La Nouvelle Émotion et le RIP
La notion d’interdit existe depuis la nuit des temps, censure élaborée par chaque civilisation, visant à canaliser une pensée ou un acte. Ceux qui franchissent l’interdit sont en général déclassés. Depuis 1968, les interdits sont battus en brèche par des individus épris de Liberté. L’interdit étant liberticide, il serait donc interdit d’interdire. Toute morale coercitive ancienne devrait être abolie, l’ordre social actuel devant disparaître.
Cependant, au nom d’une morale reposant sur la “Nouvelle Émotion” à l’endroit des animaux, ceux-là mêmes qui, au nom de la Liberté, veulent supprimer tout Interdit, se révèlent les plus farouches censeurs. La Nouvelle Émotion ne consiste nullement à s’émerveiller de tout, à s’intéresser à tout. Elle n’est fondée ni sur une culture transmise au fil des générations, ni sur une connaissance acquise et vérifiée de l’homme ou de la Nature. Elle n’est pas humaniste. Elle est pour « la cause animale ».
En revanche, pour parvenir à ses fins, elle permet tout, légitime tout, autorise tout et l’on constate à quel point elle développe la haine et ses débordements tout en se méprenant sur le comportement animal. Or, notre système anthropologique et social a toujours concouru à tempérer nos émotions dans leurs excès et leurs conséquences, pour le bien de l’espèce humaine, et pas seulement.
LES CARNETS DU CIC DE JÉRÔME BARRÉ*
Le référendum d’initiative partagé (RIP) en France ne connaît pas d’équivalent dans d’autres pays. Il s’agit d’un processus législatif associant le corps électoral à une proposition de loi émise par le Parlement. Une minorité de parlementaires (20 %) et d’électeurs (10 %) peuvent donc contourner le mécanisme législatif actuel afin de permettre un vote référendaire.
La dérive de la démocratie, puisque les électeurs ne se rendent plus aux urnes, permet aujourd’hui à un nombre réduit de personnes d’élire leurs représentants. Notre président de la République, nos maires dernièrement, ont pu être élus avec une faible représentation électorale. Est-ce satisfaisant ?
Le RIP peut se révéler un processus accentuant la crise de votes: un petit nombre peut lancer un référendum qui sera finalement voté par peu d’électeurs. Quelques censeurs pourront alors lancer leurs interdits, la Nouvelle Émotion trouverait sa consécration, légalement.
Toutes les questions de société pourraient être passées au crible du référendum. Si l’on n’y prend garde, le RIP se révélera la nouvelle téléréalité, le grand ring des luttes sociales et de toutes les frustrations. Un Koh-lanta pour de vrai. Devrait-on supprimer les fêtes musulmanes où sont égorgés les moutons ? Devrait-on supprimer l’enseignement des langues locales (basque, breton, corse) ? Mon animal de compagnie pourrait-il être mon héritier au même titre que mes enfants ? Devrait-on limiter l’immigration en France ? Devrait-on interdire la chasse, sous toutes ses formes ?
Un eugénisme politique où les moins nombreux seront peu à peu chassés par lapidation démocratique. Ce serait de l’émotion pure. Ainsi, en voulant recourir au RIP, en vue de supprimer la chasse à courre, les chasses traditionnelles et en mélangeant tous les sujets relatifs aux animaux, quelques riches contribuables, dont les lendemains financiers sont assurés, sont en train d’initier un jeu politique dangereux pour des causes qu’ils méconnaissent.
En pensant faire le Bien, certains détruiront une économie substantielle et une culture vivante qu’il sera impossible de retrouver. Pour autant, les espèces sauvages s’en porteront-elles mieux ?
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(*) Conseiller juridique du comité exécutif du CIC
(Conseil international de la chasse et de la faune sauvage).