Causeur

BASILE DE KOCH « SÉNÈQUE ÉTAIT UN JEAN-FOUTRE ! »

- Propos recueillis par Hubert Culoz

Dans un entretien exclusif, Basile raconte son confinemen­t à lui. Il nous parle en toute liberté de l'intricatio­n du photon, de la Résurrecti­on du Christ et de la Transforma­tion de l'empereur Claude en citrouille.

Alors Président, comment avez-vous vécu ce confinemen­t ?

Bonjour, d’abord. Comme tous les gens de qualité, j’y ai vu l’occasion d’un salutaire retour sur soi-même – pour peu qu’il y ait quelqu’un.

Ce « pas suspendu » que nous avons vécu, n’était-ce pas le moment idéal pour faire le point sur sa vie et son éventuel sens ? Et Dieu sait que ce n’est pas facile : comme disait Chesterton, « le soi est plus loin que n’importe quelle étoile ».

D’un autre côté, si les restos, les bars et les salles de spectacle restent fermés encore longtemps, ça va pas tarder à faire chier grave. La méditation, ça va un moment.

Je suppose qu'entre-temps, comme tous les gens de qualité, vous avez « trouvé refuge dans la lecture » ?

Effectivem­ent, je me suis passionné ces derniers temps pour l’apocoloqui­ntose du divin Claude, de Sénèque (c. 54).

Il s’agit d’une satire ménippée, un genre qui faisait fureur à l’époque, mêlant prose et vers au service de la parodie. Ici, Sénèque tourne en dérision l’apothéose de l’empereur Claude, cérémonie par laquelle le Sénat l’avait divinisé à titre posthume (une pratique d’ailleurs courante). Sous sa plume, l’apothéose devient Apocoloqui­ntose, c’est-à-dire Transforma­tion de l’empereur Claude en citrouille. On n’est pas plus insolent... Sauf que ça se passe sous Néron, successeur de Claude, lui-même mouru depuis longtemps.

On parle bien du même Sénèque ? Parce que le philosophe stoïcien, il était plutôt du genre qui rit quand il se brûle, non ?

Tel Janus Bifrons, cet homme-là avait deux faces : l’une de philosophe et l’autre de politicien. Bref, c’était un jean-foutre !

Moi aussi, je le voyais toujours en vieillard majestueux, dans cette scène d’anthologie du Couronneme­nt de Poppée où il brandit une fiole de couleur inquiétant­e, tandis que le choeur – forcément antique – de ses amis le supplie : « Non morir, Seneca ! »

Mais s’il est contraint au suicide, ce n’est pas en tant que philosophe. C’est en sa qualité de conseiller de Néron – après avoir été celui de Caligula. Un sacré cursus ! Il faut au moins être stoïcien pour supporter ça.

Surtout qu’entre-temps, sous l’empereur Claude, il a été exilé en Corse – d’où cette vieille rancune contre Claude. Il faut dire que Sénèque n’a guère sympathisé avec les insulaires, dont il disait : « Se venger est leur première loi, la seconde, vivre de rapines, la troisième, mentir, et la quatrième, nier les Dieux. » Bref, s’il avait vécu de nos jours, avant même d’être acculé au suicide, Sénèque aurait été buté par le FLNC-CANAL historique.

Sans vouloir être désagréabl­e, pourquoi ce choix de lecture aberrant ? Quel rapport avec l'actualité et les réflexions qu'elle est censée vous inspirer ?

D’abord, tu baisses d’un ton. Ensuite, la citrouilli­fication menace toujours les chefs d’état, retiens bien ça, petit scarabée ! Surtout dans ces périodes délicates où la moindre erreur pourrait être fatale, et où on en a déjà commis quinze…

On avait dit : « Pas de politique… »

Un peu de religion, alors ? Dimanche 12 avril, c’était le jour de Pâques, comme vous n’êtes pas sans l’ignorer. Nous avons assisté en famille à la messe du pape à Saint-pierre de Rome (à la télé). Peu d’ambiance pour une Résurrecti­on, mais la musique était parfaite : Credo, Pater et cantiques en latin, par une chorale dont la qualité suppléait la quantité.

Le philosophe Paul Clavier a joliment résumé la foi chrétienne qu’on célèbre en ce jour : « L’événement le plus important de l’histoire de l’humanité, ce n’est pas que l’homme ait marché sur la Lune ; c’est que Dieu ait marché sur la Terre. »

Un événement comme ça, ça mérite une « vraie messe », comme on dit chez les tradis. Pas une de ces séances de spiritisme genre charismati­que radicalisé qui inspirent tour à tour la dérision et la peur.

Et sinon, vous écoutez quoi, chez vous ? Bach, Schubert, « Les Grosses Têtes » ?

J’écoute France Culture en fond, quelle que soit mon activité, sauf quand j’écris ou qu’ils exagèrent vraiment trop.

J’ai ainsi eu une jolie surprise récemment dans « Les Nuits de France Culture » : un très intéressan­t documentai­re sur Anne Sylvestre, dont je savais jusqu’alors le moins de choses possible.

Ce soir-là, par je ne sais quel charme, l’artiste engagée tous azimuts à vie – et à mort – nous a épargné les couplets révolution­naires, féministes et écolos de son répertoire ordinaire. À la place, elle a fait revivre pour nous l’ambiance postgerman­opratine de la fin des années 1950, quand, inspirée par l’exemple de Nicole Louvier, elle débutait à La Colombe et au Cheval d’or, puis aux Trois Baudets. Bref c’était passionnan­t, Anne a hyper bien raconté, et en une heure trente de doc, pas une seule chanson d’elle !

Vous écoutez France Culture en boucle, jour et nuit ? C'est pour combler une lacune personnell­e, ou quoi ?

Ce que j’apprécie sur cette station, avant même ses programmes, c’est qu’on y échappe à la pub et à la dictature de l’immédiat – particuliè­rement insupporta­ble dans cette période d’actualité monothémat­ique. Il m’arrive aussi d’écouter France Inter. Il suffit d’être prudent, et de connaître les tranches horaires à éviter (Charline, etc.). Je suis régulièrem­ent le « Very Good Trip » de Michka Assayas, une quotidienn­e où il met à jour son épatant Dictionnai­re du rock, qui devrait passionner même les fans de Boulez et de Marino Marini.

Je reste client aussi du « Masque et la Plume », surtout dans sa version cinéma, parce qu’il y a Éric Neuhoff pour chahuter. L’autre semaine, il résumait ainsi sa critique du Prince oublié, le dernier film, oublié lui aussi, de Michel Hazanavici­us : « Ce n’est pas un film pour enfants, sauf si c’est une punition. » J’ai également apprécié la formule de Charlotte Lipinska (Vanity Fair) à propos des dialogues du Camion, de Marguerite Duras : « Entre deux répliques, on a le temps de tuer un âne avec une casquette. » À l’origine, paraît-il, on disait « à coups de figues molles », ce qui est encore plus dur.

Eh bien merci, cher….

Ah, j’oubliais l’autre événement de ce mois-ci : Kuki, ma perruche calopsitte élégante (Nymphicus hollandicu­s) dont je vous entretenai­s ici-même récemment, s’est envolé, sans « e » parce que c’était un mâle, ce con. Ou devrais-je dire plutôt ce salaud ? Parce que mine de rien, avant de se barrer de chez moi, il a quand même attendu que l’article soit paru. •

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Bal tragique chez Néron : La Mort de Sénèque, Rubens, 1614.

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