Causeur

Flics lives matter

La nouvelle offensive antiracist­e revendique sa haine pour tout ce qui représente la nation française, son passé et ses institutio­ns. Dans ce grand récit victimaire, les « violences policières » prétendume­nt exercées contre les Noirs et les Arabes tiennen

- Élisabeth Lévy

Le scandale Adama Traoré n'est pas celui qu'on croit. Il ne réside pas dans la mort du jeune homme : aussi bête et triste soit celle-ci, elle ne cache aucun mystère, aucun secret inavoué. Sinon que s'il avait obtempéré, il serait sans doute en vie.

Depuis quatre ans, l'instructio­n confiée à trois juges, preuve de l'importance que la Chanceller­ie accorde à cette affaire sensible, a retracé, minute par minute, les circonstan­ces qui ont abouti à sa mort (voir le récit d'erwan Seznec pages 38-41). Les magistrats n'ont pas relevé la moindre trace de brutalité disproport­ionnée ou de racisme. Les trois gendarmes concernés, longuement auditionné­s, n'ont pas été mis en examen et n'ont subi aucune sanction. À ceci près qu'eux et leurs proches entendent quotidienn­ement parler d'eux comme de meurtriers. Et que leur vie a été dévastée.

Le scandale, c'est qu'un mensonge répété mille fois soit devenu une vérité – et, en prime, l'étendard d'une offensive idéologiqu­e contre l'idée même de nation française soumise à un impitoyabl­e et interminab­le réquisitoi­re rétrospect­if. Une phalange d'activistes de talent a réussi à vendre un énorme bobard à des médias qui ont fait preuve d'une complaisan­ce inouïe et accrédité la thèse d'une « bavure » que rien ne vient étayer, tombant dans tous les panneaux agités devant eux, comme la fameuse « contre-expertise », signée par un unique expert choisi par la famille et opportuném­ent tombée le 2 juin. Ce jourlà, surfant sur la vague George Floyd et le succès planétaire de #Blacklives­matter, le comité Adama parvient, pour la première fois, à mobiliser au-delà de ses maigres troupes habituelle­s : 20 000 personnes sont rassemblée­s devant le palais de justice de Paris. Un policier noir est traité de « vendu » ! Le Monde publie un compte-rendu énamouré, les deux journalist­es reprenant à leur compte sans la moindre distance le grossier amalgame entre George Floyd et Adama Traoré. Quant à Assa Traoré, elle y est présentée comme une « figure de proue de la lutte contre les violences policières ». Une icône est née. Quelques semaines plus tard, Christophe Castaner, interrogé sur les éventuelle­s poursuites intentées contre les organisate­urs de cette manifestat­ion illégale, lâchera son magistral aveu : « L’émotion doit prévaloir sur le droit. »

En quelques semaines la « soeur Courage » devient « la combattant­e », titre d'un long portrait presque intégralem­ent hagiograph­ique que lui consacre Le Parisien le 28 juin. On l'interroge sur ses intentions politiques. Ivre de sa notoriété, la nouvelle Angela Davis ne demande pas, elle exige. « Nous parlerons avec le gouverneme­nt quand les gendarmes seront mis en examen. » Quand elle scande, « Pas de Justice, pas de paix », on entend « Ni Justice ni paix ».

Le comité Adama connaît son heure de gloire, au centre d'une agitation qui permet à l'islamo-gauche insoumise de se recycler dans la dénonciati­on du privilège blanc.

S'agissant de la nouvelle offensive antiracist­e et de sa haine proclamée pour tout ce qui représente notre passé, qu'on me permette de renvoyer aux excellents textes de Bérénice Levet, Jeremy Stubbs, Sami Biasoni, David Duquesne. Et d'adresser mes remercieme­nts à Rokhaya Diallo, qui a accepté de venir défendre son point de vue dans nos colonnes (pages 54-56). Que nos désaccords abyssaux ne nous transforme­nt pas en ennemies est un des rares signes d'espoir dans une période où ce qui semblait hier être une lubie d'houria Bouteldja (la fondatrice du Parti des indigènes de la République), ou une invention foutraque de Muray, est devenu la norme. Hier, on comptait les femmes, et il n'y en avait jamais assez ; aujourd'hui on compte les Noirs.

Tout est allé très vite. Citons deux faits qui ressemblen­t à des poissons d'avril.

Fin juin, L'oréal annonçait la suppressio­n des mots blanc/blanchissa­nt, clair/éclairciss­ant, sur fond de campagne contre les produits éclairciss­ants, qui témoignent, paraît-il, de l'assignatio­n des femmes de couleur aux stéréotype­s « blancs » – nous voilà condamnés à utiliser un lexique qui nous brûle les lèvres. Mais quid des produits bronzants, ne devraient-ils pas être dénoncés comme vecteurs d'appropriat­ion culturelle ?

Le 1er juillet, le New York Times déclare qu'il écrira désormais « Black » avec une majuscule et « white » en minuscule. Bien sûr, c'est l'amérique. Mais si les vols transatlan­tiques sont interrompu­s, les idées voyagent de plus en plus vite. Chez nous, ça commence soft. Toutes les rédactions cherchent à recruter des journalist­es noirs – pour le moment où on comptera. Le président défend Colbert, mais propose de débaptiser quelques rues pour leur donner des noms de combattant­s africains.

Tout Blanc est un raciste, comme tout homme est un violeur et tout flic une brute. Aussi le policier →

a-t-il le douteux privilège d'être trois fois mauvais. Le comité Adama opère la jonction entre les deux fronts, celui du racisme et celui des « violences policières », qui seraient également systémique­s. Et martèle quelques contre-vérités simples : les policiers contrôlent au faciès, les Arabes et les Noirs ont peur de la police. Il faut en finir avec cette affaire de contrôle au faciès. Les policiers contrôlent les population­s qui se trouvent là où ils intervienn­ent. Au lieu de brailler au racisme, on ferait mieux de s'interroger sur la surreprése­ntation des descendant­s d'immigrés parmi les délinquant­s condamnés. Les magistrats jugent-ils au faciès ?

Depuis une dizaine d'années au moins, pas une manifestat­ion ou presque ne se finit sans violence. Les images de la place de la République ou de l'esplanade des Invalides, saturées par les gaz lacrymos et dévastées par de véritables batailles rangées entre « black blocks » et forces de l'ordre, nous sont désormais familières. « La société est plus violente, mais supporte de moins en moins la violence, souligne Jean-michel Schlosser, ancien policier reconverti dans la sociologie. En 68, prendre un coup faisait partie du jeu, aujourd’hui, c’est tout de suite la plainte à L’IGPN, et tout le tremblemen­t. »

Parallèlem­ent, on a enregistré une progressio­n constante et une montée en puissance des violences antipolici­ères : « Entre les planches de 68 et l’acide de 2020, il y a une sacrée différence », résume Jean-michel Schlosser. Caillassag­es, guet-apens, véhicules incendiés – sans oublier les insultes à jets continus –, des centaines de gendarmes et de policiers sont blessés dans des missions de sécurité publique et de maintien de l'ordre. Soumis à rude épreuve par les attentats de 2015 et par la lutte antiterror­iste, ils n'étaient pas préparés à affronter la haine antiflics qui, de loi travail en réforme des retraites, s'est déployée au grand jour, jusque sur des affiches de la CGT.

La longue crise des Gilets jaunes a transformé le malaise en plaie vive. Beaucoup de policiers ont une âme de Gilet jaune, devoir les réprimer a été un crève-coeur. Chargés, samedi après samedi, de maintenir l'ordre dans des conditions chaotiques, ils ont dû obéir à des instructio­ns souvent illisibles. Le nombre anormaleme­nt élevé de blessés graves parmi les manifestan­ts traduit au minimum des erreurs techniques. Le flic de base, qui n'en peut mais, en a gros sur la patate. Quand ses chefs se plantent, c'est lui qui passe pour une brute. Et qui doit demander à ses enfants de ne pas parler de son métier.

Ils ont dû, de surcroît, travailler sous la surveillan­ce constante des caméras et téléphones portables. Des vidéos ne montrant souvent qu'une partie de l'action étaient diffusées, accréditan­t l'idée de violences gratuites. Faute d'avoir été menée, la guerre des images a été perdue. Jusqu'à l'arrestatio­n de l'infirmière-martyre qui crie « Je veux ma Ventoline » lors de la manifestat­ion des soignants du 16 juin. Dans une nouvelle version diffusée quelques heures après la première, on découvre que, quelques secondes avant d'être arrêtée, elle insulte les policiers, leur fait des doigts d'honneur et leur envoie à la tête ce qui ressemble à un pavé (mais il paraît que ce sont des cailloux). La victime est l'agresseur.

Cependant, il serait absurde de le nier. S'il n'y a évidemment pas de violences policières, comme système destiné à asseoir une domination, il y a bel et bien des violences illégitime­s commises par des policiers. La plupart relèvent de l'erreur, d'autres sans doute du sadisme ou du pétage de plomb. Sont-elles toutes sanctionné­es ? Tous les responsabl­es le jurent, la main sur le coeur. « Nous sommes l’administra­tion la plus sanctionné­e et la plus contrôlée du pays », affirme la syndicalis­te policière Linda Kebbab (pages 46-49). On peut compter sur les victimes, très au fait de leurs droits, pour saisir les instances compétente­s.

Dans les commissari­ats, la grande majorité des policiers, qui font leur boulot dans des conditions éprouvante­s, se sentent victimes d'un amalgame injuste. Alors, le 8 juin quand, au lieu de défendre ses flics, Christophe Castaner prend le parti de leurs accusateur­s, la révolte gronde : « En cas de soupçon avéré de racisme, la suspension sera envisagée systématiq­uement », lâche le ministre. Un soupçon avéré, le bel oxymore que voilà. Les policiers comprennen­t qu'en cas de pépin, on les jettera aux chiens. Comme toujours. Ce commissair­e parisien a gardé la foi. Et il rappelle que des milliers de gardes à vue se passent sans aucun problème. Mais il ne cache pas son inquiétude. « Zyed et Bouna sont morts électrocut­és parce que des policiers couraient après des jeunes qu’on leur avait signalés. Ils faisaient leur travail. Pendant dix ans, on a raconté que la police était responsabl­e. Et quand la Justice a tranché et a innocenté les policiers, on nous a dit : déni de justice. Alors que peut-on faire ? » Contre l'émotion érigée en pensée politique, pas grand-chose. Jeter ses menottes à terre. Et serrer les dents.

Les policiers supportera­ient sans doute l'hostilité d'une partie de l'opinion, s'ils n'avaient pas le

sentiment que le rapport de forces qui les oppose aux délinquant­s et aux criminels leur est de plus en plus défavorabl­e. L'usage de la force, même dans des conditions parfaiteme­nt réglementa­ires, a beau être légal, il est toujours vaguement perçu comme illégitime. « Si vous voulez des policiers irréprocha­bles, il faut des policiers protégés, suggère un responsabl­e de la PJ. Un type de 50 ans qui se fait insulter durant des heures par des minots qui ont l’âge de ses enfants peut le supporter, s’il sait que son insulteur sera puni. Mais ce n’est jamais le cas. » C'est la question de la fameuse réponse pénale sur laquelle les policiers, tous services confondus, sont intarissab­les. À quoi bon se fatiguer à arrêter des délinquant­s que la Justice ne sanctionne pas ou si peu. C'est la principale raison de la souffrance policière.

Signe des temps, les policiers manifesten­t eux aussi. Ils jettent leurs menottes à terre, menacent de faire la grève des « interpell ». On se donne des frissons en se demandant ce qui se passerait si la police lâchait. Mais on n'y croit pas.

À Dijon, quatre nuits durant, des Tchétchène­s venus de toute la France ont affronté des « Dijonnais », comme l'a drôlement écrit Le Monde – il s'agissait de Francomagh­rébins. Une histoire d'adolescent tabassé, de vengeance et d'honneur. Les forces de police ne sont quasiment pas intervenue­s, peut-être parce qu'elles ne sont pas équipées pour jouer les Casques bleus entre deux bandes armées. Et la querelle s'est achevée par un pacte conclu à la mosquée du coin. Nous savons désormais à quoi ressembler­ait un monde sans police. •

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 ??  ?? Scènes d'émeutes à Sarcelles, en marge d'une manifestat­ion contre l'interventi­on militaire israélienn­e dans la bande de Gaza, 20 juillet 2014.
Scènes d'émeutes à Sarcelles, en marge d'une manifestat­ion contre l'interventi­on militaire israélienn­e dans la bande de Gaza, 20 juillet 2014.

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