Causeur

Woke, la haine recuite

Derrière le slogan #Blacklives­matter, une organisati­on politique révolution­naire née aux États-unis promeut une idéologie manipulatr­ice et vindicativ­e, le « woke », sorte de politiquem­ent correct sous stéroïdes. Il y a urgence à y résister.

- Jeremy Stubbs

Dans la comédie satirique d'aristophan­e, Les Cavaliers, le Peuple invite un nouveau leader politique surnommé le Charcutier à être son guide, par des paroles aussi naïves que terrifiant­es : « Ré-éduque-moi ! » L'organisati­on qui se cache à peine derrière le slogan #Blacklives­matter nourrit les mêmes →

ambitions que le Charcutier : prendre le pouvoir en nous rééduquant, en nous imposant une idéologie manipulatr­ice qui déforme la réalité. À la différence du Peuple dans la pièce, nous devons tous résister à cet extrémisme politique qui cherche à racialiser et à diviser notre société pour mieux régner. Son idéologie, longtemps en gestation, tient aujourd'hui en quatre petites lettres : « woke ».

Parlez-vous woke ?

Le terme woke vient des activistes afro-américains. C'est littéralem­ent une injonction à rester « vigilant » face à tout ce qui dans la société actuelle peut constituer une forme d'oppression des Noirs par les Blancs. Cet usage, consacré surtout à partir de 2012, s'est étendu à l'oppression des pauvres par les riches, des femmes par les hommes, des homosexuel­s par les hétérosexu­els, et des transgenre­s par la nature « hétéronorm­ative » de la société traditionn­elle. L'idéologie woke peut être qualifiée de « totalisant­e » dans la mesure où il s'agit d'amalgamer les griefs supposés de différents groupes afin d'encercler et de mettre en accusation le groupe social majoritair­e qui, selon les activistes woke, domine les autres en abusant de son pouvoir. Ce groupe, composé de tous les Blancs, serait dominé à son tour par les êtres les plus abusifs de tous : les hommes blancs hétérosexu­els. Détrôner ces tyrans est le but suprême. De même qu'on accumule les tares en étant blanc, masculin et hétéro, on peut accumuler les vertus en étant noir, femme et homo ou trans. Cette apothéose agrégative de la victimisat­ion s'appelle l'intersecti­onnalité. La volonté de fédérer les doléances sans distinctio­n s'exprime à travers des acronymes comme LGBTQIA+ ou le terme britanniqu­e « BAME » qui signifie « les Noirs et les autres minorités ethniques », c'est-à-dire tout le monde, sauf les Blancs. Le citoyen lambda est sommé de reconnaîtr­e en bloc le bien-fondé de tous ces griefs sous peine d'être voué aux gémonies comme le laquais des oppresseur­s. Que ce soit sur les médias sociaux ou traditionn­els, tout dissident à la doxa woke est dénoncé, persécuté et chassé de la scène publique.

Les doctrines sociales, culturelle­s et scientifiq­ues qui composent cette culture de la revendicat­ion sont diffusées selon la stratégie définie dans les années 1920 et 1930 par le marxiste italien Gramsci. Cette stratégie se base sur la notion d'hégémonie culturelle : pour préparer la conquête du pouvoir, il faut d'abord mener celle des esprits en investissa­nt l'éducation, la culture, les médias et le débat intellectu­el. La machine de propagande créée autour de BLM est le dernier avatar de cette opération gramscienn­e.

Lancé par trois femmes noires – dont deux se qualifient de queer1 – en 2013, en réponse à l'acquitteme­nt de l'homme qui a tué l'adolescent noir Trayvon Martin, ce mouvement né comme un simple hashtag est devenu un réseau internatio­nal décentrali­sé et une fondation habilitée à recevoir des dons. Dans une vidéo datant de 2015 et facile à trouver sur internet, une des fondatrice­s, Patrisse Cullors, se vante d'avoir reçu une formation d'organisatr­ice marxiste, de même que sa collègue, Alicia Garza. Il suffit de consulter le site de la branche américaine de BLM ou les pages Facebook et Gofundme (un site de financemen­t participat­if) de la branche britanniqu­e pour comprendre que BLM n'est pas simplement un mouvement de lutte contre le racisme. On y découvre, exprimés dans une prose alam

biquée, des objectifs qui relèvent à la fois du marxisme et de l'idéologie woke. Il s'agit d'« éradiquer la suprématie blanche », car les vies des Noirs sont « systématiq­uement ciblées et destinées à la mort » par une « oppression mortifère » et « une violence généralisé­e et délibérée » qui leur est « infligée par l’état ». Ainsi se forge la légende selon laquelle la société moderne commet une forme d'ethnocide. Il faut de surcroît « démanteler » le capitalism­e, la patriarchi­e et le privilège hétéronorm­atif, et « subvertir les normes occidental­es de la famille nucléaire ».

BLM veut fédérer les Noirs queers et trans, particuliè­rement les trans-femmes-noires, les handicapés, les sanspapier­s, les queers des classes ouvrières, les prostituée­s et les musulmans. On notera que, parmi les pauvres, seuls les queers comptent. De toutes les religions, seul l'islam trouve grâce à leurs yeux – pas l'hindouisme ou le sikhisme –, malgré l'attachemen­t bien connu des musulmans à l'hétéronorm­ativité. Pour que cette armée de recrues révolution­naires ait la voie libre, BLM développe « des stratégies pour l’abolition de la police ». Aux États-unis et au Royaume-uni, ces organisati­ons ont reçu des sommes d'argent faramineus­es de la part du public. Elles n'ont pas spécifié l'usage qu'elles allaient en faire.

L'action woke de BLM consiste donc à instrument­aliser la cause des citoyens noirs à des fins politiques extrémiste­s. Le discours se caractéris­e par une hyperbole qui, plus qu'une forme de rhétorique, incarne une relation – faussée – au réel. Les Noirs et les Blancs s'affrontent dans une lutte apparemmen­t apocalypti­que. La suprématie blanche n'est plus celle des néonazis ou du Ku Klux Klan, mais un ensemble de préjugés quotidiens. Il y a une continuité sans interrupti­on entre l'esclavage d'autrefois et les actions de la police d'aujourd'hui. Finalement, le génocide, jusqu'ici réservé à la destructio­n des juifs ou des Tutsis, se banalise : un Christophe Colomb ou un Churchill en serait coupable. Tout ce château de cartes sémantique a été construit pour justifier les uns – les révolution­naires noirs et queers – et culpabilis­er les autres – les Blancs. Bon gré mal gré, beaucoup sont tombés dans le panneau.

Le blanc-seing

Au cours des derniers mois, nous avons pris l'habitude des auto-attestatio­ns : pour faire les courses ou de l'exercice, aller voir le médecin. La dernière en date est un certificat de bonne conduite que certains Blancs s'attribuent pour éviter qu'on puisse les accuser de racisme. Cela s'appelle le signalemen­t vertueux (« virtue signaling »). On les a vus gagner leur certificat en s'agenouilla­nt, voire en se couchant par terre pour s'humilier ; en publiant des mea culpa sur Twitter ou en aidant à détruire des statues pour se racheter ; ou encore en s'infligeant des sanctions pécuniaire­s pour abréger le temps de leur pénitence. Des Blancs américains ont envoyé de l'argent par l'appli Cash App à des concitoyen­s noirs qu'ils ne connaissai­ent pas et qui ne leur avaient rien demandé. Comme beaucoup d'entreprise­s, Uber Eats a montré patte blanche par un geste commercial : les frais de livraison sont offerts aux clients qui commandent leur repas à des restos dont les propriétai­res sont noirs. Après avoir confessé, expié et payé ses fautes, la dernière étape de la réhabilita­tion consiste à dénoncer d'autres Blancs qui continuent à profiter allègremen­t de leur privilège blanc. Ce concept fondamenta­l – théorisé par une féministe blanche – désigne une série de biens économique­s et d'avantages sociaux dont jouirait chaque Blanc du seul fait d'être blanc et qu'il n'aurait pas acquis par le travail ou le mérite. Le statut de privilégié blanc est maintenu par une forme particuliè­re de racisme qualifié de systémique. Dans l'impossibil­ité d'accuser chaque Blanc d'être raciste et en l'absence de politiques gouverneme­ntales explicitem­ent racistes, les théoricien­s woke ont recours à un phénomène qui, comme le Dieu des théologien­s, est omniprésen­t, invisible et responsabl­e de tout ce qui arrive. La vie quotidienn­e d'un Noir serait faite d'exclusions, de menaces tacites, de brimades et de micro-agressions constantes qui le maintienne­nt dans une position subalterne. Pour se libérer de son privilège blanc, le Blanc doit devenir un allié des minorités marginalis­ées. Le concept d'allié – théorisé par une autre féministe blanche – oblige les Blancs à dénoncer les situations où les minorités sont sous-représenté­es, à céder le leadership aux membres de ces minorités et – au besoin – à leur céder leurs propres biens. Selon BLM(UK) : « La redistribu­tion des richesses est un facteur clé pour ceux qui veulent être nos alliés. » Cela s'appelle la justice sociale.

Le résultat de ces doctrines est une asymétrie d'une injustice flagrante, mais assumée. Seuls ceux qui détiennent un pouvoir économique – les Blancs – peuvent être racistes ; les Noirs par définition ne peuvent pas l'être. De par leur « blanchité », les Blancs sont tous entachés d'un équivalent du péché originel : un Noir pauvre reste pauvre parce que le privilège blanc entrave son ascension sociale ; un Blanc pauvre reste pauvre parce qu'il est un bon à rien. Selon le tweet récent d'une spécialist­e indienne des études postcoloni­ales de l'université de Cambridge, « les vies des Blancs ne comptent pas ». Loin d'être sanctionné­e, elle a été promue à une chaire. L'injonction cinglante lancée à la tête de toute personne qui n'accepte pas d'emblée le récit simpliste et grotesque de l'idéologie woke est : « Éduque-toi ! » Mais ce qui nous est proposé aujourd'hui est une dé-éducation, destinée à travestir le réel plutôt qu'à le faire découvrir. Encore une fois, nous devons tous résister à cette appropriat­ion gramscienn­e de la culture et du savoir. En nous inspirant d'un personnage historique qui sera sans doute bientôt rayé des manuels, disons que nous avons perdu quelques batailles, mais que nous n'avons pas encore perdu la guerre. • 1. Appartenan­t à une minorité : tout sauf hétérosexu­el…

 ??  ?? La statue de Winston Churchill, sur Parliament Square à Londres, vandalisé par des militants antiracist­es, 3 juin 2020.
La statue de Winston Churchill, sur Parliament Square à Londres, vandalisé par des militants antiracist­es, 3 juin 2020.
 ??  ?? Nancy Pelosi, la cheffe des démocrates au Congrès américain, ploie le genou en hommage à George Floyd, Washington, 8 juin 2020.
Nancy Pelosi, la cheffe des démocrates au Congrès américain, ploie le genou en hommage à George Floyd, Washington, 8 juin 2020.

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