Causeur

Le journal de l'ouvreuse

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c'est l'ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !

-

Je me rappelle en 1973, quand le metteur en scène Giorgio Strehler étrennait ses Noces de Figaro à Versailles avant de les envoyer à Paris, les conservate­urs affolés dénombraie­nt les fissures. Si bien, qu’échaudés, les gardiens tenaient en joue le pauvre Jorge Lavelli venu monter Les Arts florissant­s de Charpentie­r pour clore le sommet du G7 en 1982. Et dix ans plus tard, Pier Luigi Pizzi hululait parce que les guides ne voulaient pas quitter la salle pendant qu’il répétait Armide. « La ferme ! Vous êtes dans un théâtre ! » Non monsieur, répondait l’écho, « vous êtes dans un musée ».

C’était l’opéra royal. Pas si royal vu que Louis XIV ne l’a jamais construit et que Louis XV s’est mollement laissé faire. Entre l’inaugurati­on en mai 1770 et le 14 juillet 1789, à peine 40 spectacles, bals compris. Encore moins sous les rois, empereurs et république­s à suivre. D’ailleurs le gentilhomm­e bourgeois Louisphili­ppe sait bien qu’il n’est chez nous de théâtre que parisien : c’est lui qui, en 1837, décide que l’opéra de Versailles sera musée. En 1871, quand Paris flambe, le voilà converti en Assemblée nationale. Puis en Sénat. N’importe quoi sauf une salle de spectacle. Jusqu’à la visite d’elizabeth II en 1957. C’est à ce moment que les Beaux-arts repeignent les balcons en bleu et or comme au règne de Louis.

Un visiteur-ci, un congrès-là, chaque fois le gouverneme­nt promet, chaque fois le théâtre se rendort. Trop loin, trop petit, trop vieux, trop fragile. Jusqu’à l’arrivée en 2007 d’un ex-ministre justement, Jeanjacque­s Aillagon, président du domaine jusqu’en 2011. Quatre petits ans qui bougent tout. Patron

d’un établissem­ent public, mais pote à Pinault, Aillagon d’une main expose Jeff Koons, de l’autre restaure le théâtre pour en faire… un théâtre. Son ancien conseiller Laurent Brunner se chargera de convertir le musée immuable en ruche inlassable. Comme disait Offenbach, « pourvu qu’ce soit bon et qu’ça n’coûte rien ».

Donc zéro subvention directe. En 2008 Laurent Brunner joint à l’établissem­ent public une filiale privée, Château de Versailles Spectacles. Son principe : pendant l’été, grandes eaux, fiestas, touriste bizness, il engrange 20 millions d’euros. Puis, il paie sa redevance au domaine, mais garde ses millions et rameute quelques mécènes pour financer la saison. La saison ? À peine croyable. 35 représenta­tions en 2009, 110 aujourd’hui. Tenez, le programme de mars : pour la couleur locale deux opéras bourbons, Circé du romanesque Desmarest sur des vers de madame de Saintonge (1694) et la Sémiramis du mousquetai­re Destouches (1718) ; pour les deux cents ans de Beethoven, ses cinq concertos et neuf symphonies en une semaine ; pour le glamour, récitals de Philippe Jaroussky (le 9) et Cecilia Bartoli (le 30). Tout ça oui, rien que mars. Car ce n’est pas fini. Savez-vous à quoi se prépare la bonbonnièr­e de l’architecte Gabriel ? Au Ring de Wagner, si, si. En concert, mais tout entier, venu de Sarrebruck (prologue le 6 juillet). Quant aux artistes, ils se nomment Françoisxa­vier Roth, Jordi Savall, John Eliot Gardiner, Sabine Devieilhe, Alexandre Tharaud, Renaud Capuçon, qui partagent l’affiche avec des bébés en pleine croissance à qui le château fait confiance. Et du ballet, et des disques, et des films… quelle santé ! 1770-2020 : au moins une maison qui ne fait pas son quart de millénaire. •

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France