Ladj Ly, artiste sous protection médiatique
Récompensé à Cannes, canonisé par les médias : Ladj Ly, réalisateur des Misérables, semblait taillé pour le rôle de saint laïque et d’artiste maudit chéri du moment. Cet été, le New York Times lui a consacré un portrait dithyrambique, le campant en redresseur de torts ferraillant depuis sa prime jeunesse contre l’injustice – et contre la police. Le président lui-même a été touché par la grâce. Mi-novembre, après avoir vu le film, il aurait, selon le JDD, « demandé au gouvernement de trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers ». Tandis que les réseaux sociaux s’esclaffaient de tant de candeur, L’obs se demandait presque sérieusement si Ladj Ly serait le Diderot de Macron.
Pauvre, racisé, révolté et héritier de Victor Hugo : Ladj Ly cochait toutes les cases. Les confrères n’ont donc guère apprécié les révélations de Causeur publiées le 17 décembre, le jour même où on apprenait que Les Misérables était sélectionné pour les Oscars.
Revenons à cette « méchante affaire, dont Ladj Ly ne voulait plus entendre parler », selon Le Monde. De fait, elle ne le qualifie pas pour donner des leçons de morale et de République comme il le fait volontiers.
Il s’agit d’une vendetta familiale des plus glauques qui se passe en 2009 entre Clichy et Montfermeil. Son principal protagoniste est un cousin ou ami du futur cinéaste nommé Amad Ly, dont Le Monde précise curieusement qu’il est « proche des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré, les deux enfants morts électrocutés en octobre 2005 à Clichy-sous-bois ». Fautil comprendre que cet engagement est une circonstance atténuante ? Cet homme plein d’empathie avec son prochain ne supporte pas que sa soeur ait une liaison avec le mari de sa cousine – une question d’honneur. Dans la nuit du 13 au 14 janvier 2009, Amad embarque Ladj et un troisième homme dans une expédition punitive. Le corrupteur de soeur est tabassé, enfermé dans le coffre d’une voiture et transporté dans un bois. Les trois justiciers se seraient en outre munis d’un bidon d’essence – sans doute pour faire un feu de joie ? Le malheureux parvient à s’échapper. Ladj Ly clame aujourd’hui qu’il a « tout fait pour qu’il n’y ait pas de violence ». Le 2 mars 2011, le tribunal correctionnel de Bobigny condamne pourtant Amad Ly à cinq ans de prison et ses complices à trois ans chacun. En appel, ces peines seront réduites et Ladj Ly écope de deux ans dont un ferme.
Ladj Ly a payé sa dette. Nous ne confondons pas l’homme et l’oeuvre – bien que le regard du cinéaste emprunte peut-être à celui de l’ex-voyou. Si cette sinistre équipée éclaire rétrospectivement les insultes et quasi-menaces qu’il a proférées à l’encontre de Zineb et de Zemmour, il ne nous viendrait pas à l’idée d’appeler au boycott de son film.
Il faut en revanche s’interroger sur l’omerta dont il bénéficie.
Le Parisien, qui avait couvert le procès en 2011, connaissait ce sombre épisode bien avant Causeur. Sans doute n’a-t-il pas voulu gâcher les festivités cannoises avec le rappel de ces peccadilles de jeunesse.
Après la parution de notre article, la plupart des médias ont donc observé un silence de plomb. Les « facts checkers » de Libération ont toutefois confirmé l’essentiel de nos informations, tout en précisant qu’elles venaient « des médias d’extrême droite Causeur et Valeurs actuelles » (qui avait repris nos informations). Causeur est d’extrême droite : la preuve, c’est que nos valeureux vérificateurs ne l’ont jamais lu. Notons que, dans le Libé du lendemain, Causeur n’était plus qu’un « journal réactionnaire » : il y a de l’espoir. À l’instar du Monde, beaucoup se sont réveillés le 19 décembre, quand Ladj Ly a annoncé qu’il déposait plainte contre Causeur et contre Valeurs pour « diffamation » et « diffamation raciale ».
Il est vrai que nous n’avons pas été absolument irréprochables. Si les faits relatés dans notre article sont avérés, nous avons commis une erreur sur l’incrimination judiciaire. Les chefs d’inculpation initialement retenus – « enlèvement, séquestration, tentative d’assassinat et violences aggravées » – ayant été révisés à la baisse au cours de l’instruction, Ladj Ly n’a finalement été condamné que pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie d’une libération avant le septième jour ». Très à cheval sur l’exactitude (et à raison), nos excellents confrères se sont jetés sur cette erreur, dans l’espoir qu’en décrédibilisant le doigt, ils feraient oublier la lune.
Résumons. Quand Causeur publie des informations avérées sur Ladj Ly, c’est le silence radio. Quand une ex-starlette accuse sans la moindre preuve Roman Polanski de l’avoir violée il y a quarante ans, la presse en fait des caisses, des directeurs de cinéma déprogramment son film et les « facts checkers » sont aux champignons. De plus, les médias n’informent nullement leurs lecteurs sur les plaintes en diffamation déposées par Polanski1.
Cependant, le plus stupéfiant, dans cette histoire, est l’indignation à géométrie variable des féministes. Au moment où nous terminions ce numéro, elles qui poursuivent l’auteur de J’accuse d’une hargne inextinguible n’avaient rien trouvé à dire sur la participation de Ladj Ly à une expédition punitive. Dans son cas, il est visiblement permis de distinguer l’homme et l’oeuvre.
Contrairement à Ladj Ly, Polanski n’a jamais été condamné. Mais il est blanc, vieux, juif et (on suppose) riche. Il faut croire que certains coupables sont plus présentables que d’autres. •
1. À l’exception de Paris Match qui a publié le 12 décembre un long entretien avec l’auteur de J'accuse.