Chasses Internationales

Crocodile au Zimbabwe

Le crocodile est l’un des voisins les plus dangereux des Tongas et l’une des causes majeures d’accidents mortels parmi les pêcheurs de cette tribu du lac Kariba. Éliminer l’un de ses sauriens les remplit de joie semblable à celle du chasseur qui s’en char

- Texte et photos Thomas Lindy Nissen traduction Éric Garcia

Bien que l’hippopotam­e ne soit pas mort depuis plus d’une journée, il dégage une odeur abominable en raison de cette chaleur étouffante. La mixture, issue de son estomac et de son sang, que répandent de la carcasse au bord de l’eau les pisteurs, amplifie davantage encore la pestilence ambiante. Ce qui pour nous, humains, semble abject, met en transe n’importe quel saurien qui rôderait à fleur d’eau de ce lac. À telle enseigne que pas un individu de leur espèce ne résisterai­t aux promesses infâmes que dégagent les fumets des quartiers de viande en décomposit­ion. Balle d’oeil ou de “sourire” Mais il en faut plus pour décourager Rasmus Kjaer et Pierre Hundermark, guide de chasse profession­nel. Les premières têtes, qui irisent déjà la surface de l’eau, confirment que leur obstinatio­n a eu raison de cette odeur inqualifia­ble. Silencieus­ement, de plus en plus de sauriens se rapprochen­t de la petite baie. Pierre a vérifié au préalable que la profondeur ne soit pas démesurée pour ce type de chasse. Dans l’idéal, les quelques mètres à l’approche du rivage ne doivent pas dépasser la taille afin que, si l’un d’eux dans sa fuite veuille disparaîtr­e dans les profondeur­s du lac, il succombe au coup de grâce. Si la première balle n’est pas précisémen­t placée derrière l’oeil ou mieux derrière « le sourire », la seconde doit y veiller. Au premier emplacemen­t, le cerveau est touché, au second – entre les deux mâchoires où la tête se lie au reste de l’imposant corps – la colonne vertébrale est brisée. Les crocodiles sont toujours chassés lorsqu’ils nagent à fleur d’eau d’un lac, d’une rivière ou à l’approche d’un appât. Dans un lac aussi vaste que celui de Kariba – né du barrage du même nom, partagé entre Zambie et Zimbabwe –, les rives sont si ouvertes que la chasse à l’approche semble vaine. Afin de donner à Rasmus,

1. Deux de nos pisteurs. Sur le lac Kariga, les accidents mortels sur ces fragiles esquifs surviennen­t toujours sans préavis. 2. Le mimétisme avec un tronc d’arbre à la dérive est toujours confondant.

la meilleure opportunit­é de tir du crocodile le plus imposant, Pierre a opté en toute logique pour l’appât. Mais attention, cette chasse n’est pas aussi facile qu’il y paraît. L’appât demeure la meilleure option, mais les crocodiles font preuve d’une étonnante rapidité une fois sur la terre ferme ! Pierre explique à Rasmus que l’affût de ce genre de chasse nécessite patience et calme avant que les premiers petits crocodiles n’osent quitter l’eau et venir goûter l’appât. Les plus gros succèdent aux plus petits après un certain temps. Dès lors, le saurien le plus isolé et le plus immobile sera sélectionn­é. Il s’agira ensuite de placer le plus précisémen­t possible sa balle et si elle fait mouche quelques tirs supplément­aires d’achèvement garantiron­t la mort du crocodile.

Du fond de l’eau, du fond des âges

Le scénario se confirme, les premiers petits crocodiles se dirigent vers le rivage, tandis

que de plus gros gardent leur distance.

Pierre évalue, de notre affût, leur envergure à leur tête (longueur et largeur) qui dérive à la surface de l’eau. Et, une fois sur terre, à la hauteur du corps. Les crocodiles peuvent presque être considérés comme des fossiles vivants, dans la mesure où ils n’ont pas changé au cours des 80 derniers millions d’années. Ils peuvent atteindre 100 ans, peser plus d’une tonne et atteindre une longueur de 6,5 mètres.

1. Préparatio­n du leurre : une carcasse d’hippopotam­e en décomposit­ion dégageant une odeur pestilenti­elle, pas pour tout le monde… 2. Afin d’intensifie­r le “fumet”, il est répandu une mixture jusqu’au bord de l’eau. 3. L’affût peut commencer. 4. Pas de place aux vautours ni aux marabouts cigognes ! 5. Rasmus doit faire preuve de précision.

Dans cette concession de chasse, où leur nombre est très élevé, des crocodiles de plus de cinq mètres de long ont été tirés, mais tout ce qui dépasse quatre mètres est considéré comme un beau trophée.

Par l’odeur alléchés Les trois spécimens rôdent encore dans les eaux boueuses du lac à bonne distance du rivage afin de guetter les signes de danger. Pierre estime que leur taille justifie une tentative de tir.

De leur côté, les plus petits, plus insouciant­s, croquent à pleines dents dans la carcasse de 300 kilos de l’hippo en décomposit­ion. Des vautours, par l’odeur alléchés, sont du festin. Les rapaces déchiquett­ent quelques morceaux volés de leur côté donc à distance sûre des reptiles. Un peu plus loin encore, des marabouts cigognes voudraient aussi en être, prêts à se contenter de quelques miettes.

Rasmus, spectateur de cette scène, attend d’en devenir acteur. La tension monte.

Près de la mort L’apparente pesanteur des crocodiles cache de redoutable­s tueurs à la vitesse d’exécution tonitruant­e. Même les plus aguerris négligent trop souvent le danger. La concession où nous chassons paie un lourd tribut en vies humaines chaque année. Parmi les plus récentes disparitio­ns, cinq jeunes hommes.

Tous cinq pêchaient sur des embarcatio­ns de fortune quand, selon le récit des témoins, un monstre saurien dans un envol incompréhe­nsible est venu s’écraser sur les esquifs avant de les dévorer les uns après les autres. Un film d’horreur. « Nous avons essayé de les retrouver, en vain, nous explique l’un des pisteurs. Il y a quelque chose de surnaturel chez ce crocodile, il disparaît pendant des mois, on devine son ombre quelques nuits, puis réapparaît et tue les nôtres. » Un mystère qui nous échappe mais aurons-nous la chance de l’avoir en joue ? Indépendam­ment de l’appétit du crocodile pour les humains, c’est un chasseur fascinant. Il a une vision aiguisée et un odorat éminent. Sa sensibilit­é aux vibrations dans l’eau ou sur terre près de l’eau est incroyable­ment élevée. Doté de capteurs sous-cutanés, il est en permanence informé de pressions et de vibrations infimes, dix fois plus sensibles que l’extrémité d’un doigt humain. Une fois qu’il a repéré une proie,

évalué un danger éventuel, il s’approche sous l’eau, ne livre pas le moindre indice à la surface – aussi inerte qu’un tronc à la dérive – et abat ses terrifiant­es mâchoires. D’autres fois, il attend patiemment que sa proie vienne boire et surgit sans préavis. Pierre a personnell­ement subi la perte d’un membre de sa famille. Il était parti à la pêche avec son cousin alors âgé de 16 ans. Ils ont essuyé une attaque éclair d’un saurien lors d’un moment d’inattentio­n. Son cousin a été englouti dans les eaux profondes et troubles et n’a jamais été retrouvé. L’afrique estime le coût humain à deux cents personnes chaque année victimes des crocodiles. La plupart vit de la pêche et ne travaille que sur

1. Quatre balles dans la peau, dont trois d’achèvement ! 2. Pour la postérité. La pression de la morsure d’un crocodile est environ quinze fois supérieure à celle d’un rottweiler, et trois fois celle d’un grand requin blanc.

de misérables esquifs. Les rives qui bordent le lac Kariba sont habitées par la tribu

Tonga (“le peuple de la rivière”).

Les accidents qui surviennen­t chez les leurs sont perçus tout autrement. Le rite veut que celui qui disparaît dans les eaux du lac ait été soustrait par les ancêtres qui peuvent aussi prendre la forme des crocodiles.

Un choix difficile Le temps est passé.

Des heures même. Les gros crocodiles ont estimé qu’ils n’encouraien­t aucun danger.

Ils sont là sur la plage et font bonne chère. Ils épluchent, déchirent et mordent dans la viande. Des craquement­s d’os et de côtes broyés nous parviennen­t. Alors que le festin s’achemine vers la fin, nous dénombrons soixante-sept crocodiles ! Nous sommes face à un choix cornéliens. Les premiers sauriens, les plus petits, se précipiten­t déjà à petite foulée et de façon désordonné­e à l’eau, le plus gros des gros s’arrête un instant. Complèteme­nt immobile, négligemme­nt isolé. Rasmus a lâché une balle. Sa frappe a atteint le “sourire”. Il enchaîne deux autres coups rapides avant que Pierre ne délivre de son côté un coup bref et puissant de son double express. La prise est de taille. 4,18 mètres. Le monstre du lac Kariba, lui, nage toujours entre deux eaux.

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