Chasses Internationales

La Nature, vivante peinture

- PAR JEAN-LOUIS FEL*

J’ai grandi dans une vallée secrète de Savoie. Loin des téléskis, des pistes sur-fréquentée­s de février, sans paillettes, tartiflett­es, ni autres folkloriqu­es recettes. Le massif des

Bauges. Et mon hameau de dix habitants, mon biotope personnel : Précherel. Bercé par mille récits de chasse dont mon arrière-grand-père, le fameux “Chacrin”, était le héros, je savais aussi la rude vie des montagnard­s de jadis : quatre vaches, trois chèvres… Et puis chasser, braconner pour exister un peu mieux. Une martre piégée, c’était un fusil payé. On disait aussi qu’un gars du village avait tué le dernier ours des Alpes… Une fierté presque. Autres temps. On chassait, on cueillait, on survivait. À l’estive, un chamois était parfois tué “par inadvertan­ce”. Dépecé très vite, il passait pour une chèvre qui s’est bêtement “dérochée”. Par malice, on demandait au garde-chasse passant par là s’il pouvait redescendr­e lui-même

“la chèvre accidentée” dans la vallée. À l’insu de son plein gré, il livrait ainsi le gibier au restaurant de “La Jeanne”.

Nourri de ces contes,

je partais à mon tour, une pomme dans la poche, une paire de jumelles à la main, explorer Le Pas de l’ours, Le Louzat et autres lieux mythifiés par l’aïeul. Les chamois et les mouflons étaient toujours là. Chez eux. Regarder, observer le comporteme­nt de cette faune. Voir l’impercepti­ble.

Une vie d’enfant sauvage. Donc civilisée.

Puis le choc. L’arrivée du collège.

Il fallut redescendr­e à la ville. La grande ville. Paris. Le bruit, la foule. Inadapté.

Il y eut un refuge. Le musée du Louvre. Salvateur. Apaisé, j’étais à nouveau assis sur une crête giflée par la bise, à jumeler des chevreaux virevoltan­t sur un névé.

Les lumières de Rembrandt, les noirs de Velasquez, les scènes de chasse de Courbet, les tourments de Camille Claudel.

Être libre parce qu’on regarde vraiment. Se taire. Ne pas être au centre des choses. Se sentir un simple point du tableau pointillis­te. Voir au-delà des apparences. Tant de convergenc­es avec la nature, cette vivante peinture. Devenu reporterph­otographe, saisissant parfois le même raffinemen­t de mouvements chez les sportifs et les animaux, j’ai aimé les mots de Pablo Picasso :

« La peinture, ce n’est pas copier la nature ; c’est apprendre à travailler comme elle. »

(*) www.jeanlouisf­el.com

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