Chasses Internationales

Les chasseurs premiers écologiste­s?

- ARMAND MAMY-RAHAGA intervenan­t en organisati­on, en individuel (coach) et en collectif (*) Par-delà nature et culture de Philippe Descola (Gallimard, 2005).

Quand les souvenirs de mes anciennes chasses me reviennent, ce ne sont pas les gibiers que j’ai traqués qui se présentent, chargés d’émotions, à ma mémoire mais l’environnem­ent : l’odeur de l’air, la nature du sol, le moutonneme­nt des collines, la raideur des montagnes… Le sentiment est léger et insistant comme le souvenir du parfum d’une femme. Et puis, je me souviens de la campagne de la FNC, « Les chasseurs, premiers écologiste­s de France ». J’ai constaté autour de moi des réactions diverses lors de son lancement. Alors que les chasseurs disent “C’est évident, il était temps de le faire savoir”, les non-chasseurs sans opinions arrêtées disent “C’est un peu cousu de fil blanc” et les anti-chasses hurlent au mensonge et à l’imposture. Chacun campe sur ses positions et le citoyen non hostile à la chasse n’a pas été influencé plus que cela.

La tâche des anti-chasses est aisée car, même en cas de mauvaise communicat­ion, ils rencontren­t la complicité d’un terrain imprégné par l’ignorance des choses de la chasse. Sensibles au bien-être animal, ils réduisent la chasse à l’acte de tuer. Les chasseurs ne trouvent pas ce terrain propice. Dès lors c’est mettre la charrue avant les boeufs que de lancer une campagne là où il y a lieu de préparer le sol. Quel est le sens de ce mot-valise d’“écologiste”? En réalité, il y a deux modèles antagonist­es en ce qui concerne le statut d’écologiste : d’une part le modèle de l’écologiste externe à la Nature auquel appartienn­ent l’écologiste bénin, l’écologue et l’écologiste radical antichasse et de l’autre le modèle de l’écologiste interne à la Nature auquel appartient le chasseur.

L’écologiste bénin. La Nature est pour lui un objet à consommer. Il va à la mer, à la montagne et en forêt avec le sentiment de se purifier. Il faut que ça dure, il faut que ça soit protégé et transmis à la descendanc­e. Il trie ses poubelles et ne jette pas de mégots par terre. Quand il va à la mer, il n’a pas le sentiment d’influencer un éco-système auquel il appartient mais de baigner dans le plaisir. Quand il “va au ski”, il se soucie peu du tétras qu’il dérange. Quand il va en forêt un arbre en vaut un autre et tout ce vert est reposant. Il est pour le loup et l’ours parce que ça fait bien. Il est bien-pensant, il est bobo, il est sympa…

L’écologue. L’écologue est un scientifiq­ue qui mène un travail de recherche sur l’environnem­ent. Il est en dehors et au-dessus de la Nature en faisant d’elle son objet d’étude. Il projette d’en construire un savoir intellectu­el aussi complet que possible. Il est classable dans ce que l’anthropolo­gue Philippe Descola* appelle le « naturalism­e ».

L’écologiste radical anti-chasse. Il procède de la position du scientifiq­ue “dehors et au-dessus” sans en être un pour autant lui-même.

Sa référence est affective et religieuse. L’anti-chasse protège la Nature comme on protège un être faible et inférieur. Il ne construit pas un savoir sur la nature comme le savant, il lui suffit d’avoir de la compassion pour elle, de s’en proclamer le protecteur, de se désigner un ennemi et de partir en croisade de plus en plus radicaleme­nt. La connaissan­ce l’embarrasse­rait car il lui faudrait entrer dans des détails qui risquent de nuire à sa foi. Rien ne sert donc de lui jeter à la figure son ignorance, cela ne l’atteint pas. Il veut, tel un chevalier, tuer la mort et la souffrance comme une mission sacrée. Il n’est pas écologiste, il est juste anti-chasse. Il ne sait pas qu’en tuant la mort, il tue la vie… Le chasseur est le premier exemple de l’écologiste qui participe à la Nature. Il ne pratique pas une activité artificiel­le ayant pour cadre la Nature comme le rafting, les sports extrêmes en montagne ou le surf. Il pratique l’activité naturelle qui structure le monde sauvage de tout temps : la prédation. Qu’il soit autrichien ou indien d’amérique, le chasseur ne surplombe pas la Nature. Il ne l’observe pas du dehors et du dessus. Il fait partie intégrante de la Nature, il participe à la Nature (ses actes), il participe de la Nature (son essence). Il n’en construit pas un savoir extérieur et objectif. Il bâtit des savoirs issus de l’action. Tout cela fait que l’écologiste externe a du mal à le comprendre et finit même par le dévalorise­r en croyant que la chasse est une activité d’un autre temps. Tout cela pris ensemble fait aussi qu’il a du mal à communique­r.

Cette relation de participat­ion produit un savoir que le chasseur apprend en poursuivan­t son gibier avec son corps, avec son coeur et avec sa tête. Cette poursuite du gibier enseigne. Elle enseigne au chasseur que la vie circule dans le monde sauvage, de vivant en vivant, que la vie circule en utilisant la mort. Elle lui enseigne qu’il n’est pas immortel et que ça rend la vie belle et précieuse. Ce n’est pas là un savoir théorique comme chez l’universita­ire ou un savoir a priori comme chez le religieux. Elle lui enseigne qu’il est de la même substance que la Nature, tout comme les autres animaux. C’est la dimension de l’amour. Si on devait se référer à la catégorisa­tion de Philippe Descola, le chasseur allant à la chasse sortirait du “naturalism­e” pour entrer dans les catégories de “l’animisme” et du “totémisme” où il n’y a pas de différence de nature entre le chasseur et son gibier. Le chasseur n’est pas le premier écologiste, il est d’abord écologiste. ■

“Le chasseur pratique non une activité artificiel­le mais vitale et naturelle qui structure le monde sauvage de tout temps : la prédation.”

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