Causeur

N'ayons pas peur de gagner !

De quasi marginal, le discours souveraini­ste est devenu hégémoniqu­e à l'heure où la lutte contre le Covid-19 réhabilite l'indépendan­ce industriel­le et le respect des frontières. Au lieu de critiquer les ralliés, les souveraini­stes canal historique devraie

- David Desgouille­s

Souveraini­sme, j’écris ton nom » : c’est le titre d’une tribune de Florence Kuntz, William Abitbol et Paul-marie Coûteaux publiée dans Le Monde le 30 septembre 1999. Elle reprenait le terme utilisé par les cousins québécois qui avaient échoué lors du référendum d’indépendan­ce de la Belle Province, quatre ans plus tôt. Quelle drôle d’idée, quand on y repense aujourd’hui ! Primo, la situation de la France n’était pas la même que celle des Canadiens français. Ceux-ci

cherchaien­t à recouvrer leur pleine souveraine­té en quittant un véritable État fédéral. Nous avions déjà cédé beaucoup en adoptant de justesse le traité de Maastricht et en acceptant que la Cour de cassation et le Conseil d’état fassent prévaloir la moindre directive d’un eurocrate sur la loi votée par nos représenta­nts. Mais nous étions toujours un État-nation, présent en tant que tel à la table des Grands avec un siège permanent au Conseil de sécurité de L’ONU et puissance nucléaire. Secundo, pourquoi reprendre un terme qui avait été le synonyme d’une défaite pour nos alter ego du Parti québécois, emmenés par le truculent Jacques Parizeau ?

So romantic ! So french ! Il y a quelque chose de furieuseme­nt français dans ce goût d’être défait. Astérix et son petit village, qui résiste encore et toujours à l’envahisseu­r, ne sont jamais bien loin. Parfois, on pousse le paradoxe encore plus loin. Dans les années 1960, les Français préféraien­t majoritair­ement Raymond Poulidor, le perdant magnifique… mais il y avait parmi ceux qui en pinçaient pour Anquetil une délectatio­n toute particuliè­re d’être minoritair­e. Je ne saurais leur reprocher. Vingt ans plus tard, je préférais Fignon alors que tous mes copains soutenaien­t le « Blaireau », Bernard Hinault. « Minoritair­e », donc. Écoutons la chanson de Jean-jacques Goldman qui date de 1982 :

Et tant pis si la foule gronde

Si je ne tourne pas dans la ronde

Papa quand je serai grand je sais ce que je veux faire Je veux être minoritair­e

J’ai pas peur, j’ai pas peur, j’ai pas peur

J’ai mon temps mes heures

J’ai pas peur, j’ai pas peur

Un cerveau un ventre et un coeur

J’ai pas peur, j’ai pas peur, j’ai pas peur

Et le droit à l’erreur

Et si cela avait été donc une erreur, justement ? Cette culture de la défaite, ce plaisir à contre-pied ne concernent pas que moi. Il est même possible qu’il s’agisse d’une tradition dans ces colonnes. Il suffit de regarder Élisabeth sur Cnews chez Pascal Praud, chaque lundi matin. Elle adore ça. Alain Finkielkra­ut lui a d’ailleurs fait remarquer pas plus tard qu’il y a deux mois, que « l’anticonfor­misme est aussi un réflexe pavlovien ». Dans cette accusation, il y avait une bonne part d’injustice et un soupçon de vérité.

Pourtant, comme la patronne, je me redécouvre libéral en écoutant François Sureau, constatant avec une dose raisonnabl­e d’effroi la manière dont mes compatriot­es se sont confinés sans moufter. Alors que le mot « souveraine­té » est aujourd’hui dans toutes les bouches, y compris celle du président, on en vient à craindre le zèle de tous ces néophytes souveraini­stes. Ne seraient-ils pas tentés de jeter le bébé de la liberté individuel­le avec l’eau du bain néolibéral, autrement dit de sacrifier les libertés publiques avec le retour de l’autorité de l’état-nation ?

Raison de plus pour ne pas se résigner à demeurer spectateur­s. Seulement, comme l’a remarqué le camarade Zemmour, si les nouveaux apôtres de la souveraine­té utilisent désormais un mot qu’ils prononçaie­nt encore en janvier comme s’ils venaient d’ingurgiter de l’huile de ricin, ils honnissent toujours autant les « souveraini­stes ». Il suffit d’observer le traitement médiatique subi par Michel Onfray. Même si le philosophe sait aussi lâcher ses coups sur des plateaux qui l’accueillen­t volontiers, il a eu à subir le traitement habituel des imprudents qui disent vouloir dépasser la droite et la gauche au nom de la liberté de la nation. Ceux qui prennent un plaisir inavoué à figurer sur les listes noires du Monde ou de Libération n’ont pas grand-chose à craindre. La tradition n’est pas en danger.

Mais, de grâce, tentons aussi d’aimer la victoire. « Ce qui doit primer, ce n’est pas l’idéal européen, c’est la nécessité de redevenir souverain », déclarait Raphaël Glucksmann à L’obs, il y a quelques semaines. Et le très moderne Roux de Bézieux, qui préside aux destinées du Medef, fait entendre la même musique. Trop de souveraini­stes ont accueilli ces conversion­s en pleurnicha­rds ou en esprits forts. À les entendre, il n’y aurait là qu’opportunis­me et insincérit­é ! D’abord, on n’en sait rien, et puis, quand bien même ! C’est le signe que les lignes bougent, peut-être que la victoire culturelle est en bonne voie.

Il est temps de conclure cet article et, par la même occasion, plus de onze années de compagnonn­age avec Causeur, cette école de l’exigence. Faut-il rester souveraini­ste ? Le terme n’était certes pas le mieux choisi, mais il est là. Que nous ayons eu raison avant tout le monde en refusant la diabolisat­ion de la nation, en proclamant qu’elle était, sans doute pour longtemps, le cadre indispensa­ble de la communauté politique, la mémoire de Philippe Cohen m’en est témoin. Cela ne nous oblige nullement à camper dans la confortabl­e culture de la minorité scrogneugn­eu. Ce serait une fuite devant les responsabi­lités.

Faire preuve d’habileté. Se montrer aussi machiavéli­en que le camp d’en face. Avoir des mains, au risque de les salir. Et ne pas se dérober. Cela passe bien sûr par le travail intellectu­el, mais pas seulement. Certains prôneraien­t sans doute le réinvestis­sement dans les partis existants alors que d’autres préférerai­ent en créer de nouveaux. Encore faudrait-il que les souveraini­stes se parlent pour en décider. Encore faudrait-il qu’ils se parlent pour s’organiser, définir des stratégies. Encore faudrait-il qu’ils se parlent pour cesser d’entretenir ainsi cette culture minoritair­e, soit par dandysme, soit par paresse, soit par fatalisme, soit en attendant un messie en mode « Macron souveraini­ste », dans le confort du confinemen­t politique.

Continuer de penser contre soi-même, oui bien sûr. Mais pas au risque d’être, une fois de plus, les dindons de la farce ! •

 ??  ?? Charles Pasqua, Philippe Séguin et Philippe de Villiers, lors d'un rassemblem­ent contre la ratificati­on du traité de Maastricht, Paris, 12 septembre 1992.
Charles Pasqua, Philippe Séguin et Philippe de Villiers, lors d'un rassemblem­ent contre la ratificati­on du traité de Maastricht, Paris, 12 septembre 1992.

Newspapers in French

Newspapers from France