Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

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Ténor, c’était sport. Qu’est-ce qu’on lui demandait, au ténor ? Ni mesure, ni goût, ni art. On lui demandait du son, de la bravoure, des hormones quoi. Aux coupes de foot dans les années 1990, qui se serait intéressé aux Trois Sopranos, aux Trois Basses ? Ce qu’il fallait au Mondial du mâle, c’était les Trois Ténors. Vous vous rappelez ? Carreras, Pavarotti et Domingo poitrail gonflé de Vincerò !, l’organe, la sueur, la foule qui crie « encore ! »…

Mais ça, c’était avant. Le 18 septembre dernier, Vittorio Grigolo chante Faust à Tokyo avec la troupe de Covent Garden en tournée. Pour cellezéceu­x qui l’ignorent, Vittorio Grigolo est l’un des Trois Ténors du jour, avec Jonas Kaufmann et notre Roberto national. Lui est italien. Petit chanteur à la chapelle Sixtine, puis fan de Freddie Mercury et crooner pour minettes à la télé, enfin vedette d’opéra grand genre : voix d’or, sourcil noir, costume Gucci, bagnole à son effigie. C’est d’ailleurs à deux bagnoles qu’il doit son fabuleux destin : la bagnole de papa dans laquelle il eut la révélation en écoutant à la radio le stentor Mario Del Monaco ; et un accident de la route qui l’a détourné de son autre dada, la course automobile. Ensuite, un prof sérieux, une Furtiva lagrima de Donizetti qui efface la concurrenc­e, des Traviata et des Rigoletto de compétitio­n… Viva Pavarottin­o ! comme l’appellent ses parents. Cette manie aussi de transforme­r les saluts en happenings. Genou en terre, main au coeur, public chéri mon amour comme je t’aime de m’aimer ! Le latin tenor éternel, magnifico mais stravagant­e. Trop, toujours trop parce que, pour lui, « le ténor italien, c’est celui qui n’a pas peur ». Donc Faust à Tokyo le 18 septembre. Au milieu des bravos, le voilà qui recule vers le choeur et saisit le ventre rond d’une choriste qui le repousse, ce qui le vexe, et il dit un gros mot que personne n’entend vu le boucan. Humiliée, on le devine, la choriste se plaint. Bon, le gars est un poil zinzin – en plus de sa voix, c’est ce qui attire le chaland et remplit la caisse. (Au fait : le ventre de la « victime », ainsi qu’elle se nomme, était un postiche de théâtre en latex ; et le signor Grigolo s’est confondu en excuses.) Mais l’incident a l’air grave. Le lendemain, la compagnie le remplace et mène l’enquête. Dont les résultats tombent le 5 décembre : le comporteme­nt de Vittorio Grigolo étant jugé (par la maison, pas par la justice) « inappropri­é et agressif », tous les contrats qui le liaient à Covent Garden sont résiliés. Une heure plus tard, le patron du Metropolit­an Opera de New York, où on n’a rien à lui reprocher, chasse le ténor forever.

Plus besoin de harcèlemen­t. Un geste – public, donc sans vice caché – et pan. T’es mort. Comme dans l’affaire Domingo de cet été, les divas volent au secours du lépreux. « Mon cher Vittorio », écrit Angela Gheorghiu, ex-madame Alagna, « ton exubérance et ton caractère explosif rare sont vraiment mal jugés ». « Ce monde a besoin d’une sincérité plus exubérante », insiste Sonya Yoncheva. Trop tard. Mitou l’a tuer.

Lu dans Le Temps du 27 novembre, à propos de l’explorateu­r Mike Horn : « J’écris à peine cela comme une blague. La testostéro­ne, principale hormone sexuelle mâle, est à la base de mille comporteme­nts néfastes pour la planète, qui vont de faire rugir son moteur au feu rouge à construire des usines ultrapollu­antes, en passant par la balade sur pôle avec photos sur Instagram. » Les ténors ne sont donc pas seuls à menacer les femmes et la couche d’ozone, nous voilà soulagé.e.s. Mais qu’est-ce qu’on attend pour l’interdire, cette hormone de l’enfer ? •

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