Crocodile au Zimbabwe
Le crocodile est l’un des voisins les plus dangereux des Tongas et l’une des causes majeures d’accidents mortels parmi les pêcheurs de cette tribu du lac Kariba. Éliminer l’un de ses sauriens les remplit de joie semblable à celle du chasseur qui s’en char
Bien que l’hippopotame ne soit pas mort depuis plus d’une journée, il dégage une odeur abominable en raison de cette chaleur étouffante. La mixture, issue de son estomac et de son sang, que répandent de la carcasse au bord de l’eau les pisteurs, amplifie davantage encore la pestilence ambiante. Ce qui pour nous, humains, semble abject, met en transe n’importe quel saurien qui rôderait à fleur d’eau de ce lac. À telle enseigne que pas un individu de leur espèce ne résisterait aux promesses infâmes que dégagent les fumets des quartiers de viande en décomposition. Balle d’oeil ou de “sourire” Mais il en faut plus pour décourager Rasmus Kjaer et Pierre Hundermark, guide de chasse professionnel. Les premières têtes, qui irisent déjà la surface de l’eau, confirment que leur obstination a eu raison de cette odeur inqualifiable. Silencieusement, de plus en plus de sauriens se rapprochent de la petite baie. Pierre a vérifié au préalable que la profondeur ne soit pas démesurée pour ce type de chasse. Dans l’idéal, les quelques mètres à l’approche du rivage ne doivent pas dépasser la taille afin que, si l’un d’eux dans sa fuite veuille disparaître dans les profondeurs du lac, il succombe au coup de grâce. Si la première balle n’est pas précisément placée derrière l’oeil ou mieux derrière « le sourire », la seconde doit y veiller. Au premier emplacement, le cerveau est touché, au second – entre les deux mâchoires où la tête se lie au reste de l’imposant corps – la colonne vertébrale est brisée. Les crocodiles sont toujours chassés lorsqu’ils nagent à fleur d’eau d’un lac, d’une rivière ou à l’approche d’un appât. Dans un lac aussi vaste que celui de Kariba – né du barrage du même nom, partagé entre Zambie et Zimbabwe –, les rives sont si ouvertes que la chasse à l’approche semble vaine. Afin de donner à Rasmus,
1. Deux de nos pisteurs. Sur le lac Kariga, les accidents mortels sur ces fragiles esquifs surviennent toujours sans préavis. 2. Le mimétisme avec un tronc d’arbre à la dérive est toujours confondant.
la meilleure opportunité de tir du crocodile le plus imposant, Pierre a opté en toute logique pour l’appât. Mais attention, cette chasse n’est pas aussi facile qu’il y paraît. L’appât demeure la meilleure option, mais les crocodiles font preuve d’une étonnante rapidité une fois sur la terre ferme ! Pierre explique à Rasmus que l’affût de ce genre de chasse nécessite patience et calme avant que les premiers petits crocodiles n’osent quitter l’eau et venir goûter l’appât. Les plus gros succèdent aux plus petits après un certain temps. Dès lors, le saurien le plus isolé et le plus immobile sera sélectionné. Il s’agira ensuite de placer le plus précisément possible sa balle et si elle fait mouche quelques tirs supplémentaires d’achèvement garantiront la mort du crocodile.
Du fond de l’eau, du fond des âges
Le scénario se confirme, les premiers petits crocodiles se dirigent vers le rivage, tandis
que de plus gros gardent leur distance.
Pierre évalue, de notre affût, leur envergure à leur tête (longueur et largeur) qui dérive à la surface de l’eau. Et, une fois sur terre, à la hauteur du corps. Les crocodiles peuvent presque être considérés comme des fossiles vivants, dans la mesure où ils n’ont pas changé au cours des 80 derniers millions d’années. Ils peuvent atteindre 100 ans, peser plus d’une tonne et atteindre une longueur de 6,5 mètres.
1. Préparation du leurre : une carcasse d’hippopotame en décomposition dégageant une odeur pestilentielle, pas pour tout le monde… 2. Afin d’intensifier le “fumet”, il est répandu une mixture jusqu’au bord de l’eau. 3. L’affût peut commencer. 4. Pas de place aux vautours ni aux marabouts cigognes ! 5. Rasmus doit faire preuve de précision.
Dans cette concession de chasse, où leur nombre est très élevé, des crocodiles de plus de cinq mètres de long ont été tirés, mais tout ce qui dépasse quatre mètres est considéré comme un beau trophée.
Par l’odeur alléchés Les trois spécimens rôdent encore dans les eaux boueuses du lac à bonne distance du rivage afin de guetter les signes de danger. Pierre estime que leur taille justifie une tentative de tir.
De leur côté, les plus petits, plus insouciants, croquent à pleines dents dans la carcasse de 300 kilos de l’hippo en décomposition. Des vautours, par l’odeur alléchés, sont du festin. Les rapaces déchiquettent quelques morceaux volés de leur côté donc à distance sûre des reptiles. Un peu plus loin encore, des marabouts cigognes voudraient aussi en être, prêts à se contenter de quelques miettes.
Rasmus, spectateur de cette scène, attend d’en devenir acteur. La tension monte.
Près de la mort L’apparente pesanteur des crocodiles cache de redoutables tueurs à la vitesse d’exécution tonitruante. Même les plus aguerris négligent trop souvent le danger. La concession où nous chassons paie un lourd tribut en vies humaines chaque année. Parmi les plus récentes disparitions, cinq jeunes hommes.
Tous cinq pêchaient sur des embarcations de fortune quand, selon le récit des témoins, un monstre saurien dans un envol incompréhensible est venu s’écraser sur les esquifs avant de les dévorer les uns après les autres. Un film d’horreur. « Nous avons essayé de les retrouver, en vain, nous explique l’un des pisteurs. Il y a quelque chose de surnaturel chez ce crocodile, il disparaît pendant des mois, on devine son ombre quelques nuits, puis réapparaît et tue les nôtres. » Un mystère qui nous échappe mais aurons-nous la chance de l’avoir en joue ? Indépendamment de l’appétit du crocodile pour les humains, c’est un chasseur fascinant. Il a une vision aiguisée et un odorat éminent. Sa sensibilité aux vibrations dans l’eau ou sur terre près de l’eau est incroyablement élevée. Doté de capteurs sous-cutanés, il est en permanence informé de pressions et de vibrations infimes, dix fois plus sensibles que l’extrémité d’un doigt humain. Une fois qu’il a repéré une proie,
évalué un danger éventuel, il s’approche sous l’eau, ne livre pas le moindre indice à la surface – aussi inerte qu’un tronc à la dérive – et abat ses terrifiantes mâchoires. D’autres fois, il attend patiemment que sa proie vienne boire et surgit sans préavis. Pierre a personnellement subi la perte d’un membre de sa famille. Il était parti à la pêche avec son cousin alors âgé de 16 ans. Ils ont essuyé une attaque éclair d’un saurien lors d’un moment d’inattention. Son cousin a été englouti dans les eaux profondes et troubles et n’a jamais été retrouvé. L’afrique estime le coût humain à deux cents personnes chaque année victimes des crocodiles. La plupart vit de la pêche et ne travaille que sur
1. Quatre balles dans la peau, dont trois d’achèvement ! 2. Pour la postérité. La pression de la morsure d’un crocodile est environ quinze fois supérieure à celle d’un rottweiler, et trois fois celle d’un grand requin blanc.
de misérables esquifs. Les rives qui bordent le lac Kariba sont habitées par la tribu
Tonga (“le peuple de la rivière”).
Les accidents qui surviennent chez les leurs sont perçus tout autrement. Le rite veut que celui qui disparaît dans les eaux du lac ait été soustrait par les ancêtres qui peuvent aussi prendre la forme des crocodiles.
Un choix difficile Le temps est passé.
Des heures même. Les gros crocodiles ont estimé qu’ils n’encouraient aucun danger.
Ils sont là sur la plage et font bonne chère. Ils épluchent, déchirent et mordent dans la viande. Des craquements d’os et de côtes broyés nous parviennent. Alors que le festin s’achemine vers la fin, nous dénombrons soixante-sept crocodiles ! Nous sommes face à un choix cornéliens. Les premiers sauriens, les plus petits, se précipitent déjà à petite foulée et de façon désordonnée à l’eau, le plus gros des gros s’arrête un instant. Complètement immobile, négligemment isolé. Rasmus a lâché une balle. Sa frappe a atteint le “sourire”. Il enchaîne deux autres coups rapides avant que Pierre ne délivre de son côté un coup bref et puissant de son double express. La prise est de taille. 4,18 mètres. Le monstre du lac Kariba, lui, nage toujours entre deux eaux.
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