Ours - Pas Bisounours du tout !
Brown bear en anglais, braunbär en allemand, oso pardo en espagnol, medved en russe, l’ours brun, sous ses airs bonhommes, est un redoutable prédateur. Portrait d’ursus qui a colonisé deux continents, de l’amérique du Nord à l’eurasie
Dimanche 25 octobre 1992. – Papa ! Papa ! Tu es à la télé ! – Qui ? Moi ? Pas de doute je suis bien à la télévision mais à peine reconnaissable car mon visage est masqué par un large bandeau noir. Un brouillage racoleur à la façon des émissions qui veulent faire passer un message à charge et me faire passer pour un criminel car je m’exprime derrière un ours brun mort.
Nous sommes sur France 3 en première partie de soirée. Le thème est la chasse. Il s’agit d’un débat, théoriquement contradictoire, présenté et animé par Brigitte Bardot !
Inviter Brigitte Bardot dans un débat contradictoire sur les relations homme-animal-nature, dans une émission du service public, en disait déjà long sur la définition de la pluralité et de l’objectivité des médias et d’une chaîne nationale dans notre pays. Le système n’a pas changé ce qui vous explique ma crainte (haine?) des journalistes. Lors de cette émission je fus l’objet d’un petit reportage afin de démontrer que l’ouverture des frontières des pays de l’ex
L’URSS provoquait la destruction des ours bruns. Une totale désinformation car il s’agissait d’un ours brun d’anatolie (est de la Turquie) que j’avais chassé quatre années plus tôt lors d’un reportage organisé par l’agence de photographie Sygma, ou plutôt sa nouvelle filiale de documentaires Sygma TV.
Pour la sortie du film l’ours de Jean-jacques Annaud, Sygma TV cherchait une agence de voyages de chasse pour suivre une vraie chasse à l’ours. J’ai accepté d’emmener une équipe du 1er au 8 novembre 1988 en imposant deux conditions : la première, c’était moi qui chasserais, afin de contrôler la sportivité de la chasse ; la seconde, c’était à l’agence de payer toute la chasse y compris la taxe de l’ours. Cette dernière condition a été étonnamment acceptée car, sur le plan déontologique, c’était particulièrement peu orthodoxe pour ne pas dire malhonnête. Des journalistes me payaient pour chasser un ours ! Je ne suis pas entré dans ce genre de considérations qui concernaient Sygma plus que moi qui étais enthousiaste d’effectuer ma première chasse à l’ours brun.
Finalement ce documentaire n’est jamais sorti. Mais voilà que les rushes étaient utilisés dans l’émission de Brigitte Bardot contre la chasse en me faisant passer pour un de ces voyous qui exterminent les ours sur la planète.
Pourtant l’ours brun (Ursus arctos) est un animal très largement réparti dans l’hémisphère nord et relativement abondant ici ou là. Il est classé « préoccupation mineure » (Least Concern LC) par l’union internationale de la conservation de la nature (UICN). Il est en Annexe II de la Cites (commerce international des spécimens des espèces inscrites) ce qui oblige simplement d’accompagner d’un permis le trophée pour le transporter vers le pays d’origine du chasseur. Sauf que l’europe en le classant dans la catégorie A ajoute ses propres contraintes pour l’importation des trophées des spécimens chassés.
En Europe, on trouve des bonnes populations en Croatie et en Roumanie et l’espèce se maintient ou se développe partout ailleurs y compris dans nos Pyrénées françaises. L’ours brun a disparu des Alpes françaises en 1937 mais il
restait un noyau d’une quinzaine d’individus dans les Pyrénées à la fin des années 1990. Entre 1996 et 2006, huit ours en provenance de Slovénie ont été lâchés. On estime la population actuelle autour de 50 ours, la plupart se trouvent dans les Pyrénées centrales (Comminges, Couserans, Val d’aran, Catalogne, Andorre).
L’ours brun est abondant dans tout le Caucase tout comme dans certaines montagnes d’asie centrale dont le Badakhshan où l’on trouve la sous-espèce Ursus arctos isabellinus, une sous-espèce qui possède des griffes blanches et une robe à tendance “isabelle” même si les vieux spécimens sont toujours plus sombres. En Eurasie, un ours à la robe brun foncé presque noire est le signe d’un âge avancé.
Il est présent dans toute la Sibérie jusqu’aux côtes de la mer d’okhotsk et au Kamtchatka. En Mandchourie et en Oussourie, l’ours brun côtoie l’ours noir à collier autrement appelé ours du Tibet (Ursus thibetanus).
Inversement, c’est plutôt dans le Centre et l’est de l’amérique du Nord que les populations sont les plus denses, notamment sur les côtes de l’alaska, sur l’île Kodiak et dans les îles Aléoutiennes. C’est donc des deux côtés de l’océan Pacifique que l’on trouve la plus grande densité d’ours bruns au monde et les plus grands spécimens aussi. Tout simplement car la nourriture y est plus abondante grâce aux cinq espèces de saumons du Pacifique qui viennent mourir en rivière après avoir frayé entre mai et septembre.
Cet apport important en protéine augmente le poids moyen des ours bruns ce qui
a poussé les chasseurs nord-américains à donner deux appellations différentes selon l’endroit où ils sont chassés.
L’ours brun des côtes de l’alaska (Costal brown bear) dont celles des îles Kodiak et des Aléoutiennes est considéré comme plus grand que celui que les chasseurs américains appellent l’ours grizzly et qui vit à l’intérieur du continent nordaméricain.
Dans l’imaginaire des Américains, le grizzly est un grand ours. Oui, il l’est dans Les Rocheuses et le Parc national du Yellowstone mais en comparaison de l’ours noir (Ursus americanus) dit aussi baribal. Pour les chasseurs américains, le grizzly sera toujours plus petit en moyenne que les ours bruns des côtes de l’alaska, grands consommateurs de saumons. L’ours grizzly consomme une nourriture plus variée à base de viande (rongeurs, cervidés) mais aussi de baies, de pignons et de bulbes. Cette différence de classification se cale sur les zones de remontée de saumons qui s’arrêtent
au pied des cols. Bien sûr, c’est juste une tentative de classification de trophées pour une même espèce d’ours bruns car certains ours peuvent être “ours brun des côtes” mais passer un col et devenir grizzly ! C’est toujours compliqué d’être cartésien en matière de classification de trophées de chasse.
L’ours brun est un animal qui s’adapte à de nombreux milieux naturels. Preuve en est, il est toujours présent dans beaucoup de régions d’europe y compris dans les Pyrénées. L’ours blanc dit aussi “ours polaire” (Ursus maritimus) n’est que l’extension vers le Nord de l’ours brun qui s’est adapté à l’étendue de la calotte polaire pendant les grandes glaciations. Les deux espèces sont tellement proches sur le plan phylogénétique qu’elles sont reproductibles. Il n’est donc pas très rare de rencontrer dans la nature ces “hybrides” (qui n’en sont pas), appelés “grolaire” ou “pizzly”. L’expérience avait même été effectuée zoo de Thoiry en région parisienne ainsi qu’à celui de Montevran en Sologne.
Le croisement de deux espèces différentes donne un hybride non reproductible. Pour exemple, une jument avec un âne produit un mulet et un cheval avec une ânesse donne un bardot. Deux animaux qui ne peuvent pas se reproduire.
Cette capacité d’adaptation de l’ours devrait permettre à l’ours polaire de s’adapter à nouveau si la calotte glaciaire continuait de diminuer. J’en profite pour m’étonner que l’ours blanc ait été pris comme icône des réchauffements climatiques en lui vouant une disparition certaine (voir Chasses internatioau nales n° 15). Car les ours polaires ne mangent pas de glaçon mais principalement de la viande (des phoques, des charognes de mammifères marins ou de poissons) tout autant que des baies dès que l’été arrive. C’est peutêtre une nouvelle pour certains mais dans l’arctique il y a aussi un été de la mi-juin à la mi-septembre pendant lequel les ours polaires sont ravis de pouvoir diversifier leur nourriture. Seules les femelles qui mettent bas en hibernant peuvent rester huit mois en vivant sur leurs réserves de graisse. Les mâles eux continuent de chasser et heureusement que tout n’est pas congelé car ils ne pourraient pas le faire.
Depuis 1960, la population d’ours polaire a considérablement augmenté au Canada passant de 5 000 à plus de 25 000 animaux (comptage de 2017) sur les populations connues au nord du Canada (Nunavut), au nord de l’alaska et au Groenland. Tout cela sans connaître la population au nord de la Russie car plus personne ou presque ne vit dans cette partie du monde sauf le groupe inuit que l’on retrouve dans l’extrême-est en Tchukotka (mer de Béring) en face de l’alaska.
Je me demande souvent pourquoi le loup a été éradiqué au début du XXE en France et pas
l’ours brun ? Le rythme de vie solitaire de l’ours avec de longs mois en hibernation de novembre à avril (en fonction de l’épaisseur de la neige et de la longueur de l’hiver) l’a probablement protégé durant cette partie de l’année. Peut-être aussi que son mode de nutrition, car moins carnivore que le loup, l’a mis à l’abri des empoisonnements qui avaient été destructeurs pour ce dernier.
L’ours brun reste un carnivore même si, lors des programmes de réintroduction de l’ours des Pyrénées, certaines associations de protection de la Nature tentaient de nous faire croire que l’ours brun ne mangeait que de la salade. Les bergers des Pyrénées ont pu constater l’inverse et il suffit de regarder quelques vidéos sur le Net afin de vérifier que l’ours est un grand prédateur pouvant tuer une brebis, une vache, un wapiti ou un élan. Et je ne conseille à personne de surprendre un ours ou de se trouver entre une ourse et ses jeunes. L’air de rien, l’animal est rapide. Il vous prendra dans ses pattes antérieures pour vous griffer le dos tout en vous éventrant de ses pattes arrière, votre crâne sera écrasé pendant ce temps-là entre ses crocs puissants ! Les attaques sur l’homme ne sont pas rares surtout dans les régions où l’animal n’a pas peur de l’homme. Dans le Parc national du Kronotski au Kamtchatka, le garde principal a été retrouvé partiellement dévoré. Son appareil photo avait permis de trouver le fautif. Un photographe animalier japonais, Moshion Hoshino, qui vivait en Alaska car passionné par les ours, avait été tué le 8 août 1996 dans sa tente par un ours brun dans le même Parc national de Kronotski. Je me souviens aussi qu’un de mes chasseurs avait été renversé et mordu à l’épaule par un grand ours pendant une battue de sangliers. L’ours était poursuivi par les chiens ce qui a évité que le chasseur ne soit plus gravement blessé.
Dans l’altaï au Kazakhstan, un ours brun avait attaqué un guide local avec qui je travaillais, du nom de Kobdulda. Il était avec son chasseur et arrivait à cheval dans un endroit où ils avaient entendu la veille au soir un ours se battre avec des loups. C’était dans la même zone que le chasseur avait tiré un maral quelques jours plus tôt sans pouvoir le retrouver. L’ours avait chargé le guide qui avait heureusement pu tenir son cheval tout en plaçant une balle dans la tête de l’ours à quelques mètres seulement. Il s’avéra que l’ours était très maigre car il portait un collet serré autour du ventre. Il protégeait donc ce qui lui permettait de se nourrir. Le chasseur a pu remercier doublement Kobdulda qui avait non seulement eu un bon réflexe mais retrouvé son maral.
Il faut donc se méfier des ours et la meilleure façon de s’en protéger est de l’imprégner de la peur de l’homme. Dans l’himalaya les gens craignent les ours à collier tout comme en Indes, où les ours lippu (Melursus ursinus)
les terrorisent. Dans ces régions, ils ne sont jamais chassés.
L’OFB (Office français de la biodiversité)
vient de créer une brigade pour faire fuir, avec
des moyens pyrotechniques, les ours bruns des Pyrénées qui rôdent autour des troupeaux ou des bergeries. Je me permets de leur conseiller de créer une petite meute et de la créancer sur l’ours. À la façon dont on chasse le puma outreatlantique, il faut équiper les chiens de colliers GPS et mettre au ferme l’ours à problème. L’espèce étant protégée en France, le but n’est pas de le tuer mais de lui faire tellement peur qu’il évitera les zones où l’homme et ses chiens vivent. C’est une excellente occasion pour endormir l’animal avec une seringue hypodermique dans le but de le marquer d’une balise qui permettra, en plus, de suivre ses allées et venues.
Cette technique très efficace est utilisée au Brésil par un ami pour éloigner les jaguars des troupeaux de bovins. J’ai souvent guidé des chasses au Kamtchatka où la densité d’ours bruns est l’une des plus fortes au monde avec en prime de très grands spécimens puisque ce sont des ours des côtes qui consomment des saumons. Entre 10 000 et 14 000 ours bruns coloniseraient la péninsule sur 270000 kilomètres carrés soit un peu moins que la moitié de la France. Il y a deux saisons pour chasser au Kamtchatka. Au printemps et à la fin de l’été. L’hiver est long et très enneigé dans cette partie du monde. Les ours sortent de l’hibernation généralement au début avril au moment du redoux et de l’allongement des jours. La neige est encore profonde ce qui permet de se déplacer, à la recherche de traces fraîches, à motoneige, pilotée par un guide russe. Le chasseur est installé à l’arrière sur un traîneau. La chasse peut se compliquer car la météo à l’influence océanique est capricieuse. Si le temps se refroidit les ours retourneront dans leur tanière. Si le temps est doux, ils seront tous en balade à la recherche de végétation pour se purger après six mois sans se nourrir. Mais les déplacements à motoneige seront alors impossibles.
Une fois l’ours repéré, il faut effectuer les approches finales en ski peau de phoque ou en larges raquettes bien que, comme toujours en Russie, le guide local cherchera à tirer l’ours de la motoneige par facilité. L’avantage de cette période est la longueur des journées surtout à la mi-mai avec près de vingt heures de lumière par jour.
L’autre période, qui a ma préférence car elle ne dépend pas d’un véhicule à moteur, commence à la fin août avec la possibilité de repérer les ours en altitude sur les mêmes territoires que les mouflons des neiges (Ovis nivicola). Mais on trouve les ours en plus grande densité le long des rivières en quête des cadavres de saumons qui sont morts après avoir frayé. Nous connaissons tous les images de ces saumons sautant hors de l’eau et attrapés au vol par de grands ours. Il s’agit alors de parties de rivières situées non loin de l’océan. Les saumons, qui ont grandi en mer, ont encore l’énergie de remonter vers les zones de fraie. Une fois arrivées sur les gravières, les femelles pondent puis les mâles viennent féconder les oeufs en déposant leur semence, appelée laitance. Arrivés en eau douce, les saumons arrêtent de se nourrir et finissent par se transformer en prenant pour certain, une couleur rose voire rouge foncée en fin de vie. Il n’est plus nécessaire d’être adroit pour les attraper.
Ce cycle de la vie est très étonnant, car toute une faune profite de cette nourriture facile. Les ours, bien sûr, mais aussi les renards, les zibelines, les grands corbeaux et les pygargues de Steller. Même les futurs alevins se nourriront des restes de leurs congénères pour grandir en direction de l’océan salé où ils deviendront des adultes dans l’attente de cet étonnant retour en eau douce. En octobre, en fonction des coups de froids et après la disparition de la viande de saumons, les ours partent se gaver de baies et de pignons de cèdres nains en montagne. C’est là qu’ils trouveront leurs tanières pour passer l’hiver.
J’en profite ici pour énoncer une évidence : l’ours brun est plus abondant que le sanglier en Sibérie centrale, au Kamtchatka et en Alaska! Et pour cause… il n’y a pas de sanglier, ni en Sibérie centrale, ni au Kamtchatka ni en Alaska. Mis à part quelques animalistes, personne ne critique la chasse du sanglier en France, alors pourquoi les réseaux sociaux s’enflamment-il à la vue d’un ours chassé en Sibérie ou dans Les Rocheuses ? J’ai déjà expliqué que l’ours n’était pas un animal en voie de disparition, bien au contraire, et sa chasse est bien réglementée et soumise à des quotas précis en Russie, au Canada ou ailleurs. Alors la raison est purement sentimentale car l’ours est un bel animal. C’est “tellement mignon un ourson”. La tradition de donner un “nounours” en peluche à ses enfants dès leur plus jeune âge y est certainement pour quelque chose aujourd’hui. Le surnom de Teddy Bear, pour appeler un ours en peluche, viendrait du surnom de Theodore Roosevelt, président des États-unis. En 1902, il aurait refusé de tirer un vieil ours lâché à son intention. L’anecdote avait été relayée par la presse et des émigrants russes auraient eu l’idée de commercialiser les premiers ours en peluche au surnom de Teddy.
L’ours en peluche est aujourd’hui détrôné par le panda géant dans le monde des “Bisounours”. Le bébé panda (symbole du WWF) est encore plus “mignon” qu’un ourson. Et puis la légende veut qu’il ne mange que des pousses de bambous. Le grand panda est bien un ours et il ne mange pas non plus que des végétaux. Dans les années 1990, fort de ma connaissance de la Chine profonde j’avais emmené des photographes animaliers dans la réserve de Wolong située sur le contrefort est du Tibet. Il y avait de larges forêts primaires de résineux avec effectivement une strate de buissons de bambous. Les laissées des pandas comportent les restes d’une nourriture ligneuse que l’on retrouve aussi dans les crottes des ours bruns au printemps alors qu’ils doivent se purger après l’hibernation. C’était l’époque où les Chinois cherchaient à maîtriser l’insémination artificielle des pandas et de ce fait souhaitaient capturer quelques spécimens adultes. Ils nous ont montré les grandes cages métalliques qu’ils appâtaient, non pas avec des pousses de bambous, mais avec de la viande de chèvre bleue, autrement appelé bharal ou blue sheep (“mouflon bleu”) par les Américains. Le bharal est un capriné très abondant sur tout le Tibet et ses contreforts.
Je conclurai sur une légende. L’ours brun est présent sur les hauteurs de l’himalaya et sur une grande partie du Tibet. Ce sont très certainement les traces de ces ours, sur les cols enneigés, déformées par le vent et le soleil, qui sont à l’origine du yéti, l’homme des neiges. Si on ajoute la drogue qui aide ces peuples montagnards dans leurs migrations à haute altitude, nous avons le cocktail idéal pour créer des légendes. C’est pour moi aussi une explication pour l’almasty du Caucase, cette créature mystérieuse. Un primate pour certains. Un homme préhistorique pour d’autres. Un ours brun pour moi.
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