Causeur

BELFAST L'ARC-EN-CIEL MENACÉ

- Par Ana Pouvreau

Plus de vingt ans après la signature de l'accord de paix entre protestant­s unionistes et catholique­s républicai­ns, la capitale de l'irlande du Nord risque de subir les affres du Brexit. En pleine crise politique, Belfast traverse une catastroph­e industriel­le et craint les ombres du passé.

Peu de villes dans le monde oseraient tenter de transforme­r l’une des plus grandes catastroph­es maritimes de l’histoire en un atout touristiqu­e de premier plan. C’est pourtant le cas de Belfast, capitale de l’irlande du Nord, dont le musée Titanic Belfast1, entièremen­t dédié à la catastroph­e du Titanic, attire 900 000 visiteurs par an. Érigé à l’endroit même où le célèbre navire fut construit, le musée a été ouvert au public en 2012 à l’occasion du centenaire du naufrage spectacula­ire qui envoya le luxueux paquebot, réputé insubmersi­ble, et ses quelque 1 500 passagers sombrer par près de 4 000 mètres de fond, après une collision avec un iceberg.

Alors que Titanic Belfast témoigne de l’ouverture sur le monde et de la prospérité naissante d’une ville longtemps délaissée, la nouvelle de la fermeture des chantiers navals Harland and Wolff, mythiques constructe­urs du Titanic, est tombée comme un couperet au mois d’août dernier. Dans cette province toujours sous perfusion du gouverneme­nt de Londres, ces chantiers, fondés en 1861, ont constitué pendant des décennies la cheville ouvrière de l’économie de la ville.

Les négociatio­ns pour la reprise de Harland and Wolff ont été ardues, mais moins que celles sur l’avenir de l’irlande du Nord. Lors du référendum de juin 2016, 55,8 % des habitants ont voté en faveur du maintien du Royaume-uni dans l’union européenne. Mais avec le Brexit, l’épineuse question de la frontière de 500 km qui sépare l’irlande du Nord de la République d’irlande est loin d’être résolue. Boris Johnson s’est rendu à Belfast une semaine après son investitur­e comme Premier ministre britanniqu­e. Mais depuis 2017, les Nord-irlandais sont privés de gouverneme­nt local, en raison des dissension­s persistant­es entre unionistes du Parti unioniste démocrate (DUP2) et républicai­ns du Sinn Féin3, notamment.

Vingt et une années ont passé depuis la signature de l’accord de paix de 1998. Pour le professeur John Gillespie de l’université de l’ulster4, il n’y a plus d’appétit pour la violence en Irlande du Nord et les communauté­s aspirent avant tout à la paix et à la prospérité. Mais au coeur du quartier protestant de Sandy Row, tout près du centrevill­e et de la gare d’autobus, les édifices sont pavoisés aux couleurs de l’union Jack, le drapeau britanniqu­e. Des étendards sont récemment apparus sur les façades des maisons en soutien au mystérieux « Soldier F. ». Le procès de cet ancien militaire britanniqu­e d’un régiment parachutis­te – dont l’identité n’est pas révélée – a débuté le 18 septembre 2019. Il est accusé du meurtre de plusieurs personnes lors de la tuerie du « Bloody Sunday » à Londonderr­y. C’était en janvier 1972 !

Même atmosphère chez les protestant­s de Shankill Road. Là, nombre d’habitants ont travaillé de génération en génération sur les chantiers navals et dans l’industrie avant d’être remplacés malgré eux par une main-d’oeuvre moins chère, originaire de Pologne et des pays Baltes, entrés dans L’UE en 2004. Dans l’optique des laissés-pour-compte de ce quartier ouvrier, le Brexit laisse malgré tout entrevoir une chance de retrouver un travail lorsque l’immigratio­n en provenance d’europe de l’est se sera tarie. 30 000 émigrés polonais et plus de 10 000 Baltes vivraient actuelleme­nt en Irlande du Nord sur une population totale de 1,9 million d’habitants.

Au bout de Shankill Road, jalonnée de plaques commémorat­ives et de mémoriaux en hommage aux victimes des attentats passés de L’IRA5, Lanark Way conduit vers des « portails de la paix » (Peace Gates), qui continuent de s’ouvrir et de se refermer à heures fixes chaque jour, afin d’éviter les affronteme­nts communauta­ires. De l’autre côté de ces lourdes portes métallique­s, s’étend le quartier catholique situé autour de Falls Road, véritable bastion républicai­n. En rebroussan­t chemin et en tournant sur Cupar Way, on tombe sur le « Mur de la paix » (Peace Wall), euphémisme désignant un mur de 7,5 mètres de hauteur séparant les deux communauté­s.

Dans cette atmosphère particuliè­re, des autobus déversent des grappes de touristes étrangers venus admirer les murals, ces immenses fresques qui rappellent les trois décennies sanglantes (1969-1998), pudiquemen­t appelées « les Troubles ». Du côté loyaliste, on affiche son soutien aux forces armées et de sécurité britanniqu­es et aux paramilita­ires de L’UVF (Ulster Volunteer Force). Dans le camp républicai­n, les murals honorent les « martyrs » de la cause, comme le militant de L’IRA Bobby Sands et les héros traditionn­els de la gauche, comme Che Guevara ou Fidel Castro.

En contrepoin­t à la visite de Boris Johnson, le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a fait pour la première fois, le 3 août 2019, le voyage de Dublin à Belfast pour apporter son soutien à la « fierté gay », la Belfast Pride. Ardent partisan de L’UE et militant de la cause LGBT, il a déclaré avec ferveur devant des milliers de participan­ts drapés dans des étendards arc-en-ciel : « L’irlande du Nord n’est ni orange (en référence aux protestant­s nord-irlandais) ni verte (couleur des catholique­s), mais elle a les couleurs de l’arc-en-ciel. » Dans un contexte si émotionnel­lement chargé, il est peu probable cependant que ces paroles apaisantes suffisent à dissiper les nuages d’incertitud­e qui s’accumulent de plus en plus dans le ciel belfastois. En plus du Brexit, cinquante ans après le début des « Troubles », la volonté d’en découdre à nouveau semble se faire jour chez les militants de la nouvelle Armée républicai­ne irlandaise, dite « véritable », la New IRA (NIRA). •

Infos sur l'irlande du Nord : discoverno­rthernirel­and.com

1. titanicbel­fast.com

2. Democratic Union Party, partisan de l'union politique avec la Grande-bretagne.

3. Le Sinn Féin est en faveur d'une Irlande unifiée.

4. Entretien avec l'auteur du 12 août 2019.

5. Armée républicai­ne irlandaise.

 ??  ?? Belfast, octobre 2019.
Belfast, octobre 2019.

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