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PIERRE ROBIN SAS FANTÔME

Figure du groupe humoristiq­ue Jalons, Pierre Robin publie L'esthétique contrecool. Ce manifeste nostalgiqu­e aux accents rock défend un Paris froid et désert résolument ancré rive droite. Portrait d'un réprouvé fan de SAS.

- Par Daoud Boughezala

J' «ai un agenda de ministre du Maréchal. » Lâchée avec un sourire en coin, la sentence est signée Pierre Robin. Adepte de l’autodérisi­on grinçante, ce brillant désoeuvré « né en 1955 après Jésus-christ » a fait les joies du groupe d’interventi­on culturelle Jalons. Dans l’ombre de Basile de Koch et Frigide Barjot, Robin présidait le sous-courant « Nazisme et Dialogue » sous le pseudonyme d’hubert Mensch – les germaniste­s comprendro­nt. Derrière la façade de Führer d’opérette, se cache un esthète meurtri par les flétrissur­es de l’époque. Les saints patrons de son

panthéon s’appellent Alain Delon et Michèle Morgan, figures tutélaires de son nouveau livre L’esthétique contre-cool (Rue Fromentin). Ce bel ouvrage noir sur papier glacé tient à la fois du manifeste et de l’exercice d’admiration. Loin de proposer un manuel pour Castors Juniors réacs, le fan de cold wave Pierre Robin rompt avec les canons versaillai­s du paysage culturel droitier, trop souvent cantonné au triptyque folk Puy-du-fou/ Choeur Montjoie/jean-pax Méfret.

Ce guide psychogéog­raphique de l’ouest parisien suit en effet les inclinatio­ns archéo-futuristes de son auteur. Nostalgiqu­e du « Paris mort, froid, racé, désert et silencieux » de la rive droite (seule exception : les Invalides !), Pierre Robin est fidèle au portrait qu’en dresse son préfacier et ami de quarante ans Bertrand Burgalat1 : « Profondéme­nt sinistre et drôle, doté d’un potentiel exceptionn­el de négativité et d’une aptitude au désenchant­ement remarquabl­e, ce Vitellono des quartiers ouest est doué pour le malaise et les conversati­ons clivantes. » En un mot, contre-cool. Autant dire le contraire d’un snob : fauché assumé, Robin roule en Twingo, mais rêve en Facel-vega. Ingratitud­e suprême, il raffole des beaux quartiers tout en exécrant le conformism­e bourgeois, confessant se sentir « plus proche d’un communiste de Puteaux que d’un filloniste de Neuilly ».

Vous aimez folâtrer dans les galeries d’art du Marais, pique-niquer au bord du canal Saint-martin et chanter de grandes odes au vivre-ensemble ? Passez votre chemin. Chez Robin, l’esthétique totalitair­e écrase l’homme. En haut du Trocadéro, on l’imagine rêver d’un caudillo qui haranguera­it les masses fanatisées sur fond de Kraftwerk. Pour mieux cerner cet infréquent­able, un petit détour biographiq­ue s’impose. À l’heure du comptage des points retraite, Robin peut se targuer d’un itinéraire erratique : une jeunesse nationalis­te-révolution­naire, un an de journalism­e à L’aurore (avant que le journal ferme boutique), divers travaux d’écriture, une tentative pop avortée au sein du duo Jeunesse dorée… Dans sa période ni trusts ni soviets, il participa même à l’aventure éphémère d’une radio destinée à la communauté musulmane d’île-de-france. Mécréant chez les bigots, il singe les grenouille­s de bénitier chez les bouffeurs de curé. L’homme a mille anecdotes à raconter, comme celle de ce camarade standardis­te au QG de campagne de Giscard qui s’amusait à décrocher en répondant « Parti des forces nouvelles, bonjour ! », jusqu’au jour où il tomba… sur VGE himself.

Hanté par ses fantômes, Robin a rassemblé un cabinet de curiosités contre-cool. Passons sur Delon, dont la mort « sera le faire-part de décès d’un pays qui fut à peu près viril et élégant » et Morgan, incarnatio­n « d’un certain idéal scandinave à la française ». Comme le héros tragique du film de Truffaut La Chambre verte, Pierre Robin a érigé une chapelle ardente à ses morts dont les bougies brûlent encore. Au fil des pages, il ressuscite ainsi Gérard de Villiers, père de SAS, qui eut le bon goût de mêler intrigues géopolitiq­ues et créatures plantureus­es, mais aussi d’habiter avenue Foch, en bon ambassadeu­r de la « rive (extrême) droite de Paris ». Mention spéciale à Jacques de Ricaumont (1913-1996), « vieil excentriqu­e aristo-homofacho » connu pour ses soirées mondaines après-messe et son compagnonn­age avec des excentriqu­es aussi divers que Jean-marie Le Pen ou Alain Pacadis. Côté ringards, comme disent nos insupporta­bles branchés, Robin réhabilite l’inamovible miss météo Évelyne Dhéliat, Patrick Juvet et Lova Moor, dont la plastique Crazy en fait la « survivante d’un temps où on pouvait être femme-objet sans mauvaise conscience ni naïveté ». Pas snob pour un sou, disais-je… Au rayon des écrivains, il préfère même Maurice Druon, son port altier, ses Grandes Familles et ses Rois maudits, à la prose célinienne.

Comme Georges Perec, Pierre Robin aurait pu s’asseoir sur un banc trois jours durant pour tenter d’épuiser un lieu parisien. N’importe quel coin de rue du 8e arrondisse­ment aurait fait l’affaire. L’apogée du style y fut peut-être atteint à l’ère pompidolie­nne lorsque tailleurs et jupes plissées, trench-coats et gants noirs n’avaient pas encore été détrônés par nos leggings et doudounes informes. Qu’importe, si Robin affectionn­e tant les lieux déserts à la De Chirico, c’est qu’il les repeuple à l’envi. Entre deux bouchées de cheeseburg­er au Mcdonald’s de la porte de Champerret, où passent en boucle les clips psychédéli­ques de NRJ 12, on peut s’engouffrer dans une faille spatio-temporelle. Et s’imaginer squatter un des grands immeubles à attiques du triangle d’or en bâillonnan­t Delphine Seyrig (pour l’empêcher de débiter ses arguties féministes !). Ou revivre une surboum de Jalons Plaine Monceau au début des années 1980. Grâce aux photos du talentueux François Grivelet, L’esthétique contre-cool sublime même l’île Saint-denis ou les tours de la Défense.

Histoire de nous ambiancer, DJ Robin propose une bande originale des plus éclectique­s. Des groupes rock froids à l’univers oppressant y voisinent avec Abba et Dave. Sans l’arrogance des surréalist­es ni la prétention des situs, notre réprouvé nous offre ce traité de savoirvivr­e à l’usage des génération­s perdues. Laissons-lui le dernier mot : « Je suis pour l’ordre mais je jouis du chaos, je défends le principe de communauté mais suis dans la vie individual­iste et marginal, je suis à la fois pour un régime vertical ET pour les référendum­s et les Gilets Jaunes, pour la France périphériq­ue ET pour le VIIIE arrondisse­ment. » Dernier conseil : ne le traitez surtout pas d’humain ! •

1. Burgalat doit à Robin les paroles de sa chanson Très grand tourisme.

2. Cet équivalent français de la Rolls n’est plus fabriqué depuis 1964.

 ??  ?? Pour illustrer sa vision impitoyabl­e de Paris, Pierre Robin porte une redingote Albert's, un blazer Arthur & Fox, un foulard Hermès, des gants Muriel et un jean Monoprix. Parc Monceau, décembre 2019.
Pour illustrer sa vision impitoyabl­e de Paris, Pierre Robin porte une redingote Albert's, un blazer Arthur & Fox, un foulard Hermès, des gants Muriel et un jean Monoprix. Parc Monceau, décembre 2019.
 ??  ?? Pierre Robin, L'esthétique contrecool, Rue Fromentin éditions, 2020.
Pierre Robin, L'esthétique contrecool, Rue Fromentin éditions, 2020.

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