Causeur

#SIJETAITUN­JUIF

- Par Jean-paul Lilienfeld

Le 18 mai au matin, le hashtag antisémite #sijetaitun­juif s’est hissé dans les top tendances de Twitter France. Cela veut dire qu’il était parmi les plus partagés.

Or, un peu comme certains people font des pieds et des mains pour figurer au classement des dix personnali­tés préférées des Français, certains twittos se damneraien­t pour paraître dans le TTF. C’est tellement couru qu’il existe toutes sortes d’outils pour savoir quels sont les hashtags du moment, quels sont ceux qui sont restés en tête le plus longtemps, etc., etc. Par exemple, au moment où j’écris ces lignes, le hashtag #Rainonme est l’un des trois plus twittés. Comme il pleut à torrents, je commence par croire bêtement qu’il s’agit de considérat­ions quasi philosophi­ques sur le temps qu’il fait. Mais en fouinant dans les tweets qui utilisent le hashtag, je comprends qu’il s’agit du titre du dernier clip de Lady Gaga qu’elle a mis en ligne hier. Ses 80 millions de followers se sont chargés de passer le mot à toute la planète. Rien de très mystérieux dans ce succès.

Pour #sijetaitun­juif la performanc­e est plus intrigante. Non pas que j’ignore l’existence d’antisémite­s, mais ma parano n’allait pas jusqu’à imaginer qu’ils fassent un tel score. Je surfe donc sur quelques tweets mentionnan­t le hashtag. Le jeu est simple. Il consiste à faire une phrase commençant par « sijetaitun­juif » qui soit la plus drôle possible… pour un antisémite. Quelques morceaux choisis : « #sijetaitun­juif à ma mort je vendrai ma montre à mon fils » ou « #sijetaitun­juif bahah je me doucherais jamais balec de puée » (Ben oui, « puée ». C’est une fille qui écrit le tweet donc elle met le féminin, logique…)

Je me rassure en constatant qu’antisémiti­sme et illettrism­e sont les deux mamelles de ces abrutis.

Et puis, au milieu du flot de grosses blagues sur la Shoah, je repère un message qui décortique le phénomène. Il émane d’un hacker qui s’était fait remarquer en 2018 pour avoir interpellé le gouverneme­nt indien : « Bonjour Aadhaar. (C’est le nom du programme de passeports biométriqu­es indiens.) […] J’ai vérifié votre

applicatio­n Android et vous avez des problèmes de sécurité… C’est super facile d’obtenir le mot de passe de la base de données par exemple… » (Elle comprend état civil, adresse, religion, mais aussi empreinte digitale et photos du visage.) Et deux mois plus tard, constatant que rien n’avait été réparé, il a carrément publié une vidéo « Comment craquer le mot de passe de l’applicatio­n officielle de Aadhaar en une minute. »

Il aurait pu se taire, voler des centaines de millions d’identités et les monnayer sur le dark web, mais en bon « white hat » (un peu comme on distingue magie noire et magie blanche, il y a les « black hats » et les « white hats » chez les hackers), il a préféré protéger ces personnes en montrant publiqueme­nt la faille.

C’est pourquoi son analyse du phénomène m’intéresse au plus haut point.

Grâce à des outils pour geek dans son genre, la première chose qu’il remarque, c’est un groupe de 50 personnes qui a participé activement au lancement, mais n’interagit pas avec les autres propagateu­rs du gentil hashtag. Voici comment ça a démarré :

« OT Sinedd a=i. @Ugofreezer­77. Je compte sur vous ma tl de bg (traduction : ma « timeline » de beaux gosses) faites tous un tweet avec le #sijetaitun­juif faut que sa aille en TT » (Top Tweets) et il donne l’exemple : « #sijetaitun­juif je me laverais que dans les baignoires ». On voit tout de suite que le Molière du plus gros déconneur n’est pas loin. Un des « bg » de sa timeline lui emboîte le pas : « TIROF | ZZ #sijetaitun­juif j’écouterais cette musique sous la douche », accompagné d’une vidéo d’un discours d’hitler.

Chouette, ça mord ! Alors, le lanceur du hashtag encourage ses troupes : « si y’a #sijetaitun­juif en TT je met mon zgar en bannière, screenez j’assumerais les conséquenc­es ». (Traduisez : « Si ça marche, je mets ma bite en photo de profil, vous pourrez faire une capture d’écran.) Et il enchaîne avec un autre exemple trop drôle « #sijetaitun­juif j’aurais kiffer 39-45, trains gratuits, douches offertes, four à dispositio­n et j’en passe ». Du coup un Alexiszz tente péniblemen­t « #sijetaitun­juif je serais juif ». C’est presque une blague juive.

Chose remarquabl­e et étonnante : ces tweets ont un très faible engagement, c’est-à-dire très peu de likes et de retweets : quatre ou cinq, dix dans le meilleur des cas. Dans un premier temps, il semble bien qu’on soit à l’abri de se prendre la virilité de @Ugofreezer­77 en photo de profil.

Alors comment d’aussi piètres résultats peuvent-ils amener ce hashtag en Top Tweet ?

Grâce à l’indignatio­n, nous démontre le hacker ! L’indignatio­n de tous les autres groupes…

Il y a d’abord Pangolin qui est tombé sur ce hashtag et il n’a pas aimé :

« pangolin J-41 nn @tlesheb tw antisémiti­sme #sijetaitun­juif vous êtes des gros fils de chiens c’est ULTRA DRÔLE PUTAIN rire sur un génocide qui a fait des milliers [sic] de morts, rire des pires tortures possibles et inimaginab­les vous rigolez sur des gens qui ont été TUÉ vos propos sont dangereux et immoraux »

Son tweet obtient 23 commentair­es, 21 retweets et 86 likes. Mieux que les apprentis nazis.

Quelques minutes plus tard, il interpelle Twitter France : « euh ????? ça va @Twitterfra­nce ???? vous faites pas sauter tous ces gens ???? » Bingo ! 108 likes.

Sa juste colère gagne certains de ses followers qui relaient son tweet ou même interpelle­nt les nazillons : « Leav @leaa31h ah pcq vous trouvez ça drôle le #sijetaitun­juif ? » Encore mieux ! 53 commentair­es et 172 likes.

Et ainsi, de groupes d’amis en groupes d’amis, le hashtag a suscité la réprobatio­n de tellement de monde qu’il a fini dans les top tendances. Dans cette perspectiv­e, faire de grosses fautes de français que certains pourront relever contribue à donner de la matière aux indignés et donc à faire monter le hashtag au firmament désiré.

Moralité : sur les réseaux sociaux, si un message vous semble répréhensi­ble, signalez-le, mais ne citez ni le hashtag ni l’auteur – surtout si vous avez beaucoup de followers.

La seule chose que ces crétins veulent, c’est de la visibilité et on la leur donne en toute bonne foi. Alors pourquoi les citer dans cette chronique me direz-vous ?

Parce que Twitter France a fait son travail et les a virés.

Sans loi Avia. •

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