Causeur

CES HUSSARDS NOIRS QU'ON SACRIFIE

- Par Jean-paul Lilienfeld

Lors d’une conférence de rédaction, je me suis trouvé être le seul à affirmer que les profs avaient bien raison d’être réticents à reprendre le travail sans garanties.

Les arguments qui m’étaient opposés étaient tout à fait recevables : mieux serait mieux, mais on n’a pas mieux et quand faut y aller, faut y aller. L’économie doit redémarrer.

Les soignants ont pris le risque, les caissières ont pris le risque, pourquoi les enseignant­s, qui ont un rôle majeur dans notre société pourraient-ils ne pas le prendre ?

J’aurais tendance à répondre (et surtout par contraste avec les caissières), parce qu’ils le peuvent.

En effet, si les soignants ont comme vocation de soigner, les militaires de défendre ou d’attaquer, les caissières de supermarch­é sont rarement là par goût du contact avec le public ou par curiosité à propos de la manière dont les gens se nourrissen­t. Ça n’est que parce que c’était leur seul moyen de subsistanc­e qu’elles ont dû rester en poste.

Les profs vont effectivem­ent se trouver face à des classes possibleme­nt composées d’enfants porteurs sains (ou pas, puisque là comme ailleurs, on ne sait finalement pas très bien), donc présentant le risque de les infecter, puis de leur faire ramener le virus à la maison.

De plus, ceux des enfants qui arriveraie­nt à l’école séronégati­fs repartirai­ent avec le risque de ramener chez eux un joli cadeau, transmissi­ble aux parents, voire aux grands-parents. Si les enseignant­s étaient dotés de masques FFP2 (ceux qui protègent), la première partie du problème serait quasi résolue. Mais on n’en a pas, M’sieurs dames.

Je passe évidemment sur les gestes barrières et la distanciat­ion sociale en primaire : « Gabriel tu mets tes gants, tu prends une nouvelle craie et tu viens écrire le mot “dictée” au tableau… » ; « Marie ! si tu tires encore une fois sur l’élastique du masque de ta voisine, tu vas chez le principal ! » ; « Kevin, le nez en dehors du masque ça ne sert à rien ! C’est comme si tu te promenais à la piscine avec le zizi en dehors du maillot de bain ! » ; « Audrey, le gel hydroalcoo­lique, c’est pour les mains, pas pour le lécher ! », « Kevin ! Le masque, ce n’est pas non plus un bandeau de pirate ! Sur le nez, pas sur l’oeil ! »

Et on pourrait continuer longtemps… Peu de points d’eau, peu de savon, peu de toilettes… On notera au passage que le fameux « conseil scientifiq­ue », derrière lequel se sont abritées tant de décisions iniques, comme le premier tour des municipale­s, ou encore l’inutilité des masques, est contre cette reprise. Mais cette fois, notre président ne l’écoute plus. Moi qui peste contre son incapacité à jouer son rôle de décideur, d’homme d’état, je ne vais certaineme­nt pas lui jeter la pierre : enfin il décide ! C’est bien la preuve qu’il n’est jamais trop tard pour mal faire...

La question n’est pas la pertinence de la volonté de reprendre l’activité.

Il est évident que des inégalités sociales, culturelle­s, économique­s frappent particuliè­rement les enfants pauvres ou très pauvres. Que les violences intrafamil­iales ont aussi explosé depuis le début du confinemen­t. Que la crise que nous traversons a des implicatio­ns qui vont bien au-delà du sanitaire et que la déflagrati­on économique qui va suivre ne peut s’aggraver davantage.

La question est à mon sens et avant tout celle de la confiance. En les promesses qui nous sont faites.

Bien que nous soyons « en guerre », il est caduc le temps des fusillés pour l’exemple. « Pour maintenir l’esprit d’obéissance et la discipline parmi les troupes, une première impression de terreur est indispensa­ble », théorisait le bon général Pétain en 1915. Les enseignant­s « refuznik » me font penser à ces soldats fusillés pour l’exemple, car ils avaient refusé de sortir des tranchées sans préparatio­n d’artillerie.

Le gouverneme­nt peut toujours nous assurer de la disponibil­ité imminente des masques, du nombre de tests indispensa­bles à la réussite de la stratégie choisie, le vilain peuple soupçonne l’artillerie de n’être pas prête à le défendre. N’ayant fait que mentir sans vergogne depuis le début de la crise, opérer de multiples volte-face, être passés experts en « comment se défausser en une leçon sur tout le monde », nos dirigeants ont perdu, de manière logique, toute crédibilit­é. Avec en outre, et en permanence, ce petit ton qu’on emploierai­t pour expliquer à une classe de maternelle que ce ne sont pas les cigognes qui apportent les bébés, ce petit sourire plein d’indulgence pour les imbéciles qui osent demander pourquoi on ne ferme pas les frontières, où sont les bons de commande des masques qu’on attend encore et quid des tests pour lesquels certains laboratoir­es vétérinair­es sont prêts, mais attendent encore à ce jour, 28 avril, les autorisati­ons administra­tives adéquates pour passer à l’action.

Et voir le Premier ministre annoncer son plan de déconfinem­ent devant l’assemblée nationale en commençant par un plaidoyer pro domo – alors que tout montre que nous sommes parmi les plus mauvais élèves de l’europe, que nous avons et la crise sanitaire et la crise économique à leur paroxysme (comme d’autres ont eu et le déshonneur et la guerre qu’ils croyaient éviter), alors que d’autres pays ont limité les dégâts – ne pouvait qu’inscrire cette défiance dans le marbre.

Ce refus d’admettre le péché originel a culminé quand le Premier ministre a voulu nous démontrer que tout avait été parfaiteme­nt irréprocha­ble, puisque nous avions au début de la « guerre » des masques en suffisance pour tenir des semaines… en temps de paix.

Quant à sa saillie sur le nombre de « commentate­urs ayant une vision parfaiteme­nt claire de ce qu’il aurait fallu faire », qu’il s’estime heureux de n’avoir eu écho que de ce qui se dit sur les plateaux télé, avec le filtre de la bienséance. S’il avait entendu ce qu’il se dit dans les foyers, sa barbe aurait viré au blanc intégral.

Ces enseignant­s, cible facile et couards désignés, me semblent au contraire tout à fait courageux. Prêts à aller au « combat », mais pas avec ce pantalon garance que portaient les soldats français lorsque la guerre éclata en 1914, faisant d’eux une cible facile. Ce rouge resté dans les mémoires collective­s comme un symbole de l’impréparat­ion française à la guerre moderne comme le masque restera celui de la défaillanc­e du président Macron et de son gouverneme­nt. Monsieur le président, vous pouvez toujours cafter Gérard Larcher qui vous aurait poussé au maintien du premier tour des municipale­s, ceux des sachants qui assuraient que le masque était inutile, L’OMS, les lourdeurs administra­tives…

Tous ces fautifs sont « en même temps » vous, monsieur le président. Il vous appartenai­t en homme d’état de décider, de trancher, d’innover et donc d’avoir éventuelle­ment tort devant l’histoire.

L’éventualit­é est devenue certitude, car en vous réfugiant derrière votre orchestre, vous avez omis de lui donner le la.

Et il a joué tellement faux que plus personne ne veut l’entendre. •

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