Causeur

Le regain de mémoire

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Le Procès, de Georg Wilhelm Pabst À retrouver dans le coffret Le Mystère d'une âme, édité par Tamasa

De G. W. Pabst, immense cinéaste autrichien, on croit tout connaître et tout savoir parce qu’on a vu notamment Loulou, La Rue sans joie et L’opéra de quat’sous et que l’on associe son nom à ceux de Greta Garbo et Louise Brooks. Mais on est loin du compte, comme l’édition récente d’un coffret de 12 films en DVD nous permet de le mesurer. On y retrouve certes ces classiques-là et ces égéries superbes. On y découvre surtout d’autres pépites méconnues ou restées dans l’ombre au sein d’une filmograph­ie que la Seconde Guerre mondiale a fracturée de l’intérieur.

Pabst commence sa carrière de cinéaste dans les années 1920 et se fait remarquer très vite avec La Rue sans joie (1925), terrible descriptio­n de la Vienne d’après-guerre. Les succès s’enchaînent ensuite, dont le plus important, Loulou, ainsi qu’une charge très violente contre le militarism­e ambiant en 1930 avec Quatre de l’infanterie. En 1933, en raison du climat politique autrichien, Pabst émigre à Paris, mais sa carrière française n’engendre que des films mineurs. Et, juste avant le déclenchem­ent de la guerre, il reçoit et accepte des propositio­ns de Goebbels pour qui le retour du cinéaste constitue une victoire annoncée à grand renfort de publicité. Il reste difficile d’expliquer ce reniement, même si les deux films qui en résultèren­t sont deux biopics anodins sans portée politique, sans le moindre soutien à l’idéologie nazie.

Or, en 1948, Pabst réalise en Autriche Le Procès, un projet qu’il avait déjà porté en France en 1933, mais que le climat antisémite d’alors lui avait interdit de concrétise­r. Le film raconte l’histoire du procès intenté en 1882 à toute la communauté juive d’un village austrohong­rois, accusée à tort du meurtre rituel d’une jeune fille catholique. Incendie de la synagogue, faux aveux extorqués, tortures, appels au meurtre, détention arbitraire, justice sous pression : sont rassemblés ici tous les éléments qui feront le quotidien de la montée du nazisme en Allemagne cinquante ans plus tard. C’est évidemment pour Pabst le film de la rédemption et du rachat par excellence. Il décrit la montée et la propagatio­n de la haine antisémite avec une précision d’autant plus terrible que le film déploie en parallèle un éblouissan­t travail sur la forme. La grâce et le mystère des films de Dreyer ne sont pas loin. Dans un noir et blanc somptueux, Pabst mêle sans cesse expression­nisme et impression­nisme. Loin d’être une oeuvre de circonstan­ce ou d’opportunis­me, Le Procès signe en fait le retour au cinéma d’un artiste qui a manifestem­ent mis un temps, mais quel temps, sa conscience en sommeil. Littéralem­ent ignoré en Allemagne comme aux Étatsunis où il ne trouva aucun distribute­ur, méprisé en France, mais couvert de lauriers au Festival de Venise, Le Procès sombra presque dans l’oubli. La renaissanc­e dont il bénéficie aujourd’hui grâce à l’édition de ce très beau coffret consacré à Pabst n’est que justice. Les bons esprits trouvèrent le film habile, voire manipulate­ur, alors qu’il n’est rien moins que sincère dans sa descriptio­n minutieuse d’un antisémiti­sme d’état soutenu

par les notables et les institutio­ns – dont la police et la justice notamment. Mais il est vrai que ce miroir tendu par quelqu’un qui avait failli ne saurait être recevable par les éternels tenants de la vertu totalitair­e. On peut pourtant préférer les repentis sincères aux donneurs de leçons inconséque­nts, mais permanents. Sur grand écran comme ailleurs. Deux autres films suivants de Pabst, présents dans le coffret, s’inscrivent dans cette même veine, mais avec moins de force toutefois. Tous deux, tournés en 1955, ont en effet Hitler pour figure essentiell­e à travers ses derniers jours (La Fin d’hitler) et l’ultime tentative d’assassinat dont il fut l’objet (C’est arrivé le 20 juillet). De facture classique, ces films prouvent à nouveau la probité et la lucidité de Pabst dont le regard s’avère désormais aussi nécessaire que talentueux. • dernier fut également le réalisateu­r d’un savoureux film avec de Funès, Sur un arbre perché. Pour l’heure, on s’intéresse donc à Un idiot à Paris, parfait récit de l’itinéraire d’un crétin, ou jugé comme tel, qu’incarne Jean Lefebvre. Mais comme souvent, le meilleur est dans les seconds rôles, comme avec la réplique susdite prononcée par le génial Robert Dalban (le larbin dans Les Tontons flingueurs), sans oublier Bernard Blier, impérial dans le rôle d’un patron autoritair­e qui ne jure que par l’assistance publique dont il vient. On ne s’en lasse pas. •

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