French Story Bleuforêt
La ligne Bleuforêt des Vosges
Comment définir le savoir-faire français ? Sujet brûlant quand la pandémie confronte l’économie au choix irrationnel de la délocalisation forcenée des décennies passées et de son impact carbone sur l’environnement. Et lorsque l’on rencontre Vincent Marie, jeune patron quadra bien dans son costume rue Étienne-marcel à Paris dans le IIE au siège de Bleuforêt, le “fabriqué en France” prend une envergure différente. « Je ne suis pas chasseur, j’ai un profond respect pour cette quête, ses règles, son approche de la nature, sa convivialité. » Cette digression respectueuse sur l’art cynégétique pourrait paraître de circonstance. Ce serait se fourvoyer que de le croire. « Je tiens peut-être ma vision concrète des choses de mon grand-père ingénieur des ponts et chaussées et fils de paysan breton. On ne bâtit pas des pays, des économies, sur des jeux d’écritures financières, sur de la détention de titres en créant des plus-values artificielles. » Voilà qui est dit et dévoile le mode de gouvernance qui préside à ses choix. « Il n’était pas prévu que j’emboîte le pas de mon père. Mais dès mes 10-12 ans, je me suis intéressé à ce qu’il faisait. J’ai fait Paris-dauphine spécialité finance, j’avais choisi des options de finance d’entreprise plutôt que de finance de marché, et je suis entré au cabinet de conseils Accenture. » Jacques Marie, son père, alors qu’il avait cédé la direction de Dim, lui, avait repris en 1994 une usine, Tricotage des Vosges, de 250 personnes vouée à la fermeture. Il démarra avec un contrat de sous-traitance pour Dim pendant cinq ans afin d’assurer des commandes et créa la marque Bleuforêt. Son idée-force : lancer une chaussette destinée aux femmes alors qu’elles vivaient l’avènement du port du pantalon et n’avaient d’autres choix que de porter des chaussettes noires, marron, marine identiques à celles des hommes mises à petites tailles. Il s’équipa de métiers à tricoter que l’on trouvait au Japon pour un maillage plus fin et dense. Il proposa des produits de couleurs, à motifs et plus doux. Et, au lieu d’opter pour une transcription en synthétique des collants et des mi-bas, Jacques Marie choisit la fibre naturelle teinte (coton, laine, soie…) en provenance des filatures d’italie. L’accueil fut extrêmement favorable. Le Printemps, les Galeries Lafayette, la Samaritaine, des distributeurs partout en France et à l’étranger saisirent l’occasion.
« Je suis resté en contact avec l’entreprise de mon père. J’y faisais mes stages. J’ai travaillé aux expéditions un été dans les Vosges, j’avais 20 ans. Cela m’a donné la valeur du travail. » Nous sommes en 2007. Après trois ans à Accenture, il veut passer à autre chose. Et cette autre chose, à sa grande surprise, c’est son père qui la lui suggère : entrer dans la société. Il est d’abord chef de produit, puis travaille avec le directeur export sur le suivi de pays, ensuite au marketing commercial, et prend la présidence de la maison en 2015. Il est convaincu que les PME allemandes s’en sortent parce qu’elles investissent. L’investissement, à Tricotage des Vosges, est un prêt requis chaque année : dans l’outil industriel afin de perpétuer la fabrication en France ; dans la marque, la pub, la communication ; et dans la distribution, l’export et les réseaux de distribution (e-commerce et boutiques). Cela donne une entreprise française connectée, réactive et soucieuse de l’environnement sans en faire des tonnes. Elle est aujourd’hui une société saine et performante, propriétaire de deux marques (Bleuforêt et Olympia acquise en 2001) et bénéficie d’une totale indépendance financière. Les diverses matières naturelles des lignes premium de Bleuforêt sont travaillées pures ou en mélanges nobles : soie, laine mérinos, cachemire, coton (d’égypte longues fibres, mercerisé – fil d’écosse –, peigné)… À la collection Femme de 50 modèles par saison s’ajoutent dix à quinze collants leggings et jambières en matières naturelles. La collection Homme se compose, elle, de 50 modèles.
À la ville comme à la campagne, chasseurs et dianes trouveront chaussettes à leur pied.
Un peu de lucidité: « Arrêtons de consommer des produits fabriqués dans des conditions que nous n’accepterions pas de subir, que nous n’accepterions pas de voir, il faut avoir de la cohérence. » Le fabriqué français est une réalité et, aujourd’hui, le meilleur ennemi de la pandémie et de ses effets dévastateurs.
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