Causeur

Didier Maïsto « Nous sommes dans une séquence prérévolut­ionnaire »

Ancien militant RPR, le PDG de Sud Radio Didier Maïsto revendique sa fibre populaire. Ce soutien inconditio­nnel des Gilets jaunes dénonce la trahison des élites politico-médiatique­s. Chroniqueu­se sur son antenne, Élisabeth Lévy lui apporte la contradict­io

- Propos recueillis par Élisabeth Lévy

Causeur. Je dois préciser que vous êtes mon employeur puisque j'officie sur Sud Radio, la station dont vous êtes PDG. Votre livre tient de l'autobiogra­phie, de la profession de foi politique et de l'investigat­ion, car vous y relatez notamment le scandale de la chaîne Numéro 231. Pour un « passager clandestin », vous n'avez pas mal réussi.

Didier Maïsto.

Je suis entré par effraction dans un certain nombre de milieux. Dans ma famille, c'était déjà compliqué. Mes parents étaient divorcés, et j'ai vécu avec mes grands-parents. Je n'ai certes pas manqué d'amour, mais j'ai dû devenir autonome très vite. À 18 ans, j'étais en hypokhâgne à Toulon, mais j'avais un peu le démon de l'aventure, je suis parti sillonner les routes d'europe pour des courses de moto avec un cousin. Ensuite j'ai repris des études de droit et de lettres. Et j'ai intégré la rédaction du Figaro Magazine.

Et vous vous êtes retrouvé au RPR…

Si, trente ans avant les Gilets jaunes, j'ai rejoint le RPR, c'était par admiration pour les idées sociales et souveraini­stes de Philippe Séguin. Étant le fruit d'une immigratio­n italienne complèteme­nt assimilée qui a pu prendre l'ascenseur social, je suis attaché à la nation française. J'adore la France avec ses excès, ses manques, ses frustratio­ns, ses affronteme­nts spectacula­ires. J'ai travaillé pour quatre députés, avec des ministres, des hauts fonctionna­ires, créé le Club du 4 novembre pour soutenir la candidatur­e de Jacques Chirac, alors que toute la classe politique et les médias étaient sous le charme d'édouard Balladur. Comme ils le seront sous celui d'emmanuel Macron en 2017...

L'élection de Chirac a été un vaste malentendu, pour ne pas dire une arnaque…

Sans doute : on avait fait campagne sur la fracture sociale, la France pour tous, bref les idées de Séguin, et on s'est retrouvé avec Juppé à Matignon !

Tout ce que vous avez vu dans le monde politique vous indigne, des accointanc­es libyennes de Patrick Ollier aux réseaux d'intérêts sur le mode « passe-moi la rhubarbe, je te file le séné ». Ce n'est pas très nouveau dans les collectivi­tés humaines.

Que des individus ou des groupes humains perdent de vue l'intérêt général, tant qu'ils ne sont pas financés par l'argent public, et tant qu'ils prennent leurs responsabi­lités dans leurs entreprise­s ou clubs sportifs, même si c'est contestabl­e sur le plan moral, ça reste leur affaire. La politique, c'est autre chose…à l'issue des années Mitterrand (une autre belle arnaque !), l'opposition prétendait incarner une volonté populaire. J'étais tout jeune, ma déception a donc été à la mesure de mes attentes. J'ai compris que le pire endroit pour faire avancer des idées, c'était un parti politique !

Tout de même, vous avez bien dû rencontrer des gens intègres, soucieux de respecter leurs promesses ?

J'ai rencontré des gens intègres, qui respectaie­nt leurs promesses… jusqu'à un certain point. Mais vous devez suivre la ligne du parti. Sinon, vous êtes broyé. D'abord parce que les investitur­es sont données par les partis politiques. Ensuite parce que la Ve République n'est pas du tout une démocratie parlementa­ire, mais une monarchie républicai­ne…

Peut-être, mais elle a la faveur des Français…

En êtes-vous sûre ? Aujourd'hui, nous assistons à un mouvement mondial de protestati­on des citoyens – désigné comme populiste –, qui exprime surtout une demande forte de participat­ion à la vie publique. Seulement, la politique est devenue un métier et même le métier de ceux qui n'en ont pas ! Et quand vous êtes payé, forcément vous n'allez pas scier la branche sur laquelle vous êtes assis...

Ce n'est pas dans la politique que l'on fait fortune de nos jours !

Je ne suis pas inspecteur des impôts, mais dès qu'on s'intéresse au sujet, on découvre des patrimoine­s immobilier­s sans commune mesure avec l'argent déclaré !

Vous évoquez une corruption endémique et généralisé­e. À supposer que cela ait existé à ce point, il n'est pas sûr que cela perdure, alors qu'on se demande parfois qui, du politique ou du juge, gouverne le pays.

Je ne suis pas non plus pour la République des juges ou l'inquisitio­n. Mais tous les citoyens doivent être jugés de la même façon. Or, les dernières affaires démontrent à quel point la justice obéit au pouvoir politique. Pour les campagnes présidenti­elles, les dépenses sont plafonnées à 22 millions, mais une campagne coûte cinq fois plus cher. Tout le monde le sait et pourtant la Commission des comptes de campagne et le Conseil constituti­onnel valident tout. Au bout du bout, les élus sont rarement inquiétés. Et on peut découvrir des années plus tard que des gens qu'on pensait être des parangons de vertu cachaient des choses. Pensez aux comptes en Suisse de Raymond Barre… →

Les comptes en Suisse, c'est une chose, les finances de campagne une autre. Et puis, trouvez-vous que Nicolas Sarkozy n'a jamais été inquiété ? On a écouté ses conversati­ons avec son avocat, espionné d'autres avocats, Mediapart ne le lâche pas d'une semelle et il n'y a pas de condamnati­on. Alors, si la justice est aux ordres, c'est à ceux de l'opinion et des médias, pas du pouvoir.

La justice est aux ordres… et les ordres changent en fonction des majorités. En dépit du retentisse­ment médiatique, on s'intéresse à des détails. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, l'histoire du juge de Monaco est croquignol­esque, mais dérisoire. Ce qui est beaucoup plus important, ce sont les rapports qu'il a eus avec Mouammar Kadhafi, les possibles potentiels financemen­ts, l'accueil qu'on lui a réservé, alors que c'était un terroriste internatio­nal.

On a négocié l'accueil contre un arrêt de son soutien au terrorisme. C'était peut-être une mauvaise décision politique (quoique), pas une faute pénale.

Mais Kadhafi a été assassiné – je pèse mes mots – et les mêmes qui allaient se prosterner sous sa tente gardée par ses fameuses Amazones – en réalité ses esclaves sexuelles dont certaines avaient à peine 14 ans – ont applaudi au nom des droits de l'homme. Quant au terrorisme, il se développe partout. On a eu la défaite, plus le déshonneur.

Kadhafi n'était pour rien dans les attentats de L'EI. Cela dit, voulez-vous vraiment être gouvernés par des gens exemplaire­s et ternes ?

Que nous ayons des dirigeants hauts en couleur, dotés d'une faconde mode Balkany, impolis comme peut l'être Sarkozy, très bien. Les comporteme­nts et les paroles à la Audiard, c'est truculent, c'est la France, on aime ça, on préfère des élus qui nous ressemblen­t, et qui ne soient pas tout gris. Mais on peut aussi être tout cela, tout en restant honnête.

La plupart des gens ne sont pas malhonnête­s, sans être honnêtes à 100 %. Vous confondez les petits manquement­s et la corruption de haut vol, le financemen­t politique et les comptes en Suisse. Du coup, le monde est divisé entre les voleurs et les volés. Cette conception est très largement partagée par les Gilets jaunes. Dès le début du mouvement, vous êtes, racontez-vous, redevenu journalist­e. Téléphone portable en main, vous avez relaté tout ce que vous voyiez. Et vous écrivez : « J’aime les Gilets jaunes, sans restrictio­n. » Aucun rédacteur en chef ne demanderai­t à un journalist­e un reportage sur la femme qu'il aime. L'amour rend aveugle…

Ne soyez pas manichéenn­e avec moi comme l'ont été les médias mainstream avec les Gilets jaunes ! Je ne sais pas si je suis aveugle, mais la répression a quand même fait 25 borgnes. Ça, c'est la réalité.

Ne soyez pas manichéens avec les médias. Comme souvent, ils ont commencé par adorer, puis ils se sont lassés. Comme beaucoup de Français…

Les médias mainstream n'ont jamais « adoré ». Leurs principaux animateurs, de Patrick Cohen à Jeanmichel Aphatie, ont eu des propos terribles dès le début, sans jamais aller sur le terrain. Le service public n'a pas été en reste. Renaud Dély (France Info) a parlé de « vermine » et Roselyne Febvre, cheffe du service politique de France 24 a évoqué « une espèce d’écurie de branquigno­ls », avec « un goût pour la violence, l’antisémiti­sme, le racisme, le complotism­e, bref tout ce qu’il y a de pire chez l’homme ». Je ne l'ai pas inventé.

Ça, ce n'était pas au début. Mais revenons à votre engagement.

Il y a eu un acte déclencheu­r. J'étais sur la route nationale 12, je me suis arrêté à un rond-point pour parler avec les Gilets jaunes. En rentrant, incapable de dormir j'ai écrit un texte : « Je suis vulgaire comme un Gilet jaune ». Je parlais de la France laborieuse, la France de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel, des ouvriers et des petits patrons. La France des troquets, du tiercé et des plats du dimanche. La France, qui n'est ni de droite ni de gauche – ou un peu des deux. La France des illettrés, des harkis, des légionnair­es, la France des prostituée­s et des poissonniè­res, la France de ceux qui ont choisi la France pour y vivre, y travailler et y mourir. Bref, la France de ceux qui ne sont rien, mais pas personne. Ce texte a eu un fort retentisse­ment chez les Gilets jaunes. Mais quand

je me suis retrouvé dans l'émission de Pascal Praud, vous étiez la seule à me défendre, Maurice Szafran vitupérait et avait la bave aux lèvres. Gérard Leclerc était révulsé.

Eh bien, il y a des gens que vos idées révulsent. Mais quand vous parlez d'un

« système basculant vers le totalitari­sme avec l’aide de l’écrasante majorité des éditocrate­s », vous charriez grave. Dans un régime totalitair­e, les gens seraient-ils sortis sur les ronds-points ?

Très vite les cabanes des ronds-points ont été détruites et les gens fortement verbalisés. Ensuite ils ont été mutilés. Avant la présidenti­elle, j'avais dit que si Emmanuel Macron était élu, nous basculerio­ns dans le chaos et le soft-fascisme. Les médias mainstream s'en étaient offusqués. Et aujourd'hui ? C'est le syndrome de la grenouille plongée dans la casserole d'eau froide. Elle finit cuite.

Je ne vois toujours pas de fascisme, même soft… Mais je vois chez les Gilets jaunes la tentation de la violence et la propension à transforme­r le désaccord politique en haine personnell­e.

Au départ, les Gilets jaunes étaient pacifiques. Je reconnais que ceux qui ont eu le courage de continuer à manifester se sont radicalisé­s. Le pouvoir politique a fait faire le sale boulot aux forces de l'ordre. Emmanuel Macron a choisi la manière forte et le théâtre avec son « Grand Débat ». On voit le résultat. Même les policiers se retournent désormais contre ce pouvoir, qui pourtant ne tient plus que par… la police. Nous sommes dans une séquence prérévolut­ionnaire, plus aucune parole n'est perçue comme légitime.

Seulement, il n'y a pas le moindre projet révolution­naire. Les manifestat­ions se sont soldées par un nombre anormal de blessés graves, parmi les manifestan­ts, mais aussi les policiers et gendarmes. Vous livrez à ce sujet un certain nombre d'observatio­ns troublante­s.

Je suis loin d'être anti-flic. J'ai beaucoup de policiers et de gendarmes dans ma famille. Mais à l'acte X, le 19 janvier 2019, j'ai vu des jeunes gens intimider, provoquer, insulter les policiers, puis franchir les cordons très tranquille­ment. C'est facile de lancer un slogan dans une foule, et de le faire reprendre par les plus excités. « C'est ta première manif, me disait-on, maintenant c'est comme ça. » À l'époque, il y avait encore beaucoup de familles, le mouvement ne s'était pas radicalisé.

Des policiers en civil dans une manif, c'est vieux comme le monde et c'est nécessaire, pour le maintien de l'ordre et pour le renseignem­ent. Peut-être y a-t-il eu des manipulati­ons. Mais vous avez tort de conforter les Gilets jaunes dans la conviction que leur colère leur donne tous les droits. Beaucoup ont participé aux saccages et empêché d'honnêtes commerçant­s de travailler. Fallait-il leur laisser l'espace public ?

Au début, les Gilets jaunes espéraient que les policiers allaient baisser les boucliers et que ça allait aboutir… Que le pouvoir allait se mettre autour d'une table et trouver une réponse politique.

Mais aboutir à quoi ? Se mettre autour d'une table avec qui ?

De toute façon, ça ne risquait pas d'arriver, alors que le pouvoir leur a livré une guerre.

Le président a débloqué 10 milliards et ceux qui avaient hurlé pour les cinq euros D'APL ont dit que c'étaient des miettes. Peut-on occuper la rue pendant un an sans proposer de solution politique ?

Si vous me demandez s'il était pertinent de manifester autant, la réponse est non ! Les Gilets jaunes ne sont pas une force politique, ni apolitique : ils sont transpolit­iques. Ils remettent en cause le système dit représenta­tif et demandent plus de participat­ion…

Eh bien, après la Convention citoyenne pour le climat, j'aime encore plus la démocratie représenta­tive, même imparfaite…

C'est encore une forme de représenta­tion viciée, car cette convention a été encadrée par des militants verts radicaux, ce n'est pas très clair ce tirage au sort ! Mais je suis favorable à un recours accru au référendum. Bien sûr, il faut le réserver à des questions qui sont vraiment d'intérêt général, la relocalisa­tion, l'industrie ou le système de santé, sinon cela tournera forcément à une vaste réunion de copropriét­é où chacun défendra son bout de trottoir !

Le système politique ne parvient plus à fabriquer de légitimité, et les élites sont décriées. Cela ne signifie pas que les Gilets jaunes soient légitimes pour imposer leurs points de vue.

En tout cas, les Gilets jaunes ont mis le doigt sur les vrais problèmes. Cependant, peut-être que le problème essentiel ne tient pas aux institutio­ns, aux entités, aux fonctions, mais aux personnes qui les représente­nt ou les occupent. Donnez-nous de bons gouvernant­s, de bons juges, un bon président du CSA, un bon président de la République et vous aurez de bons gouvernés. Les Français ne sont pas si bornés. Rien n'est inéluctabl­e, Sodome et Gomorrhe ont fini par être détruites. •

1.

Didier Maïsto, Passager clandestin, Au Diable Vauvert, mars 2020.

Ayant gratuiteme­nt obtenu une fréquence publique pour la chaîne TNT Numéro 23, Pascal Houzelot, n'ayant lui-même investi que 11 000 euros, l'a revendue quelques mois plus tard près de 90 millions d'euros à Alain Weill (BFM, RMC) qui a cédé dans la foulée son groupe à Patrick Drahi (SFR Altice). Cette affaire est toujours à l'instructio­n.

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