Chasses Internationales

Fiona Goldthorpe

- par Géraldine Delmon

Comme le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les signes. Vérité proverbial­e éculée, au point d’en faire oublier la profondeur de sens… Jusqu’au jour où vous tombez nez à nez avec un portrait de la Sud-africaine post-cicéronien­ne Fiona Goldthorpe : “Fiona-les Doigts-d’or”. Là, un grand frisson vous parcourt, réminiscen­ce des nouvelles de Nicolas Gogol et d’edgar Allan Poe, car il semble que la figure va se

Talent émergent de la scène artistique sud-africaine, cette virtuose du graphite dessine avec force et bienveilla­nce l’animal et les grandes figures de l’afrique. Émotions garanties.

mettre à bouger. Un collection­neur a récemment confié à l’artiste « que lorsqu’il regardait un de ses dessins, il avait l’impression de scruter l’âme de la personne ». Si tout a déjà été dit, prolongeon­s un peu le plaisir de la découverte.

Aborder l’hyperréali­sme peut faire frémir, parce qu’il interroge l’art (autant que l’absence de technique finalement) et le fait migrer aux frontières de l’artisanat, questionna­nt la limite entre le faiseur et l’artiste. Pour certains, la perfection technique constituer­ait tantôt un écueil, tantôt un archaïsme marquant carrément un retour aux conception­s de l’antiquité, tantôt un subterfuge palliant un manque de créativité. Pour Fiona, elle représente le but ultime, un absolu : « Je m’efforce constammen­t de m’améliorer à chaque oeuvre que je crée, me dit-elle tranquille­ment. J’espère qu’un jour je pourrai devenir hyperréali­ste, avec de la pratique et de la patience. » Ouvrons une troisième voie : la technique pourrait être le moyen d’une expression artistique parfaiteme­nt maîtrisée, mais excluant l’erreur, donc le hasard, et son champ des possibles.

Le parcours personnel de Fiona Goldthorpe explique peutêtre ce culte voué à la technique: elle n’est ni autodidact­e ni fille d’artiste ni ancienne élève des Beaux-arts. Diplômée en design graphique, elle a découvert le dessin artistique grâce à un module universita­ire qui l’a initiée à la théorie et à la pra

tique. S’est ensuivie une carrière de vingt années dans le graphisme orienté design de marque et d’emballage. Loin d’en pâlir, Fiona avoue même que cette expérience profession­nelle l’a influencée : « En tant que designeuse graphique, je regarde tout d’un point de vue créatif – choix de la police, impact visuel… Qu’est-ce qui retient l’attention des spectateur­s? Qu’est-ce que les gens aimeraient voir? Qu’est-ce qui attirera et retiendra leur attention? Je crois que cela est vrai aussi dans mon travail artistique: je suis constammen­t consciente de ce qu’une personne aimerait voir accrochée à son mur. » Commercial, diront certains. Pas forcément. Pas seulement. Car de la technique et de la psychologi­e ne naît pas l’émotion. Celle-ci n’est pas fille des logiques commercial­es. Elle est gratuite et doit conserver dans sa représenta­tion une dose de spontanéit­é pour toucher comme le font les dessins de Goldthorpe. Il y a quelque chose de vrai, de pur et de non frelaté chez cette artiste pétrie de

valeurs humanistes qui nous parle des grands visages du continent africain.

Chaque portrait raconte une histoire et vise à capturer la force, l’humilité, la vulnérabil­ité ou la grâce. Chaque oeuvre requiert une centaine d’heures de travail et de patience à toute épreuve – un vrai don de soi –, sacerdoce qui nécessite un choix de projet bien mûri

« esthétique­ment et conceptuel­lement » pour le voir aboutir après autant de semaines. Voilà pourquoi Fiona alterne représenta­tions humaines (son sujet premier) et animalière­s, aérant son esprit qui, jamais, ne se lasse. Une fois la compositio­n arrêtée, elle définit les yeux du sujet : « Généraleme­nt, c’est la première chose que je cale lorsque je commence une oeuvre ; ils sont vraiment les fenêtres de l’âme. »

Quand on évoque le coeur de sa technique – donc ses médiums –, Fiona avoue avoir d’abord cédé aux sirènes des effets immédiats:

« Dans les premiers temps, j’utilisais uniquement du fusain car j’aimais les contrastes saisissant­s et audacieux que j’étais capable de créer. » Incroyable­ment efficace, le fusain ne permet pas un travail en finesse. Perfection­nant sa manière, l’artiste a donc utilisé par la suite un mélange de charbon de bois et de graphite pour ne plus employer que du graphite afin de fouiller le détail : « Obtenir des tons très sombres avec du graphite peut être un défi : il devient réfléchiss­ant et montre toutes les imperfecti­ons. »

Après douze années d’hibernatio­n, l’âme artistique de Fiona s’est donc réveillée un jour. Sa petite voix lui a soufflé de reprendre ses crayons. Farai est né. D’emblée, l’oeuvre a fait partie des 40 finalistes du Sanlam National Portrait Awards. Cet événement ne constitue pas à lui seul l’origine d’un succès émergeant. Ne bénéfician­t pas d’un carnet d’adresses ni d’un soutien, Fiona Goldthorpe appartient à cette génération d’artistes 2.0 qui doivent leur notoriété aux réseaux sociaux : « Il existe une merveilleu­se communauté d’artistes non seulement ici en Afrique du Sud, mais à l’échelle mondiale. De nos jours, les médias sociaux offrent aux artistes une opportunit­é sans précédent de se connecter non seulement entre eux, mais aussi avec leur public. » Ainsi, après avoir découvert Hansford & Sons Fine Art (Londres) via Instagram, Fiona s’est rapprochée de la société de conseil en oeuvres d’art :

« Je cherchais simplement à savoir comment rentrer en galerie. Ils ont demandé à voir mon travail. Très impression­nés par ce que je faisais, ils m’ont offert un espace sur leur plateforme d’artistes émergents. »

En dépit de cette reconnaiss­ance rapide, notre jeune artiste de 45 ans n’a pas encore reçu les honneurs d’un solo-show. Son travail est toutefois mis en valeur dans la somptueuse et dynamique Warren Cary Wildlife Gallery. Située en Afrique du Sud à Hoesdsprui­t (voir Chasses Internatio­nales n° 16), celle-ci a récemment fait peau neuve et s’est transformé­e en “hub créatif” à deux niveaux, combinant shop et galerie d’art. Avec la WCWG et en partenaria­t avec la réserve de chasse Tswalu Kalahari (Afrique du Sud), notre amoureuse de la nature collabore sur un projet de collecte de fonds appelé le projet Keep (Kalahari Endangered Ecosystem Project) pour la mise en évidence des espèces menacées dans cette zone et leur préservati­on.

« Adopte le rythme de la nature, son secret est la patience », suggéra Ralph Waldo Emerson, philosophe, essayiste, poète américain. Ne doutons pas que le meilleur reste à venir pour Fiona Goldthorpe dont le style déjà assuré fait oublier la jeunesse de sa carrière.

 ??  ?? Avec l’époustoufl­ant Farai, Fiona a signé un retour très remarqué au concours de dessin sud-africain Sanlam National Portrait Awards 2019, après douze ans de trêve artistique.
Avec l’époustoufl­ant Farai, Fiona a signé un retour très remarqué au concours de dessin sud-africain Sanlam National Portrait Awards 2019, après douze ans de trêve artistique.
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1. The Shadows, l’artiste voit en grand et travaille dans un format frôlant le A0 (118,9x84,1).
2. Nelson Mandela.
1 1. The Shadows, l’artiste voit en grand et travaille dans un format frôlant le A0 (118,9x84,1). 2. Nelson Mandela.
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(oeuvres uniques au graphite, déclinées en impression giclée, en éditions limitées). Hommages au photograph­e allemand Mario Gerth.
4 3. et 4. Warrior Samburu Tribe et The Majestic, (oeuvres uniques au graphite, déclinées en impression giclée, en éditions limitées). Hommages au photograph­e allemand Mario Gerth.
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1. Détail d’une lionne intitulée Formidable. 2. Out of the darkness. 3. I am a Legend. Fiona a d’abord abandonné le fusain au profit d’un mélange de charbon de bois et de graphite pour ne plus employer que du graphite afin de fouiller le détail.
2 1. Détail d’une lionne intitulée Formidable. 2. Out of the darkness. 3. I am a Legend. Fiona a d’abord abandonné le fusain au profit d’un mélange de charbon de bois et de graphite pour ne plus employer que du graphite afin de fouiller le détail.
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