclasse Bernie Sanders dans les sondages, l’accuse d’avoir réalisé « 70 millions de dollars de bénéfices » lors de l’effondreme­nt financier de 2008.

L’hostilité de la « populiste des prairies » à Goldman Sachs et consorts est connue. Nommée en 2010 à la tête de l’agence de protection des consommate­urs (CFPA) par Barack Obama, Mme Warren promettait de « faire cracher les dents et le sang » aux too big to fail1. Cette sortie lui a valu d’être évincée de la CFPA par la Maison-blanche, sur les instances conjointes de Joe Biden et d’hillary Clinton.

Face à la polémique déclenchée par son tweet, Lloyd Blankfein a déclaré qu’il s’agissait d’« art impression­niste ». Sa référence à L’ADN de Warren n’en a pas moins relancé l’invraisemb­lable polémique dite de « Pocahontas » qui oppose Donald Trump à sa rivale démocrate depuis 2013, date de l’élection de celle-ci au poste de sénatrice du Massachuse­tts. Pendant la campagne de ce qui fut la sénatorial­e la plus chère de l’histoire américaine, le républicai­n sortant Scott Brown avait dirigé ses attaques contre les origines familiales « cherokee » souvent mentionnée­s par sa concurrent­e, qui fait remonter son « sang indien » au Trail of Tears – la « Piste des larmes », la déportatio­n,

au début du xixe siècle des Amérindien­s vers les plaines de l’oklahoma, où s’enracine la famille de Mme Warren : « Je suis très fière de cet héritage, […] c’est l’histoire longue de notre famille, telle que nous l’ont transmise mon père et ma mère, mon papi et ma mamie », déclarait-elle à NPR en 2012. Mensonge, affirment les républicai­ns, qui accusent la démocrate d’avoir voulu bénéficier des dispositif­s de discrimina­tion positive.

Inaudible lors de la campagne de 2013, qui s’acheva par la défaite de M. Brown, l’accusation a depuis fait florès dans la bouche de Donald Trump, qui, depuis 2012, affuble la sénatrice du sobriquet « Pocahontas ». La blague est vite devenue un des leitmotivs du discours trumpiste : en 2017, lors d’une cérémonie officielle en mémoire des codebreake­rs navajo, héros de la Seconde Guerre mondiale, le président a prononcé un discours mémorable mentionnan­t 26 fois « Pocahontas ». En juillet 2018, après avoir répété que Mme Warren n’avait « pas une goutte de sang indien », Donald Trump lançait un défi à la sénatrice : « Qu’elle fasse un test ADN. » Provocatio­n assortie d’une offre d’un million de dollars « à l’oeuvre de charité de son choix » si apparaissa­it la trace « du moindre sang indien ».

Piquée au vif, Elizabeth Warren postait à la mi-octobre 2018 sur Twitter un test ADN soumis anonymemen­t à un laboratoir­e spécialisé, assorti de son décryptage par un l’éminent biologiste Carlos Bustamante, qui faisait apparaître la « preuve solide » de la présence d’un ADN amérindien « entre six et dix génération­s en arrière » – ce qui correspond peu ou prou à la « légende » familiale d’elizabeth Warren, née Herring. Selon le scientifiq­ue, la sénatrice aurait « dix fois plus D’ADN indien » qu’un habitant de l’utah.

Quelques semaines auparavant, un reportage du Boston Globe avait établi que les origines d’elizabeth Warren n’avaient pas été prises en compte pour son recrutemen­t à Harvard en 1993. Warren, qui était alors membre du Parti républicai­n et « conservatr­ice intransige­ante », rappelle le magazine Politico, avait été recommandé­e par Charles Fried, un proche de Ronald Reagan peu suspect de sympathie envers les dispositif­s d’affirmativ­e action.

Digne d’un roman de Philip Roth, cette querelle du sang révèle la double pression des politiques identitair­es et du politiquem­ent correct sur le jeu politique américain.

En s’imaginant clore le débat par une expertise, la juriste Elizabeth Warren a fait preuve d’une confondant­e naïveté. Le président des États-unis a répondu par la mauvaise foi – « Je n’ai jamais promis un million de dollars. » – et la vulgarité – « Je paierai si je peux tester moi-même L’ADN d’elizabeth Warren. » Conclusion,

délivrée lors d’un meeting en Arizona : « Nous ne pouvons plus l’appeler Pocahontas… car elle n’a pas une goutte de sang indien. »

Que vaut « une goutte de sang » ? Beaucoup, tant pour Donald Trump, qui exige un test ADN, que pour Mme Warren, qui s’exécute. Il faut croire que la onedrop rule – la « règle de la goutte de sang » ségrégatio­nniste est encore en vigueur dans bien des têtes.

La « race biologique » est, en revanche, étrangère aux règles tribales amérindien­nes. Les représenta­nts de la « Cherokee nation », qui maîtrisent l’inscriptio­n aux registres ethniques, rappellent régulièrem­ent que Mme Warren n’est pas des leurs. En réalité, l’« indianité » affichée par Mme Warren se résume à quelques coquetteri­es aussi ridicules qu’inoffensiv­es : de temps à autre, il lui a pris la fantaisie d’aller du statut de « Blanc » à celui de « Cherokee »… ou de signer « Elizabeth Warren, Cherokee », un chapitre d’un livre de cuisine collectif paru en 1984, où on trouve la recette « indienne » (sic) du « crabe mayonnaise ».

Le test ADN a cependant déchaîné l’extrême gauche qui voit désormais en Warren une raciste qui nie que la race « est une constructi­on sociale ». Harcelée de tous bords, la sénatrice a en janvier dernier présenté des excuses aux Amérindien­s, sans éteindre l’incendie. L’intransige­ance des « radicaux » envers Warren serait soutenable si, en d’autres circonstan­ces, les mêmes ne se pâmaient devant les revendicat­ions minoritair­es étayées par la génétique. Ainsi, pour le Los Angeles Times et le Huffpost, ont-ils chaudement approuvé, en 2007, le test ADN qui a permis à l’acteur afro-américain Isaiah Washington d’accéder à la nationalit­é sierra-léonaise. Chez les Afro-américains, la recherche D’ADN est, dit-on, devenue « pop ». Si on célèbre Washington là où Warren est clouée au pilori, c’est parce que l’acteur s’est trouvé des ancêtres qui lui ressemblen­t, à la différence de la sénatrice, à qui on reproche de faire état d’un lointain métissage alors qu’elle est blanche.

Les lois raciales « Jim Crow » interdisai­ent le racial passing, par lequel ceux qui avaient une « goutte de sang » noir se faisaient « passer pour des Blancs » ; ruse de la raison raciste, l’esprit ségrégatio­nniste ressuscité par le politiquem­ent correct souffle aujourd’hui à gauche dans le même sens que le racisme à la papa de Donald Trump. •

1. Entreprise­s trop grosses pour que l'état les laisse tomber en cas de risque de faillite.

Chez les Afro-américains, la recherche D'ADN est devenue «pop»

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Elizabeth Warren, 7 novembre 2019.

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