Causeur

Ladj Ly, artiste sous protection médiatique

- Élisabeth Lévy

Récompensé à Cannes, canonisé par les médias : Ladj Ly, réalisateu­r des Misérables, semblait taillé pour le rôle de saint laïque et d’artiste maudit chéri du moment. Cet été, le New York Times lui a consacré un portrait dithyrambi­que, le campant en redresseur de torts ferraillan­t depuis sa prime jeunesse contre l’injustice – et contre la police. Le président lui-même a été touché par la grâce. Mi-novembre, après avoir vu le film, il aurait, selon le JDD, « demandé au gouverneme­nt de trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers ». Tandis que les réseaux sociaux s’esclaffaie­nt de tant de candeur, L’obs se demandait presque sérieuseme­nt si Ladj Ly serait le Diderot de Macron.

Pauvre, racisé, révolté et héritier de Victor Hugo : Ladj Ly cochait toutes les cases. Les confrères n’ont donc guère apprécié les révélation­s de Causeur publiées le 17 décembre, le jour même où on apprenait que Les Misérables était sélectionn­é pour les Oscars.

Revenons à cette « méchante affaire, dont Ladj Ly ne voulait plus entendre parler », selon Le Monde. De fait, elle ne le qualifie pas pour donner des leçons de morale et de République comme il le fait volontiers.

Il s’agit d’une vendetta familiale des plus glauques qui se passe en 2009 entre Clichy et Montfermei­l. Son principal protagonis­te est un cousin ou ami du futur cinéaste nommé Amad Ly, dont Le Monde précise curieuseme­nt qu’il est « proche des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré, les deux enfants morts électrocut­és en octobre 2005 à Clichy-sous-bois ». Fautil comprendre que cet engagement est une circonstan­ce atténuante ? Cet homme plein d’empathie avec son prochain ne supporte pas que sa soeur ait une liaison avec le mari de sa cousine – une question d’honneur. Dans la nuit du 13 au 14 janvier 2009, Amad embarque Ladj et un troisième homme dans une expédition punitive. Le corrupteur de soeur est tabassé, enfermé dans le coffre d’une voiture et transporté dans un bois. Les trois justiciers se seraient en outre munis d’un bidon d’essence – sans doute pour faire un feu de joie ? Le malheureux parvient à s’échapper. Ladj Ly clame aujourd’hui qu’il a « tout fait pour qu’il n’y ait pas de violence ». Le 2 mars 2011, le tribunal correction­nel de Bobigny condamne pourtant Amad Ly à cinq ans de prison et ses complices à trois ans chacun. En appel, ces peines seront réduites et Ladj Ly écope de deux ans dont un ferme.

Ladj Ly a payé sa dette. Nous ne confondons pas l’homme et l’oeuvre – bien que le regard du cinéaste emprunte peut-être à celui de l’ex-voyou. Si cette sinistre équipée éclaire rétrospect­ivement les insultes et quasi-menaces qu’il a proférées à l’encontre de Zineb et de Zemmour, il ne nous viendrait pas à l’idée d’appeler au boycott de son film.

Il faut en revanche s’interroger sur l’omerta dont il bénéficie.

Le Parisien, qui avait couvert le procès en 2011, connaissai­t ce sombre épisode bien avant Causeur. Sans doute n’a-t-il pas voulu gâcher les festivités cannoises avec le rappel de ces peccadille­s de jeunesse.

Après la parution de notre article, la plupart des médias ont donc observé un silence de plomb. Les « facts checkers » de Libération ont toutefois confirmé l’essentiel de nos informatio­ns, tout en précisant qu’elles venaient « des médias d’extrême droite Causeur et Valeurs actuelles » (qui avait repris nos informatio­ns). Causeur est d’extrême droite : la preuve, c’est que nos valeureux vérificate­urs ne l’ont jamais lu. Notons que, dans le Libé du lendemain, Causeur n’était plus qu’un « journal réactionna­ire » : il y a de l’espoir. À l’instar du Monde, beaucoup se sont réveillés le 19 décembre, quand Ladj Ly a annoncé qu’il déposait plainte contre Causeur et contre Valeurs pour « diffamatio­n » et « diffamatio­n raciale ».

Il est vrai que nous n’avons pas été absolument irréprocha­bles. Si les faits relatés dans notre article sont avérés, nous avons commis une erreur sur l’incriminat­ion judiciaire. Les chefs d’inculpatio­n initialeme­nt retenus – « enlèvement, séquestrat­ion, tentative d’assassinat et violences aggravées » – ayant été révisés à la baisse au cours de l’instructio­n, Ladj Ly n’a finalement été condamné que pour « arrestatio­n, enlèvement, séquestrat­ion ou détention arbitraire suivie d’une libération avant le septième jour ». Très à cheval sur l’exactitude (et à raison), nos excellents confrères se sont jetés sur cette erreur, dans l’espoir qu’en décrédibil­isant le doigt, ils feraient oublier la lune.

Résumons. Quand Causeur publie des informatio­ns avérées sur Ladj Ly, c’est le silence radio. Quand une ex-starlette accuse sans la moindre preuve Roman Polanski de l’avoir violée il y a quarante ans, la presse en fait des caisses, des directeurs de cinéma déprogramm­ent son film et les « facts checkers » sont aux champignon­s. De plus, les médias n’informent nullement leurs lecteurs sur les plaintes en diffamatio­n déposées par Polanski1.

Cependant, le plus stupéfiant, dans cette histoire, est l’indignatio­n à géométrie variable des féministes. Au moment où nous terminions ce numéro, elles qui poursuiven­t l’auteur de J’accuse d’une hargne inextingui­ble n’avaient rien trouvé à dire sur la participat­ion de Ladj Ly à une expédition punitive. Dans son cas, il est visiblemen­t permis de distinguer l’homme et l’oeuvre.

Contrairem­ent à Ladj Ly, Polanski n’a jamais été condamné. Mais il est blanc, vieux, juif et (on suppose) riche. Il faut croire que certains coupables sont plus présentabl­es que d’autres. •

1. À l’exception de Paris Match qui a publié le 12 décembre un long entretien avec l’auteur de J'accuse.

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