Formentor en Espagne
Formentor, îlot sur une île, étroite péninsule au nord de Majorque, située dans l’archipel des Baléares, est un repaire sauvage, discret, abrité du monde où la chasse compte dans la composition de ce joyau méditerranéen.
En toute sincérité, c’est le “local de l’étape” qui vous le dit, il est injuste de réduire Majorque aux vacances estivales ou, pire encore, aux fêtes débridées qui ont cours sur l’île voisine d’ibiza. Aussi, à chaque fois que l’occasion m’en est donnée, je prends plaisir à faire découvrir les émotions que cette terre insulaire qui m’a vu naître procure. Et, pour vous dire la vérité, j’ai noté autant d’impressions différentes que d’invités qui ont accepté de venir jusqu’ici. Mais tous ont été étonnés par ce qu’ils y ont vu et m’ont déclaré leur ferme intention d’y revenir le plus tôt possible. Le monde est très vaste et cache de nombreux joyaux, mais il n’y en a pas beaucoup là où l’on voudrait s’y installer.
Comme j’ai l’habitude de le dire, rien ni aucun endroit ne sont parfaits, il y aura toujours des détails qui ne vous plairont pas. Pour Frédéric Chopin, l’humidité de l’île n’arrangea rien à la tuberculose dont il souffrait ; et, pour George Sand, son amante, le caractère grossier et dur de l’insulaire la rebuta pendant les mois où tous deux résidèrent à Valldemossa, situé sur la côte ouest de Majorque. Cependant, cela n’empêcha pas l’écrivain d’admirer les paysages et de déclarer son amour profond pour la beauté de l’île. Ce qu’elle fit dans son livre Un hiver à Majorque, édité en 1842, qui deviendra un peu plus tard le meilleur manuel promotionnel de l’île et depuis cette époque. Le fait est que de nombreux écrivains et artistes ont trouvé leur source d’inspiration à Majorque. C’est le cas du prêtre, chanoine et poète majorquin Miquel Costa i Llobera (1854-1922) qui dédia en vers une ode d’une profondeur totale à la nature de ces lieux dans le Pin de Formentor : « Mon coeur adore un arbre! Plus vieux qu’oliviers, / Plus fort que chênes, plus verdoyant qu’orangers, / Il conserve à jamais ses feuilles printanières, / à l’aquilon qui bat son roc il fait barrière / comme un géant guerrier. »
Si, dans ce poème de 1875, Miquel Costa i Llobera glorifie la présence du pin méditerranéen sur le relief accidenté de l’extrême nord de l’île, ce Majorquin afficha une modestie opposée à ses envolées littéraires. Toute sa vie durant, il cultiva la discrétion et construisit de petits détails du quotidien les fondements de ses observations. Personne comme Costa i Llobera n’a aussi bien sondé la valeur symbolique du pin parasol. Au-delà du résineux luimême, il s’attacha à encenser les paysages et la nature accidentée de son île natale. Je ne me risquerai pas à donner une seule raison pour laquelle cette poésie est devenue la référence de la littérature majorquine et pratiquement un hymne pour tous les habitants, mais grâce à l’éloquence des vers de Miquel Costa i Llobera, Formentor est connu aujourd’hui pour être le joyau de Majorque.
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Le caractère escarpé de ses falaises, la virginité de son paysage verdoyant en hiver et asséché en été, la pureté de l’eau céruléenne de ses criques (les calas) s’apparentent au chefd’oeuvre du peintre. Alors que d’autres sites de l’île plus fréquentés comme certaines plages sont colonisés par le tourisme, Formentor préserve son tempérament sauvage. Son silence de cathédrale, ses garrigues désertes, ses routes délaissées, ses sentiers solitaires assoient une identité dont les locaux sont si fiers.
Miquel Costa i Llobera eut la chance de jouir de ces paysages depuis son enfance
4. Autre singularité de Formentor, le boc des Baléares. Devenue endémique après l’introduction d’une première espèce proche de la chèvre à bézoar et de la chèvre crétoise il y a 4 000 ans par les Phéniciens, cette chèvre sauvage est aujourd’hui préservée grâce à la chasse. jusqu’à la fin de sa vie, puisque sa famille qui y possédait une ferme la céda en 1926, après sa disparition. Ce paradis inviolé changea donc de mains au bénéfice d’adan Diehl, riche homme d’affaires argentin, grâce à son ami et célèbre peintre postimpressionniste Hermen Anglada-camarasa (1871-1959), qui vivait à Pollença à quelques kilomètres depuis 1914. Il décida d’assurer la préservation de Formentor, en y faisant bâtir un magnifique hôtel cinq étoiles qui devint bientôt le lieu de villégiature des grands de ce monde.
L’hôtel Formentor accueillit les représentants de tous les arts, personnalités et grands acteurs. Tels que Charles Chaplin, Claudia Cardinale, Gary Cooper, Cary Grant, Audrey Hepburn, Peter Ustinov, John Wayne, Jane Birkin y séjournèrent… Mais aussi d’illustres invités comme le prince Rainier de Monaco et la princesse Grace Kelly, qui y célébrèrent
leur lune de miel, mais aussi Winston Churchill, dont une suite porte toujours son nom.
Aujourd’hui, le Formentor, a Royal Hideaway Hotel est devenu le refuge de la culture. Les Conversations poétiques de Formentor promues par le célèbre écrivain espagnol Camilo José Cela en 1959 se sont muées en Conversations littéraires de Formentor et rassemblent chaque année les plus belles plumes du pays. Et, depuis 2013, la musique a investi les lieux grâce au festival Formentor Sunset Classics que les artistes Anna Netrebko, Daniel Barenboim, Zubin Mehta, entre autres, ont honoré de leur présence.
Mais au-delà d’être l’épicentre culturel de l’île, l’un des grands exploits de cet hôtel est d’avoir maintenu sa taille humaine originelle dans cet environnement splendide. En dépit des cent chambres qu’il abrite, sa construction discrète au milieu d’une mer de pins (bien sûr) ne fait qu’accroître sa valeur.
L’hôtel gère également plus avant dans les terres l’ancien manoir du domaine, où Costa i Llobera passa ses étés au cours de sa jeunesse. Dans un cadre plus champêtre, ces lieux sont mis à la disposition exclusive de sa clientèle privée la plus sélecte.
Vous n’êtes pas au bout de vos surprises, puisque Formentor intègre en son sein la passion de la chasse, celle du boc des Baléares (Capra aegagrus hircus) Au cours des batailles pour le contrôle de la Méditerranée qui ont émaillé l’histoire de l’île, les Phéniciens importèrent à Majorque une espèce de chèvre proche de celle à bézoar et de la chèvre crétoise ou Kri-kri. C’était il y a 4 000 ans, avant qu’elle ne devienne une espèce à part entière. Mais le mélange de l’espèce sauvage avec l’espèce domestique faillit il y a quelques années la mettre en danger et ce n’est que grâce à un projet de préservation du boc des Baléares qu’elle est aujourd’hui à l’abri et reconnue internationalement. Mon père fut l’un des plus vifs soutiens à ce projet de protection et il m’incombe aujourd’hui la responsabilité d’en assurer la conservation par la chasse.
Nature, histoire, culture, luxe, conservation et beauté pure, Formentor brille comme le phare qu’elle abrite. Elle séduit celles et ceux qui rejettent les apparences et leur préfèrent l’authenticité de son éternel printemps, que symbolise le pin méditerranéen dont les vers du poète Miquel Costa i Llobera magnifièrent la noblesse.
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