Ses yeux dans les miens
D’égal à égal. Hiver 1992, ouest du Canada. Reporter-photographe sur la Coupe du monde de ski, je suis depuis deux semaines au coeur des montagnes neigeuses de la Colombie-britannique. Avec un jour off à l’hôtel avant de repartir pour le Colorado et deux nouvelles semaines à pister les skieurs du “Cirque Blanc”. Vers 16 heures, je pars faire un petit footing. Le soleil fuit, la température chute, la lumière baisse. Je m’engage sur une piste forestière qui longe un torrent. Sur la rive opposée, un sentier suit les mêmes méandres.
C’est là, encore à plusieurs dizaines de mètres en diagonale qu’une silhouette vient dans ma direction. La “chose” m’a vu aussi. Trottinant l’un et l’autre sur nos rives respectives, nous ne nous quittons pas du regard. Gris, les yeux flamboyants, la démarche somptueuse, c’est un grand loup. Nous allons nous croiser, juste séparés par les quatre mètres du torrent. Sublime animal. À peine est-il passé que je marque un stop et regarde pardessus mon épaule. Le loup fait pareil. Ni peur, ni crainte. Aucune agressivité. Une rencontre entre chien et loup. Entre un humain et un loup.
Quatre contre un. Printemps 2008, nord du Cameroun. Le jour se lève. Destination une saline naturelle à une heure de piste. Sur place, j’examine les coulées sortant des pailles et installe un affût à vingt mètres de la plus fréquentée. Au loin, un lion rugit. Du temps s’écoule. Les rugissements se rapprochent. Un félin vient. Ses derniers grognements le positionnent à trois cents mètres. Puis un immense silence… Mon repli direct vers le “Toy” n’est plus possible. Trop tard. Sur ma droite, à cinquante mètres, les pailles bougent. Je sors de ma cachette. Panthera Leo est là, princier. Il me fait face, s’arrête. Nous nous regardons. Il tourne la tête vers sa gauche. Une lionne sort de la coulée, suivie de deux lionceaux dissipés. Elle stoppe, me regarde. Lui commence à charger sur quelques mètres, dans un nuage de poussière. Je ne bouge pas et fais face. Il me lance un rugissement. Je reste immobile. La lionne s’assied. Monsieur se retourne, regarde madame, les petits jouent.
Tout en faisant face, j’entame une marche arrière. Ne pas les agresser du regard, pas de geste brusque, juste leur céder la place. La forêt, enfin, est dans mon dos. Mais ne pas trébucher. Au sol, il y a des pièges partout, des branches. Je mets de la distance entre les quatre paires d’yeux et moi. Hors de vue, je prends le vent, contourne la famille et retrouve la piste. La bande des quatre s’est couchée en lieu et place de mon affût et se réapproprie l’espace. Son espace.