Explosion au port de Beyrouth
Dans l’après-midi du 4 août 2020, deux explosions ont retenti dans le port de Beyrouth. La seconde, extrêmement puissante, a fait au moins 177 morts, 6 000 blessés et 300 000 sans-abri. Chimiquement, la catastrophe s’explique par l’explosion d’environ 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium – soit à peu près 1,2 kilotonne de TNT – confisquées en 2014 par le gouvernement libanais au navire marchand Rhosus, puis stockées dans le hangar 12 du port sans mesures de sécurité adaptées. Remontons le fil de l’histoire. Le 27 septembre 2013, le cargo MV Rhosus, battant pavillon moldave, quitte Batoumi (Géorgie) pour Beira (Mozambique) avec à son bord 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium commandées par une entreprise africaine de fabrication d’explosifs. Le navire appartient à une société domiciliée au Panama, mais son capitaine le considère comme la propriété de l’homme d’affaires russe Igor Grechushkine. En fait, l’homme d’affaires a affrété le Rhosus à son vrai propriétaire le Chypriote Charalabos Maoli. Ce dernier avait emprunté de l’argent à une banque en Tanzanie fermée plus tard pour avoir blanchides fonds pour le compte du Hezbollah. Le 21 novembre 2013, le navire fait escale à Beyrouth. Certaines sources avancent que le Rhosus a été forcé de faire escale à cause de problèmes mécaniques, d’autres prétendent que le propriétaire n’avait pas suffisamment de fonds pour payer les péages du canal de Suez et qu’il avait tenté d’embarquer une cargaison de machinerie lourde à Beyrouth. Quoi qu’il en soit, le chargement du matériel abîme le navire, lequel est jugé inapte à la navigation par les autorités portuaires. Il lui est donc interdit de prendre la mer. Grechushkine fait faillite et abandonne le navire. Sur ordre du juge, la cargaison est ramenée à terre en 2014 et placée dans l’entrepôt 12 du port, qu’elle ne quittera plus. Le Rhosus coule dans le port en février 2018.
Les fonctionnaires des douanes contactent la justice libanaise pour savoir quoi faire de la cargaison confisquée, proposant que le nitrate d’ammonium soit exporté, ou bien donné à l’armée, ou bien encore vendu à la Société libanaise des explosifs. Une des lettres envoyées en 2016 notait que les juges n’avaient pas répondu aux demandes précédentes. Quatre ans plus tard, la Sûreté de l’état se saisit de l’affaire. Elle mène l’enquête et son rapport interne souligne que « des matières dangereuses utilisées pour la fabrication d’explosifs » se trouvent dans l’entrepôt et qu’une « matière liquide du genre nitroglycérine hautement inflammable suinte » du hangar. Fin mai, son rapport atterrit à la direction du port et sur le bureau du procureur qui ordonne de faire garder le hangar et de colmater la brèche. Le 20 juillet le président Michel Aoun et le Premier ministre Hassan Diab reçoivent à leur tour le rapport de la Sûreté de l’état. Michel Aoun a confirmé sa réception en disant l’avoir envoyé au Conseil supérieur de défense qui s’est adressé au ministre des Travaux publics Michel Najjar. Or, celui-ci ne le recevra que presque quinze jours plus tard, le 3 août, la veille de l’explosion… les administrations officielles étant fermées en raison de la fête de l’aïd et des restrictions liées au coronavirus.
Qui est responsable ?
Dans les heures qui ont suivi la déflagration, deux hypothèses ont été relayées par les médias : une opération israélienne contre un dépôt d’armes du Hezbollah ou l’explosion accidentelle d’un tel dépôt. Des déclarations hâtives de Donald Trump et Michel Aoun ainsi que des propos de Benyamin Netanyahou sortis de leur contexte semblaient confirmer la première thèse, mais celle-ci a rapidement été rejetée. Aucun résidu de munition, d’armement ou d’explosifs militaires n’a été trouvé. Selon le journal allemand Die Welt, probablement informé par le Mossad, le Hezbollah aurait acheté à l’iran trois cargaisons de nitrate d’ammonium livrées en 2013 et 2014. Reste que le stock qui a explosé se trouvait bien dans le hangar numéro 12 et il est bien issu des cales du Rhosus. La cause la plus probable de l’explosion reste donc un cocktail libanais d’incuries couronné de malchance. •
G.M.