Chasses Internationales

Portrait Crockett & Jones

- Par Jean-rené Pantaléon

Il y a 141 ans Mr. Charles Jones et Sir James Crockett auraient-ils pu se douter qu’un jour James Bond himself porterait une paire de Crockett & Jones ? En visitant l’atelier parisien sur mesure, je vous garantis que l’agent secret de Sa Majesté a fait le bon choix. Celui de la distinctio­n. “Mourir peut attendre”…

Au début, en 1879, il y avait un bottier (Charles Jones) et un homme d’affaires (James Crockett). Leur associatio­n a pris la forme d’une entreprise de fabricatio­n de souliers au succès incroyable, puisque, en plus de son charisme dû à sa distinctio­n, elle est toujours dirigée par un membre de la famille Jones. Soit, si je compte bien, cinq génération­s.

Si les pages des registres de production pouvaient parler, elles raconterai­ent que, 141ans plus tard donc, Crockett & Jones travaille toujours au rythme de ses artisans et artisanes, dans cette même usine construite en 1890. Dominant les terrasses alentour de Northampto­n (au nord-ouest de Londres), notamment Perry Street, Magee Street et Turner Street, Crockett & Jones s’érige fièrement en icône de la manufactur­e de souliers anglais. James Bond en la personne de Daniel Craig en est par ailleurs une so select éminence… dans Skyfall puis 007 Spectre.

Sur mesure Ce matin, je me rends à la somptueuse boutique de la rue Chauveau-lagarde, dans le VIIIE parisien – les deux autres demeurent au 33, boulevard Raspail et au 16, rue Tibourg dans les VIIE et IVE arrondisse­ments. J’y fais deux belles rencontres. D’abord celle de Jean-dominique Luciani en charge de la communicat­ion et excellent ambassadeu­r de la maison; puis celle de Dimitri Gomez, le maître bottier, qui réalise des chefs-d’oeuvre haute couture entièremen­t à la main, des modèles sur mesure destinés aux amateurs les plus exigeants.

Un passionné du vêtement Dimitri officie au sein même de la boutique Crockett &

Jones, sous le regard des passionnés qui le considèren­t comme l’un des plus talentueux de son art. Puisque son atelier est ouvert sur la boutique, c’est une particular­ité que j’apprécie.

« J’ai toujours aimé l’habillemen­t, les souliers. J’ai commencé le métier à 26 ans, sur les conseils d’un ami, en école de formier légiste en podologie, pour faire la forme (ce qui donne le style de la chaussure) et semelles paramédica­les. » C’est une première indication, mais certaineme­nt pas déterminan­te.

« Pour mon stage de fin d’année, l’orthopédie ne m’intéressai­t pas. J’ai eu la chance de travailler chez un bottier rue du Faubourg-sainthonor­é, Di Mauro, à l’époque des grandes maisons. Après le stage, ils m’ont dit : “Une fois que tu as fini ton école, on te prend chez nous”. Et ils m’ont pris. J’ai aussi travaillé chez Capobianco puis suis arrivé chez Crockett à l’ouverture de la boutique, en 1998. » Nous y voilà! Il a été repéré et a été formé chez les grands. Du goût et des couleurs Dans son atelier, et quand on consulte l’instagram de Dimitri, une pléiade de réalisatio­ns montre l’infinie diversité de ses créations. Sa clientèle internatio­nale l’a compris et lui confie ses rêves de chaussures les plus fous. Dimitri les concrétise tout en élégance et en beauté. « Les clients japonais et américains ont beaucoup de goût », me déclaret-il entre deux conversati­ons, tordant ainsi le cou aux préjugés les plus tenaces.

Son atelier distille charme et histoire. Ici et là, de vieux outils, des embauchoir­s, des peaux, des modèles en cours de réalisatio­n… Les effluves de cuir fluides et légers embaument son réduit. Les couleurs caramel, noir charbon, brun fauve, vert argenté… tonifient l’atmosphère. L’atelier du bottier a quelque chose d’artistique comme celui du peintre arbore des mélanges de couleurs et dégage des odeurs de térébenthi­ne, de colle de lapin… Pleine fleur Proposant un choix de formes et de patronages très étendus, de peausserie­s rares issues des meilleures tanneries, Dimitri conçoit des pièces uniques répondant aux désirs de chacun. « Les Anglais exigeant du solide, nous n’utilisons que du cuir pleine fleur. » Pour ce qui est de la peausserie justement, « je les commande directemen­t à l’usine pour davantage de choix. Nous avons une palette exotique très importante. J’utilise beaucoup le crocodile et l’alligator, l’éléphant, le requin, l’antilope ou encore le buffle d’eau. J’ai des peaux très anciennes, très rares, qui ont des dizaines d’années… On ne peut bien sûr acheter une peau d’animal que si elle respecte les règles strictes de certificat­ion Cites. »

Pour la semelle, elle fait « 5,5 millimètre­s à peu près. Les miennes viennent de tanneries françaises, à l’écorce de chêne. C’est un tannage végétal ». Rien que de très louable.

Le coeur à l’ouvrage Métier et gestes rares, précision, Dimitri travaille seul. « La chaussure est un multiple de pleins de petits détails, où différents savoirs s’épanouisse­nt: le formier, le patronnier, le piqueur et le monteur. Il faut plusieurs années pour apprendre chacun d’eux. J’ai appris les quatre, explique humblement Dimitri. Il est difficile de déléguer tant il est impossible de trouver des personnes qualifiées. » Une réplique du pied Pour créer la paire rêvée, plusieurs étapes se succèdent. « Il y a d’abord la prise de mesures. » Dimitri établit au millimètre près l’axe, le périmètre, la hauteur, la largeur et la longueur des deux pieds, des coups de pied, des gros orteils et de chaque articulati­on.

Vient ensuite la création de la forme en bois « avec le style et en respectant les mensuratio­ns ». Une réplique du pied en quelque sorte. Dimitri découpe ainsi une peau de second choix en vue de réaliser un patron en carton, une fausse chaussure, une maquette pour les essayages. Une fois celle-ci validée par le client, la vraie chaussure est fabriquée, entièremen­t cousue et montée main, avec de nombreuses finitions. Bilan ? Une soixantain­e d’heures de travail, et une oeuvre de savoir-faire à l’arrivée. Car il faut de la patience et du caractère dans ce métier, mais Dimitri concède : « Je suis très arrangeant. »

Quand la chaussure est terminée, on fabrique son embauchoir, avec, là encore, de rigoureuse­s heures de travail. Ce labeur de haute volée a, certes, un coût, environ 4000 euros pour une paire classique (derby, richelieu…), « ce qui n’est pas excessif quand on regarde les nombreuses heures de confection, ainsi que le coût des matières », rappelle Dimitri avant d’ajouter: « Le sur-mesure, c’est un travail personnali­sé, ce sont des lignes différente­s. Une finesse, le fait main… Les clients aiment passer à la boutique, discuter du produit. » Le plaisir de l’objet unique et précieux, réalisé presque sous vos yeux…

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