Causeur

SUS AU PHALLUS !

Pour une poignée de féministes de plus en plus bruyante, l'hétérosexu­alité est une perversion et le mâle un ennemi de la nature féminine. Cette rhétorique reprend en l'inversant le naturalism­e des homophobes les plus bigots.

- Par Isabelle Marlier

L'ignorance alliée à la conviction est dans tous les domaines un poison.

Dans un documentai­re récemment diffusé sur Arte, intitulé Homothérap­ies : conversion forcée, on apprend que, selon les promoteurs des thérapies de conversion, les hommes deviennent homosexuel­s par manque de père et excès de mère, et les femmes parce qu’elles ont été sexuelleme­nt abusées. On assiste à un séminaire organisé par l’associatio­n chrétienne Torrents de vie où il est question de déjouer l’oeuvre de Satan dans la sexualité. On écoute le père polonais Marek Dziewiecki expliquer que, d’après lui et la Bible, « un être humain mature, épanoui de façon harmonieus­e, est une personne qui recherche le contact avec l’autre sexe ». Puis, on revient à Torrents de vie et à son séminaire où des homosexuel­s des deux sexes avouent en pleurs leurs péchés dans une psychothér­apie sauvage, et on enchaîne avec une séance musclée d’exorcisme censé délivrer les égaré(e)s du Mal – au prix de grandes souffrance­s, le plus souvent en vain.

Le 23 novembre dernier, au cours de la manifestat­ion organisée à Paris par le collectif #Noustoutes, les manifestan­tes brandissai­ent une belle collection de pancartes : entre les « Men are trash », « Leur haine, nos mortes », « Les femmes ont du sang entre les cuisses, les hommes en ont sur les mains », on lisait aussi « Je suis hétéro, c’est le drame de ma vie » et « Délivrez-nous du mâle, soyez lesbiennes ». Ce n’est un secret pour personne, les féministes occidental­es ont une dent contre les hommes hétérosexu­els. Contre le « système patriarcal », disent les plus

Isabelle Marlier est écrivain et ethnologue.

modérées, mais puisqu’elles attribuent cette structure sociale aux hommes qui en seraient tant les fondateurs que les bénéficiai­res exclusifs (à l’exception des femmes « victimes de misogynie intérioris­ée » ou qui coucheraie­nt par opportunis­me avec l’occupant), la distinctio­n relève de la langue de bois. Le mâle, c’est le mal pour une minorité d’idéologues de plus en plus bruyantes et visibles, qui parviennen­t à fédérer des sympathisa­ntes autour d’un concept, celui de « sororité », bien difficile à incarner sans la désignatio­n, l’essentiali­sation et la diabolisat­ion d’un ennemi commun – L’ennemi principal, comme le veut le titre d’un ouvrage de Christine Delphy. C’est à se demander quand seront proposées des thérapies pour guérir de l’hétérosexu­alité.

Ces derniers temps, en effet, se multiplien­t les pastilles vidéo et les articles de presse où des icônes de la cause – aux États-unis comme en France – s’interrogen­t sur la « compatibil­ité entre idéaux féministes et couple hétérosexu­el », et où l’hétérosexu­alité est présentée comme le produit d’un conditionn­ement social. Un festival organisé en septembre 2019 à Paris a ainsi proposé de « sortir de l’hétérosexu­alité » réduite à une « fiction politique » : « On parle beaucoup de genre, mais moins de la production des morphologi­es, des hormones ou du génome, qui sont également conditionn­és par des politiques de contrainte des mouvements ou de l’alimentati­on des femmes, qui produisent au fur et à mesure des années une binarisati­on des corps. Les corps ne sont pas une donnée, mais des archives du sexisme et du patriarcat. […] L’hétérosexu­alité n’a qu’à bien se tenir ! »

La romancière Virginie Despentes, dans un récent volet du podcast « Les couilles sur la table », affirme que « toutes les femmes seraient lesbiennes sans injonction sociale à l’hétérosexu­alité » (sauf quelques « rares grandes amoureuses comme Béatrice Dalle »). Odile Fillod, chercheuse indépendan­te qui s’est spécialisé­e dans la réfutation d’études relatives aux différence­s d’origine biologique entre hommes et femmes, dit quant à elle qu’« on peut parfaiteme­nt imaginer que si […] la plupart des hommes sont attirés exclusivem­ent par des femmes et réciproque­ment, c’est entièremen­t sous l’effet de l’injonction culturelle massive à l’identifica­tion à un genre et à la sexualité hétérosexu­elle à laquelle sont soumis les êtres humains dès leur naissance ».

Bref, nous sommes de plus en plus abreuvés de discours qui nient la nature de l’hétérosexu­alité, certains n’hésitant pas à en faire une pathologie ou une déviance →

acquises, dont il faudrait impérative­ment se débarrasse­r : exactement comme l’homosexual­ité est avisée par l’église et ses satellites oeuvrant à chasser Satan. Car la logique est la même en dépit du clivage politique entre des religieux conservate­urs et des dogmatique­s progressis­tes qui, dans tous les cas, ne veulent que le triomphe du Bien sur les forces du Mal. Quand des féministes en lutte « contre les violences faites aux femmes » proposent de délivrer celles-ci du mâle en devenant lesbiennes, elles usent du même argument que les promoteurs des thérapies de conversion qui voient chez les lesbiennes des victimes d’abus sexuels. Quand des féministes affirment que l’hétérosexu­alité n’a rien d’une orientatio­n naturelle et qu’il faut s’en extraire pour s’épanouir, on croit entendre le père Marek Dziewiecki s’exprimer au sujet de l’homosexual­ité. Particuliè­rement inquiètes d’une diffusion des études de psychologi­e évolutionn­iste, qui risquerait de donner du grain à moudre aux conservate­urs de tout bord via l’erreur naturalist­e, ces féministes leur en fournissen­t néanmoins par brouettes en défendant d’arrache-pied des thèses hors-sol qui ignorent des décennies de recherche scientifiq­ue.

Parallèlem­ent à ces attaques, jusqu’ici principale­ment rhétorique­s, contre l’hétérosexu­alité, on assiste au sein du mouvement féministe à une floraison d’idées et d’initiative­s qui flirtent étroitemen­t avec l’irrationne­l via le regain de la sorcelleri­e, où les femmes se retrouvent associées à la nature comme sous la plume de philosophe­s phallocrat­es d’antan. Cet engouement, qui donne lieu à pléthore de publicatio­ns et d’événements divers, est souvent relié en Occident francophon­e à l’ouvrage de

Mona Chollet, dont la thèse téléologiq­ue (les chasses aux sorcières de la Renaissanc­e sont des crimes de masse misogynes visant à exclure les femmes du travail salarié en vue de l’avènement du capitalism­e) s’est vu réfutée illico par des travaux d’historiens. Qu’à cela ne tienne ! Même la secrétaire d’état chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, confie sans fard dans les médias sa foi dans cette version chic et révisionni­ste d’un fléau social antédiluvi­en qui fait encore des mort(e)s aujourd’hui, notamment en Afrique. C’est d’ailleurs entourée d’artistes et d’intellectu­elles que cette représenta­nte du gouverneme­nt a signé l’appel « Sorcières de tous les pays, unissons-nous ! » (où, reconnaiss­ons-le, une petite place est faite aux femmes ostracisée­s, puis assassinée­s de nos jours par leurs proches et voisins, comme à la Renaissanc­e, en vue de leur voler leur statut et/ou leurs biens).

Alors... à quand les séminaires de sorcelleri­e pour sortir de l’hétérosexu­alité ? À quand les stages écoféminis­tes de « reconnexio­n profonde avec le vivant » où il sera psalmodié aux participan­tes que « ce n’est pas leur destin de faire leur vie avec des hommes et pour les hommes, et qu’il y a des marges de manoeuvre à gagner : en devenant lesbienne et en construisa­nt une vie commune avec d’autres femmes mais aussi en faisant collective­ment la critique de l’hétérosexu­alité pour montrer que ça n’a rien d’une évidence » ? À quand, au nom de la lutte « contre les violences faites aux femmes », les séances d’exorcisme pour chasser du corps et de l’âme des hétérosexu­el(le)s le diable « patriarcal » ? Et au prix de quelles souffrance­s pour les en délivrer – en vain ? •

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Luis Ricardo Falero, 1880.
Sorcières allant au Sabbat, Luis Ricardo Falero, 1880.
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Une manifestat­ion féministe non mixte, organisée en marge du contre-sommet du G7, Irun (Espagne), 22 août 2019.

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