Chasses Internationales

Chasseurs d’autrefois Napoléon éxilé

- par Valentine del Moral

Si Napoléon (1769-1821) était fait pour débucher les souverains et les courre, il n’était pas né chasseur. Contempora­ins et commentate­urs, tous ou presque s’accordent sur ce point. Mme de Rémusat l’écrit même dans ses Mémoires : « L’empereur aimait la chasse plutôt pour l’exercice

qu’elle lui faisait faire que pour ce plaisir en lui-même. » Pourtant, la chasse, en filigrane, rythma son séjour forcé à Sainte-hélène, île de confinemen­t s’il en est.

Avant la mise aux arrêts insulaire

Napoléon fut l’homme du Code civil et du Permis de chasser. Cherchant à créer un pont entre l’ancien Régime et le nouvel Empire, il eut le grand dessein d’en passer par la tradition cynégétiqu­e. Ayant fait du maréchal Berthier, ce chasseur devant l’éternel, son grand veneur, il le chargea d’organiser, avant même le Sacre, les premières chasses impériales. La chasse devint alors un instrument politique qui permit à Napoléon, entre autres, de recevoir en 1804 le pape Pie VII au débotté et dans la boue, de faire un pied de nez aux journaux

anglais qui, à son retour de Russie, titraient sur son visible dépérissem­ent, de profiter d’une chasse à Fontainebl­eau en janvier 1813 pour négocier le second Concordat.

Remède à la tristesse

Mais, et c’est à Charles-eloi Vial que l’on doit cette mise au point précieuse, Napoléon petit à petit se prit au jeu de Diane. On le vit chasser non plus pour la galerie, mais pour lui. S’appuyant sur les intuitions argumentée­s de Vial qui écrit que « son divorce avec Joséphine le poussa à adopter la chasse comme distractio­n afin d’oublier son chagrin », on peut supposer que, dès lors, la chasse devint un remède à sa tristesse. Pas étonnant, du coup, que Napoléon ait cru un moment pouvoir adoucir son second confinemen­t en comptant chasser à Saintehélè­ne. Cela n’avait-il pas été le cas en 1814, à l’île d’elbe où il avait fait aménager un parc de chasse ? Mais, il s’avéra bien difficile, dans cet autre là-bas, de retrouver cette paix devant soi.

Fusils d’exil

Dans son barda d’empereur déchu promis à l’exil, on compta quelques fusils de chasse. L’un resta sur le quai, à Rochefort où il hésita un temps entre la soumission et l’évasion. Napoléon, reconnaiss­ant à Besson qui lui avait organisé un plan de fuite en Amérique, lui donna « un riche fusil à deux coups qu’il avait emporté longtemps à la chasse » et qui, se rappelle Besson, se trouvait avec d’autres armes dans un angle de la pièce. « Je n’ai plus rien dans ce monde-ci à vous offrir mon ami, dit-il d’une voix émue, que cette arme. Veuillez l’accepter comme un souvenir de moi. »

Deux autres fusils firent le voyage à Saintehélè­ne. Napoléon y débarqua le 17 octobre 1815 mais dut attendre plus de deux mois que ses fusils en fassent autant. C’est au 1er janvier 1816 qu’ils lui furent restitués. Dans l’intervalle, Napoléon avait eu le temps de s’apercevoir que l’île était bien plus venteuse que giboyeuse. Il tourna en dérision cette manifestat­ion de bonne volonté comme il méprisa le présent que le prince-régent lui fit plus tard de trois fusils. Quel intérêt y avait-il à en posséder dans un pays où « confiné dans une enceinte de laves arides, il n’y avait pas d’autres animaux sauvages que des rats » ?

Aucune illusion cynégétiqu­e

Si la nature du terrain et la pauvreté du gibier ne permettent aucune illusion cynégétiqu­e, le prisonnier se risque cependant à partir en chasse le 7 janvier. Il rentre bredouille. Au contraire, le 9, c’est Byzance : 99 perdrix sont au tableau. L’exception qui confirme la règle. Le 14 août, il fait une nouvelle tentative qui s’achève sur ces paroles ironiques: « tout ceci n’est point précisémen­t les chasses de Rambouille­t ni de Fontainebl­eau ». Très vite donc, il abandonne la chasse aux exilés volontaire­s

qui l’ont accompagné sur le caillou. Las Cases se lamentera de cette disette de carnier dans son Mémorial, non sans une touche d’autodérisi­on : « parmi les arbres à gomme que des tourterell­es que quelques coups de fusil de la part du général Gourgaud et de mon fils eurent bien tôt détruites ou forcées à l’émigration ».

Rareté et ravins

Les chasseurs de l’ex-empereur ont beau être confinés et dépités, ils ne cassent pas leur fusil pour autant. Il y a bien quelques rares sangliers ici ou là, des faisans dans les parages mais qui sont chasse gardée des Anglais qui les gardent. Garnière dans son Napoléon à SainteHélè­ne évoque également les wirebirds, ces petits pluviers endémiques de l’île. Néanmoins, ce sont les tourterell­es et les perdrix qui sont la manne principale de l’île. L’énigmatiqu­e Piontkowsk­i qui débarque le 29 décembre 1815 et qui « s’incruste » – le mot est de Frédéric Masson – neuf mois à Longwood, en chasse et en tue parfois. Tuer est une chose, encore faut-il réussir à rapporter le gibier qui se plaît à tomber dans les ravins. Le jeu en vaut la chandelle tant une perdrix améliore à elle seule l’ordinaire des repas.

Cynégétiqu­ement corse

Le relief escarpé de Sainte-hélène n’est pas fait pour décourager Santini, tirailleur corse promu huissier gardien du portefeuil­le. N’ayant plus à Sainte-hélène l’ombre d’un portefeuil­le à garder, il se met furieuseme­nt à chasser. De sa Corse natale, il a gardé le goût de la grimpette. Passer de vallée en vallée, jauger les dévers qui trompent l’oeil qui vise, se mettre en péril dans le seul but de ramasser son maigre butin occupent ses matinées. Bon tireur, cavaleur agile, il rapporte à son empereur ses petits volatiles. « Ah! qu’il était joyeux le brave Corse, écrit Masson, quand Napoléon, qui n’ignorait rien du dévouement et des attentions de son fidèle montagnard, l’en remerciait, tout en mangeant la tourterell­e, avec un signe gracieux ou un bienveilla­nt sourire. »

Ce matin, un lapin…

Pour dire vrai, tout est bon pour améliorer les menus qui sont bien chiches: « des vivres constammen­t avariés, des vins aigris, de l’eau saumâtre ; et encore tout cela en si petite quantité… ». Lowe fait lâcher à Longwood quelques lapins voulant, écrit Montholon, « que l’empereur puisse faire de l’exercice en chassant » et peut-être retrouver le goût du civet. Rosebery

précise que Lowe « comme il faisait toujours les choses en maladroit, et à contretemp­s, choisit le moment où Napoléon venait de planter de jeunes arbres » pour jouer les magnanimes. L’empereur, lui, joue les Cassandre : « C’est une mauvaise plaisanter­ie ; les rats mangeront les lapins. Il ferait bien mieux de les détruire, car ils pourraient finir par nous manger nous-mêmes. » Et c’est bien ce qui se passe. « Les rats tuèrent les lapins et sauvèrent les arbres; en tout cas, les lapins disparuren­t. »

Chiens d’arrêt contre rats décidés

C’est que les rats qui pullulent sont une autre sorte de gibier, de celui qu’on ne mange pas mais qui occupe. C’était « une chose presque incroyable que la quantité de rats qu’il y [avait] à Longwood. Je les ai vus souvent, témoigne Las Cases, se rassembler comme des couvées de poussins autour des restes qu’on jetait de la cuisine ». La mort-aux-rats, les pièges étant inopérants, on organise des chasses au chien d’arrêt. Le plus connu, Sambo, suivit souvent Gourgaud en billebaude avant de devenir la propriété de Bertrand. Las Cases a raconté l’une de ces chasses mémorables : « On avait donné des bêches à quelques soldats qui se mirent à creuser près d’un fossé et d’un mur qui étaient infestés de rats. [Les] deux chiens étaient en arrêt et nous étions munis de bâtons. Dès que les rats sentaient

du mouvement autour d’eux, ils s’élançaient de leurs trous pour chercher à s’échapper. Ils étaient alors attaqués par les chiens et les hommes et une scène de confusion très animée s’ensuivait, les rats cherchant à se réfugier dans d’autres trous tandis que les hommes et les chiens qui les poursuivai­ent et les assommaien­t de tous côtés s’embarrassa­ient dans les jambes les uns des autres dans leur empresseme­nt à atteindre leur proie. Quelques-uns des rats s’élançaient sur les assaillant­s et faisaient une résistance désespérée. Il y en eut quatorze de tués en moins d’une demi-heure ». On dénombra aussi bon nombre de morsures dans le camp des hommes.

À faire pleurer un sportsman

Le temps qui étira le confinemen­t, finit par se compter en années. « Napo

1. Le relief escarpé de Sainte-hélène n’est pas fait pour décourager le Corse Santini.

2. Sous le crayon de Samuel William Reynolds d’après Horace Vernet, on sent la dépression naissante contre laquelle Napoléon lutte surtout quand il fait feu de tout “gibier”. léon ne se (re)mit à chasser que dans les derniers temps, et accomplit alors, c’est Lord Rosebery qui l’écrit, des exploits à faire pleurer un sportsman ». Il en avait toujours été ainsi, continue l’auteur. « Autrefois, à la Malmaison, il avait un fusil dans sa chambre et tirait sur les oiseaux privés de Joséphine » et plus précisémen­t sur les cygnes ce dont se souvient très bien Roustan, le mamelouk de Napoléon, qui ajoute que cela le faisait « rire comme un fou ». À Longwood, c’est plutôt pour ne pas pleurer que l’empereur fit feu sur tout ce qui bougeait. La dépression menaçait comme l’analyse Charles-eloi Vial. Le prisonnier s’en prit d’abord aux poules qui avaient échappé à la surveillan­ce du cuisinier qui en élevait. « Elles furent ajustées, raconte Marchand, trois tombèrent sous le coup, les autres s’envolèrent, une quatrième fut atteinte d’un second coup, sur le mur où elle était perchée. “Prends ma chasse, dit-il à Saint-denis, porte-la à la cuisine et qu’on m’en fasse une bonne soupe !” »

Qui chasse un oeuf chasse un boeuf

À Longwood, qui chassait un oeuf finissait par chasser un boeuf: pour protéger son domaine, après les gallinacés, Napoléon se mit à tirer sur les chevreaux apprivoisé­s de Mme Bertrand, au grand désespoir de celle-ci, ainsi que sur tous les animaux qui avaient l’outrecuida­nce de pénétrer l’intérieur de son parc et sur ceux qui se risquaient à le longer. Marchand dénombre une chèvre attachée au piquet, un petit cochon de lait « qu’il ajusta et tua raide »

non sans s’être écrié : « Montholon, je vais vous donner un rôti d’ulysse pour votre dîner. » Quant au « dernier coup de fusil que tira l’empereur, [ce] fut sur un boeuf […] qui, entré […] dans le jardin potager, mangeait tout ce qui s’y trouvait

[…] L’empereur ne vit rien de mieux à faire pour le boeuf que ce qu’il avait fait pour les poules […] : il ajusta et l’animal tomba mort. » Quel étrange final pour ce chasseur réputé maladroit que le confinemen­t transforma en sniper compulso-dépressif !

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3 3. « Confiné dans une enceinte de laves arides », sans espoir de consolatio­n cynégétiqu­e.
 ??  ?? 2 1. Napoléon chassant à Sainte-hélène, figuré par Louis Bombled pour le Mémorial de Las Cases. 2. Longwood, dernière retraite de l’empereur déchu, théâtre de chasses aux rats mémorables.
2 1. Napoléon chassant à Sainte-hélène, figuré par Louis Bombled pour le Mémorial de Las Cases. 2. Longwood, dernière retraite de l’empereur déchu, théâtre de chasses aux rats mémorables.
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