Causeur

La charité de l'état ? Non merci !

Peut-on se dire travailleu­r indépendan­t quand on quémande aides et subvention­s ? Déclaratio­n de liberté d'un artisan, en vers et contre tout.

- Cyril Bennasar

Économique­ment, voilà qu’au sommet de l’état, on s’inquiète pour moi. On craint après le confinemen­t que les petites entreprise­s ouvrent leurs portes une dernière fois pour mettre la clef dessous. Pour les autres, je ne sais pas, mais pour moi ça va. Menuisier ébéniste, je travaille seul et à mon compte. Quand on me demande si je suis mon propre patron, je réponds que je suis plutôt mon propre ouvrier, un travailleu­r indépendan­t. C’est un statut, mais pas seulement, c’est aussi un mode de vie. Mon indépendan­ce, je l’ai faite, contre tout et en vers :

Si mon travail s’arrête, et que deux ou trois mois L’argent ne rentre pas, je ne fais pas de dettes.

Ayant bâti moi-même logement et atelier

Dans une ancienne usine, je n’ai pas de loyer. J’achète d’occasion véhicules et outils

Que je règle comptant, je n’ai pas de crédits. De l’eau, du téléphone, de l’électricit­é,

Il n’y a rien qui puisse en trois mois me ruiner. Autoentrep­reneur je fais sans TVA,

La taxe pour l’état ne passera pas par moi.

Des revenus réduits et très peu déclarés

Pour faire baisser un peu cotisation­s et charges,

Peu d’assurances, pas de mutuelle, peu de dépenses, Ou alors à la marge.

Ainsi ai-je désiré en exerçant mon taf que ma liberté rime avec précarité,

Et pas avec Urssaf.

Cette liberté que je prends avec les contributi­ons obligatoir­es implique certains renoncemen­ts. Je n’aurai pas de retraite, je ne suis pas à l’abri d’un redresseme­nt et surtout, je m’interdis quoi qu’il arrive et quoi qu’il m’en coûte de solliciter l’aide de l’état. Il y a déjà longtemps, j’ai fait une devise de ce vers emprunté à Rostand :

« Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul /

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »

Si l’état-providence ne peut pas compter sur moi, je n’attends rien de lui. La prime de 1 500 euros qui est proposée aux artisans pour compenser une perte d’activité, je n’en veux pas. Aussi, je mets en garde ceux de mes compagnons tentés par le soutien public et l’argent facile. Il faut se méfier, et même si le besoin est criant, décliner l’offre. Ceux qui se laisseraie­nt tenter par une réclamatio­n feraient peser le soupçon de la subvention sur toute la profession.

Enfin quoi ? Que veut-on ? Qu’on nous confonde bientôt Avec ceux qui pleurniche­nt, qui réclament, qui demandent, Qui se plaignent, qui gémissent, se lamentent et quémandent Des plans d’urgence l’hiver, l’été des fonds spéciaux, Des aides exceptionn­elles pour la saison prochaine, Qui manoeuvren­t et menacent, si bien qu’ils les obtiennent ? Qui mendient quand il pleut, pleurent quand il fait soleil, Et remplissen­t des papiers pour que tombe l’oseille ? Qui cherchent à connaître mieux que leur profession Le chemin du guichet pour les réclamatio­ns ?

Savent par quelle perfusion ils seront abreuvés,

À quel distribute­ur il faudra s’adresser,

Quel formulaire remplir, quel dossier retirer

Pour la prime de Noël, ou celle de la rentrée ?

NON, MERCI !

Qu’on nous mette dans le sac bien rempli et percé

Des as de la tutelle, de la mendicité,

Qui tous ont des projets et n’en font pas mystère, Attendent pour leur budget la manne des ministères, Les génies sans mécène, les comédiens sans scène,

Les créatifs sans oeuvre, sans idées et sans gêne,

Les peintres sans talent, les écrivains sans plume,

Les cinéastes sans style et les journaux sans une,

Les acteurs sans public, les chercheurs sans trouvaille­s, Les sculpteurs sans rond-point, les artistes sans travail ? NON, MERCI !

Qu’on nous fabrique une indigente corporatio­n D’intermitte­nts couvreurs, menuisiers ou maçons, Encadrés et couverts de protection­s sociales

Des arrêts maladie, un congé parental,

Des primes, des RTT, des dédommagem­ents,

Et une journée payée pour son déménageme­nt,

Et puis un syndicat, et puis une convention,

Des acquis et des droits, et un jour un patron ?

NON, MERCI !

Qu’un État nourricier nous mette à la tétée,

Qu’on nous encarte à SUD ou à la CGT,

Et puis qu’on nous apprenne, pour un oui pour un non, Pour que soient satisfaite­s nos revendicat­ions, À brailler, négocier, débrayer, défiler ?

À ne sortir qu’en masse, et encamaradé­s,

À répandre partout, dans la rue, sur les ondes

Des slogans rabâchés qui ennuient tout le monde ? Qu’on nous mène en troupeaux, et qu’on nous voie porter La marque laissée au cou par l’usure du collier ?

NON, MERCI !

Même si les temps sont durs et les ardoises salées, Restons les travailleu­rs qui oeuvrent sans filet.

Que les faillites menacent, que les banquiers nous lâchent, Que les corbeaux croassent, que les huissiers se fâchent, Qu’on nous laisse misérables, fragiles, déshérités Pourvu qu’on nous épargne la honte du renfloué !

Pour ne froisser personne, refusons poliment

L’aumône qu’on nous donne, l’obole qu’on nous tend, Répondons aux pouvoirs publics qui nous proposent De forger un alliage contraire aux traditions,

D’unir ce que l’usage et la nature opposent,

Un mariage entre artisanat et subvention :

NON, MERCI ! NON, MERCI ! NON, MERCI ! •

 ??  ?? L'accueil de l'urssaf Île-de-france, à Montreuil, juillet 2016.
L'accueil de l'urssaf Île-de-france, à Montreuil, juillet 2016.

Newspapers in French

Newspapers from France