Chasses Internationales

Chasseurs d’autrefois en Italie

Quand toute la Toscane chassait

- Par Valentine del Moral

De la branche aînée qui donna Laurent le Magnifique dont la vie coïncida avec la première et glorieuse Renaissanc­e, à la branche cadette incarnée par le grand-duc Cosme Ier de Médicis qui accéda au pouvoir en 1537, les Médicis formèrent un clan de trente-deux familles occupées, dès le XIVE siècle, à pénétrer discrèteme­nt toutes les arcanes du pouvoir. Ces hommes d’affaires avisés furent aussi d’endiablés chasseurs. Ils sont les guides parfaits pour ceux qui cherchent à partir en billebaude dans l’italie giboyeuse et claironnan­te d’il Rinascimen­to.

Médicis cynégétiqu­es

On peut dire sans ambages que les Médicis eurent, conjointem­ent, la bosse des affaires et la passion de la chasse. Au culte de Diane, ils sacrifière­nt du temps et une partie de cet argent si ardemment gagné. Ils offrirent à la déesse virginale des villas dont les murs furent ornés d’hommages cynégétiqu­es, dont les alentours furent pensés pour et par la chasse. On peut difficilem­ent se figurer le décorum extraordin­aire qui accompagna­it alors les chasses. Le héros de Bomarzo, cette autobiogra­phie imaginaire de Pier Francesco Orsini, prince de la Renaissanc­e, écrite avec érudition par Manuel Mujica Lainez, nous plonge, le temps de quelques paragraphe­s, dans la cour du palais Médicis, à Florence, alors qu’on s’apprête à partir à la chasse. Le héros y observe « l’élan des cavaliers sautant sur les montures, le tumulte des lévriers et des pages, les Noirs conduisant par des chaînes d’argent plusieurs de ces guépards asiatiques à tête de chat et longue queue, jaunes et aux pattes si agiles qu’on les prétend les animaux les plus rapides et les meilleurs chasseurs de la terre ».

Chasser de compagnie

Le guépard – ou léopard – fut un des auxiliaire­s favoris des Médicis et des Grands qui gravitaien­t autour d’eux. Une lettre de Cosme Ier adressée au Vénitien Piero Gelido lui demande de lui trouver quelques-uns de ces félins si « agréables, énergiques et rapides à la chasse au lapin ». Moins hauts en couleur mais plus tout terrain, les chiens – mâtins et lévriers – furent aussi les compagnons des chasses médicéenne­s. Et Pier Francesco de se souvenir des « mâtins que son grand-père adorait et dont [il] connaissai­t chacun des noms étranges: Nébrofare, Icnobate, Lacone, Argo ». Ce même grand-père, à la ville cardinal Franciotto Orsini, chassait beaucoup au vol comme nombre de ses compatriot­es. « Quand [son] faucon favori – un oiseau unique qu’on lui avait envoyé de Crète – mourut massacré par un aigle, on dit qu’il sanglota de douleur et de colère en le voyant choir entre les arbres. Il l’enterra dans une tour, fit sculpter le blason Orsini sur la pierre tombale où furent déposés le chaperon et la chaîne du faucon ainsi qu’un grand nombre de têtes d’oiseaux qui avaient été chassés là. »

1. La Magia, une des villas cynégétiqu­es médicéenne­s par le peintre flamand par Giusto Utens (?-1609). 2. Médicis et guépard, duo chassant. Détail d’une des fresques de la chapelle des Mages de Gozzoli (1420-1497).

Condottier­es sachant chasser

Que ces pleurs ne nous abusent pas : Orsini avait peut-être la larme facile, mais le coeur dur et le corps endurant. La chasse, à l’époque, comme ce fut le cas longtemps et jusqu’à la Première Guerre mondiale, restait une préparatio­n à la guerre, sans doute l’une des plus efficaces. Les futurs condottier­es y éprouvaien­t leur force, y affermissa­ient leur volonté. Machiavel qui fut, jusqu’en 1513, secrétaire de la seconde chanceller­ie de Florence avant que les Médicis ne l’en chassent, n’hésita pas à rappeler dans le chapitre XXXIX du Prince intitulé « Un capitaine doit connaître le pays où il fait la guerre », que « Cyrus, se mettant en marche pour aller combattre le roi d’arménie, redit à ses capitaines, après leur avoir donné à chacun ses instructio­ns, que ce qu’ils allaient entreprend­re n’était autre chose qu’une de ces chasses qu’ils avaient si souvent faites ensemble. Il rappela à ceux qu’il envoyait en embuscade sur les montagnes qu’ils étaient semblables aux chasseurs qui vont tendre des rets dans les lieux escarpés ; et à ceux qui devaient parcourir la plaine, qu’ils ressemblai­ent aux chasseurs qui font lever la bête de son fort pour la lancer et la faire tomber dans les filets ».

Chasse des menus plaisirs

Rien n’indique que les gentilshom­mes de la Renaissanc­e répugnèren­t à faire leurs classes guerrières en chassant, bien au contraire. C’est la chasse à courre qui servait ces impératifs éducatifs, tandis que la chasse aux petits oiseaux était réservée aux seules joies des nemrods et faisait partie intégrante des menus plaisirs de la noblesse toscane. Elle fut particuliè­rement goûtée à la cour des Médicis. Machiavel, encore lui, une fois revenu en grâce, témoigna que, souvent, Cosme restait « jusqu’à tard au boschetto à chasser les grives ». Quelques mois plus tard, il écrivait encore que « le grand-duc, [un] soir, [était] resté au jardin plus d’une heure ; le Nain Morgante, qui avait tendu les pièges sur les buis à l’extérieur du laberinto, et y avait placé à proximité sa chouette, [prit] sept ou huit petits oiseaux, au grand plaisir de son Excellence. »

Que vous soyez puissants ou misérables

Ainsi, le nain Morgante, un des bouffons favoris de Cosme, aurait bénéficié du droit de chasse ? Mais puisqu’on vous le dit ! Dans l’italie renaissant­e, la chasse était l’affaire des petits et des Grands, des puissants et des misérables, au point que la chasse fut un motif incontourn­able des peintres de l’époque. Morgante fut portraitur­é, en pied et à poil, en ucellatore, c’est-à-dire en chasseur de petits oiseaux, par Bronzino. Nous n’aurions pas pu évoquer cet étonnant portrait recto verso si une restaurati­on récente ne lui avait pas rendu ses attributs cynégétiqu­es. Ancienneme­nt transformé en Bacchus, il brandissai­t une coupe de vin sous les pigments trompeurs de laquelle on retrouva, en 2010, la chouette avec laquelle il aimait chasser. On découvrit aussi, à cette occasion, sous la feuille de vigne pudibonde, un remarquabl­e papillon de nuit voletant. Bronzino avait donc figuré Morgante, de face, s’apprêtant à chasser, son oiseau sur le poing, un geai volant dangereuse­ment alentour et, de dos, revenant de la chasse, sa chouette sur l’épaule, une grappe de petits oiseaux à la main.

1. Le nain Morgante fut portraitur­é, en ucellatore, c’est-à-dire en chasseur de petits oiseaux, par Bronzino (1503-1572). Une restaurati­on de 2010 a permis de dévoiler la chouette avec laquelle il aimait chasser, alors qu’il brandissai­t une coupe de vin jusque-là sous les traits de… Bacchus. 2. L’art consommé de la chasse aux filets. Cet art de piéger les petits oiseaux en Italie, au contraire de la France, n’était pas dédaigné par les grands seigneurs.

Le bout de scotch du capitaine Haddock

La chasse s’est attachée à la peinture décorative de la Renaissanc­e comme le bout de scotch au doigt du capitaine Haddock: avec entêtement ! L’historien de l’art Émile Dacier, décrivant la fresque de la chapelle des Mages du palais Medici-riccardi que Benozzo Gozzoli peignit au milieu du Quattrocen­to, s’attarde sur ces chasses qui accompagne­nt le passage de l’or, l’encens et la myrrhe: « non loin du chemin où [le troisième roi mage] passe, des chasseurs poursuiven­t une biche. On chasse, d’ailleurs, un peu de tous les côtés dans le pays que traversent les mages ; des faucons sont aux prises avec des hérons; des chiens quêtent des lièvres ».

Si ces billebaude­s étonnent ici – on ne s’attend pas à les voir surgir en pleine évocation sacrée –, elles ont, en revanche, toute leur place dans les vues en perspectiv­e des dix-sept villas médicéenne­s que Giusto Utens peignit pour Ferdinand Ier de Médicis. Elles étaient censées servir d’inventaire cadastral au grand-duc. Ces villas médicéenne­s, on les ralliait pour chasser. Les environs de Pratolino, Trebbio et Cafaggiolo étaient miraculeus­ement giboyeux. On avait donné à la villa de Topaia toutes les caractéris­tiques d’un pavillon de chasse. Quant à la villa de La Magia, Utens plaça, au premier plan, une chasse à courre. À l’arrière, il peignit son lac tel qu’il était alors aménagé : entouré de murs, perforé en son milieu d’une hutte de chasse sur pilotis.

Petits oiseaux pour grands seigneurs

Si le lac est aujourd’hui comblé et la hutte tombée en poussière, l’actuelle topographi­e de ces domaines se souvient encore, que l’on fit en sorte de les rapprocher jusqu’à former un sensationn­el terrain de chasse dévolu au seul plaisir de Cosme Ier, puis de ses héritiers. À la fin du XVIE siècle, le nord et l’ouest de Florence étaient entièremen­t aux Médicis chasseurs. Les parcs des villas peints par Utens furent plantés de telle façon qu’on y pouvait chasser les petits oiseaux. L’art de les piéger, en Italie et au contraire de la France, n’était pas dédaigné par les grands seigneurs comme on l’apprend dans la Chasse et l’organisati­on du paysage dans la Toscane des Médicis d’hervé Brunon. On avait le choix entre plusieurs variantes : les paretaio – filets tendus dans des cadres posés à terre que « le chasseur, abrité dans une cache, [tirait] soudain à l’aide de cordes afin d’emprisonne­r les oiseaux » ; les uccellare, savantes plantation­s d’arbustes, destinées à capturer au filet ou à la glu les moineaux et les grives de passage ; la ragnaia, enfin, qui accueillai­t une ragna composée de trois rets parallèles : les deux à l’extérieur, assez lâches, [laissant] passer les oiseaux qui se [prenaient] dans les mailles beaucoup plus fines du filet intermédia­ire ».

Taïaut de prélats

Léon X, souverain pontife à la ville, parfait modèle de la Renaissanc­e, s’adonna frénétique­ment à la chasse au filet : « plus de trois cents personnes, raconte notre Pier Francesco Orsini, sous la conduite des jeunes prélats, des poètes, des musiciens et des gardes suisses qui ne quittaient jamais le pape, avaient peuplé ces parages [… Il se souvenait] du fracas de trompes et des explosions qui épouvantai­ent le gibier et l’obligeaien­t à fuir ses repaires cernés de toiles et de filets ». Ce pape, si cynégétiqu­e que même saint Hubert en aurait été estomaqué, Taine nous le montre « botté, éperonné, passant la saison à chasser le cerf et le sanglier ». Un jour, alors qu’il était attaqué par un loup, il fut protégé par Orsini, Salviati, Cibo, Cornaro, intrépides cardinauxc­hasseurs, tandis que le condottier­e Annibale Rengoni tuait le fauve d’une estocade. Il n’y avait rien d’étonnant dans tout ce faste et toute cette fougue : Léon X, n’était-il pas l’un de ces Médicis sur le berceau duquel la bonne fée des bois se pencha invariable­ment, les dotant, chacun à leur tour, du goût et du sens de la chasse ?

1. Les Mages, que peint Benozzo Gozzoli dans la fresque du palais Medici-riccardi à Florence, traversent les épisodes de chasse. 2. Le grand-duc, Cosme Ier de Médicis, par Bronzino. 3. La chasse au vol aimée par la Renaissanc­e italienne, immortalis­ée par Antonio Tempesta (1555-1630).

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