LARYNX, PAIX ET CRUSTACÉS
LIBÉRATION DE LA PAROLE ARCHAÏQUE
Être doué de parole, c’est pouvoir produire avec sa bouche des sons qui forment des mots. Le langage, c’est tout ce qui, grâce à des mots, permet de traduire un sens. Depuis la fin des années 1960, bien des scientifiques sont persuadés que la parole relèverait d’un propre de l’homme intimement lié à une de ses particularités anatomiques : un larynx « descendu » dans sa gorge. Voilà pourquoi il serait impossible d’apprendre à parler à un petit chimpanzé, même si on l’élève comme un petit humain. Selon cette théorie, la position basse de l’organe situé entre le pharynx et la trachée serait nécessaire à la phonation, soit la production de voyelles différenciées. À cause d’une drôle de mutation apparue voici 200 000 ans, toutes les espèces sauf la nôtre se retrouveraient aujourd’hui privées de parole. Une riche revue de la littérature, menée par des chercheurs français et canadiens notamment affiliés au CNRS et à l’université de Grenoble, vient de percer trois gros trous dans cette barque. De un, leur article montre que cette descente d’organe n’est pas spécifique à l’humain. De deux, que la phonation peut très bien s’effectuer sans larynx en position basse. Et de trois, que des primates contemporains sont capables de telles vocalisations différenciées. L’un dans l’autre, cette triple réfutation de la théorie de la descente laryngée fait faire un grand bond en arrière à
l’aube du langage : de 200 000 ans, on passe à 20 millions d’années. Des analyses menées sur des crânes de Néandertaliens montrent, par exemple, que ces hominidés disparus, avec lesquels les humains contemporains peuvent encore partager jusqu’à 3 % de gènes, possédaient eux aussi une capacité phonétique et ce même si leur larynx n’était pas « descendu ». D’autres travaux menés sur des animaux non humains actuels révèlent que les cervidés, les chimpanzés et les porcs ont tous un larynx en position basse, sans pour autant être capables de parler. Contrairement aux babouins dont le larynx « haut » ne les empêche pas le moins du monde de produire une bonne dizaine de vocalisations spécifiques à des situations éthologiques et dans lesquels les scientifiques entendent des proto-voyelles, des proto-mots et un proto-langage.
Référence : tinyurl.com/doutuparles
JEUX DE MOTS
Le langage n’est évidemment pas qu’une question d’anatomie, il y a aussi (et au moins) des facteurs culturels et cognitifs qui rentrent en ligne de compte. Une équipe internationale de linguistes, de psychologues et d’anthropologues évolutionnaires vient à ce titre de formuler une passionnante hypothèse : les jeux enfantins pourraient avoir contribué à l’émergence du langage chez Homo sapiens. Premièrement, ils montrent que certains des gènes sélectionnés dans notre espèce contrôlent la globularisation du crâne et du cerveau – le fait que nous ayons des têtes plus rondes que les Néandertaliens, et dès lors des connexions cérébrales différentes. Ce qui est susceptible d’avoir créé un terrain cognitif favorable à l’aptitude au langage et à notre mode de pensée symbolique. Ensuite, que l’autodomestication humaine, soit l’adaptation des humains modernes à des niches écologiques qu’ils se sont eux-mêmes créées où les prédateurs sont relativement peu nombreux et les ressources alimentaires relativement abondantes, aura fait perdre à l’agressivité de son utilité. Le rapport avec le langage ? Une telle pacification du rapport au monde et à autrui, qu’atteste le fait que les mâles de notre espèce sont bien moins réactifs à la testostérone que chez certains de nos cousins primates, pourrait avoir permis un plus grand brassage des populations, des réseaux sociaux plus étendus et un temps de développement – une enfance
– plus long. Dans le cadre de cette « modernité comportementale », les géniteurs n’étaient pas les seuls à s’occuper des enfants – contrairement aux Néandertaliens, aux structures familiales plus nucléaires – et les fratries étaient souvent composées d’enfants dépendants de leurs parents à des degrés divers – avec des petits sevrés et non sevrés, notamment. Et cette « niche sociale », façonnée par l’autodomestication, pourrait avoir donné naissance à des jeux élaborés, eux-mêmes catalyseurs de complexité linguistique.
Référence : tinyurl.com/ludiquelinguistique
RÉQUISITION DE COQUILLES
L’inégale distribution des ressources matérielles est un invariant des sociétés humaines. Certains ont tout, d’autres n’ont rien, et la grande majorité se situe quelque part au milieu. En économie, le coefficient de Gini permet de rendre compte du niveau d’inégalités dans une population. Il s’agit d’un nombre compris entre 0 et 1 : un groupe parfaitement égalitaire, dans lequel chaque individu est aussi riche que son voisin, a son Gini à 0, tandis qu’un groupe très inégalitaire, dans lequel un nabab monopolise tout quand les autres n’ont que leurs yeux pour pleurer, a le Gini qui frôle salement le 1. Trois chercheurs en écologie évolutive et en mathématiques appliquées ont fait une découverte pas piquée des crevettes : les pagures, plus connus sous leur nom de bernardl’hermite, ont un coefficient de Gini très semblable à celui des humains des sociétés primitives. Il ne s’agit rien de moins que de la première étude de l’histoire à démontrer l’existence d’une inégalité de richesse dans une espèce autre que la nôtre. Dirigée par Ivan Chase, aujourd’hui professeur émérite à l’université de Stony Brook, elle poursuit ses recherches menées dans les années 1980 sur le turnover immobilier chez ces crustacés, obligés, par la mollesse de leurs organes, à squatter des coquilles de bigorneaux morts. Selon Chase et ses collaborateurs, 1 % des bernardl’hermite se partagent 3 % des ressources en coquilles. Si on est loin de l’échelle des salaires des pays développés contemporains, l’étude laisse tout de même entendre que les inégalités de ressources n’ont pas moins de 550 millions d’années, soit l’âge de notre dernier ancêtre commun avec les pagures. • Référence : tinyurl.com/lecapitalaucambrien
Je crois très sincèrement qu’il y a un effondrement de la biosphère. C’est-à-dire le blanchissement des récifs coralliens, l’acidification des océans, l’épuisement rapide des stocks de poissons, l’augmentation des inondations et incendies extrêmes, le réchauffement du Gulf Stream, la crise de l’eau douce, etc. Je suis donc convaincu qu’il est primordial de prendre de véritables mesures pour enrayer cette dégradation fatale.
Greta Thunberg, quelle que soit l’antipathie que m’inspire son ton d’ado fouettarde, son discours violent et culpabilisant, a indéniablement réussi quelque chose : imposer le sujet sur le devant de la scène. Elle a de plus le mérite de me permettre de vous poser, pour bien démarrer l’année, des petits exercices de calcul dignes des baignoires qui fuient et autres trains qui se croisent de votre enfance.
Problème n° 1
Sachant que Greta et son papa veulent réduire leurs émissions de carbone, en août dernier, ils décident de se rendre d’europe aux États-unis sur un bateau piloté par deux skippers.mais les deux skippers ne peuvent attendre à New York que Greta ait fini son sommet mondial de L’ONU pour le climat, parce qu’ils ont réservé un cours de poney depuis longtemps. Ils doivent donc rentrer… en avion.
1) Calcule le gain d’émissions de carbone obtenu lorsque deux personnes qui ne prennent pas l’avion à l’aller provoquent l’achat de deux billets d’avion au retour.
Le bateau ne peut pas non plus attendre Greta. Il a réservé lui aussi un cours de poney. Il doit rentrer en Europe. Vous avez donc le choix entre faire venir des gens d’europe en avion pour qu’ils ramènent le gros bateau très gentil qui émet peu de carbone ou faire partir en Europe deux skippers américains… qui devront ensuite revenir en méchant navion dans leur beau pays.
2) Calcule la solution la plus économique en empreinte carbone et justifie ton choix.
Greta Cargo vient de passer plus de deux mois aux États-unis. Elle a roulé en Tesla électrique prêtée par Arnold Schwarzenegger, le type qui a bien dû manger une centaine de troupeaux de vaches pour obtenir son titre de Mister Univers. Mais Greta Vegan ne lui en veut pas. Et puis la voiture électrique, c’est gentil. Il est exact que ça pollue moins que celle qui marche aux énergies fossiles. Cependant, lorsqu’on se préoccupe de la nature et du social comme Greta, ça ne gêne pas les quelques kilos de lithium et de cobalt contenus dans une batterie ?
Plus des deux tiers du lithium sont issus des déserts de sel d’amérique du Sud. Son extraction et son traitement entraînent une pollution des sols, un assèchement des rivières et provoquent des intoxications graves pour les populations locales. Sinon, plus de la moitié de la production mondiale de cobalt nous vient de mines congolaises : conditions de sécurité plus que sommaires et exploitation récurrente d’enfants.
1) Calcule la quantité d’émissions carbone économisée par paquet de dix enfants extrayant le cobalt à mains nues dans des mines de la République démocratique du Congo.
Tout ça est bien joli, mais Greta et son papa doivent rentrer en Europe pour participer à la réunion climat de L’ONU, la COP 25, à Madrid début décembre. Et toujours pas question de prendre un gros navion qui pollue. De gentils Australiens qui vivent sur un gentil bateau avec leur gentil bébé lui proposent de les ramener. Blablacar en mer. Cool ! Ils promettent même de renoncer au poisson dont ils se nourrissent habituellement afin de lui offrir une traversée Vegan. Trop bien !
Mais pour une raison que j’ignore, il faut un skipper pour effectuer la traversée. Peut-être le couple de gentils Australiens ne fait-il que du cabotage et ne peut-il traverser l’atlantique sans aide ? Toujours est-il qu’une jeune skipper britannique décolle d’angleterre sur un méchant navion afin de pouvoir ramener Greta sur le gentil bateau.
Le voyage de Greta visait à économiser environ deux ou trois tonnes d’émissions de dioxyde de carbone. Mais le vol de Mme Henderson de la Grande-bretagne aux États-unis a probablement produit la même quantité d’émissions.
2) Calcule le gain total d’émissions de carbone réalisé grâce à cette opération de communication.
Problème N° 3
Maintenant la COP 25 est finie. Greta doit rentrer chez elle. Elle va donc traverser l’allemagne en train direction la Suède.
Mais elle a convaincu tellement de monde que prendre l’avion c’est caca qu’elle n’est pas toute seule dans le train. Il est bondé ! Elle ne trouve pas de place assise. Comme elle est pas crâneuse Greta, elle s’assoit par terre. À la bonne suédoisette…
Et elle nous poste une photo sur Twitter : elle est à même le sol au bout d’un wagon, le dos appuyé contre une valise, regardant par la fenêtre. Image accompagnée de son commentaire : « Voyager dans des trains surpeuplés à travers l’allemagne. Et je suis enfin sur le chemin du retour ! » Elle en chie Greta ! Mais elle est droite dans ses bottes ! Aussi dures soient les conditions du voyage, elle n’émet pas de carbone.
En réponse, l’opérateur ferroviaire Deutsche Bahn s’est dit ravi de l’avoir à bord de son train « eco-friendly » et a apporté son soutien « à son combat contre le changement climatique ». Et puis, il a perfidement ajouté : « Cela aurait été encore plus gentil si vous aviez également indiqué de quelle manière amicale et compétente vous avez été accueillis (eh oui elle était seule sur la photo, mais ils étaient plusieurs à voyager avec elle) par notre personnel à vos sièges de 1re classe. »
1) Calcule le taux de foutage de gueule émis à l’occasion de ce voyage.
Le mois prochain, nous verrons comment calculer vos futures retraites en multipliant le nombre de mandats non déclarés de Monsieur Delevoye par le nombre de ministres du gouvernement de Monsieur Macron exfiltrés pour cause d’honnêteté douteuse, et divisé par le nombre de commerces qui vont fermer à cause de la grève de la RATP.
Je vous sens impatients…
Vous souhaiter une bonne année serait insolent. Je vous la souhaite meilleure… •