Chasses Internationales

Guy de Maupassant

- texte Cordouan dessins Marie-joëlle Cédat (www.mariejoell­ecedat.fr)

Des dix-sept Contes de la bécasse rieurs, savoureux, grinçants que publia l’écrivain en 1883, treize sont des cartes postales impression­nistes de la campagne normande au XIXE siècle. Maupassant y est tour à tour cruel, marrant, tendre et pessimiste.

Très vite, vous comme moi, devenons familier de ses personnage­s.

Ici la femme folle qui refuse de quitter son lit et se laisse mourir en forêt. Là c’est la rempailleu­se pauvre, dingue d’amour pour le riche pharmacien du village et qui lui donne tout ce qu’elle a. Et là, le vieux baron des Ravots qui avait été durant quarante ans le roi des chasseurs de la région. Souvent, l’amour et l’argent fusent en filigrane chez Maupassant. La chasse aussi, écoutez plutôt.

La Bécasse

Paralysé des jambes depuis six ans, le vieux baron des Ravots ne peut que tirer des pigeons de la fenêtre de son salon. À l’automne au moment des chasses, il invite ses amis à dîner et renoue avec la vieille coutume des Contes de la bécasse.

Au moment du passage de cette reine des gibiers, l’on en mange à sa table tous les soirs et une seule par convive. L’on a pris soin de laisser toutes les têtes dans un plat. Le baron, officiant comme un évêque, plante les têtes sur une aiguille, les graisse en les tenant par le bec, puis une fois l’animal installé sur un tourniquet de loterie, il fait pivoter la tête dont la course s’arrête devant le gagnant du soir, devenu maître de toutes les têtes. Régal exquis qui fait loucher les convives. Chaque fois, les dîneurs lèvent leurs verres et boivent à la santé du gagnant. Quand il achève le dernier, il doit sur ordre du baron conter une histoire pour se faire pardonner sa bonne fortune. D’où les Contes de la Bécasse.

Farce normande

« Le marié, Jean Patu est un beau gars, le plus riche fermier du pays. » Chasseur frénétique, il perd « le bon sens à satisfaire sa passion et dépense tout son argent, pour ses chiens, ses gardes, ses furets et ses fusils ». La mariée, Rosalie Roussel avenante et bien dotée, a choisi Jean. Il lui plaît, mais surtout et c’est important chez les paysans normands, selon Maupassant, Patu avait plus d’écus que les autres.

Pour saluer la noce, quarante coups de fusils éclatent au passage des mariés, les tireurs sont cachés dans les fossés. Les hommes redevienne­nt graves en approchant du repas. Les riches sont coiffés de hauts chapeaux de soie, les autres portent d’anciens couvre-chefs à poils longs, les plus humbles sont couronnés de casquettes. Comme un serpent, la suite des invités s’allonge à travers la cour. La table, mise dans la grande cuisine, contient cent personnes. Le banquet commence à 2 heures. À 8 heures, on mange encore. Les hommes déboutonné­s, en bras de chemise, la face rougie, engloutiss­ent comme des gouffres. Dans les grands verres, le cidre jaune, clair et doré voisine avec le vin, sombre et couleur de sang. Entre chaque plat, l’on fait un trou normand, avec un verre d’eau-de-vie qui « jette du feu dans le corps et de la folie dans les têtes ». En bout de table, quatre copains, des voisins, préparent des farces aux mariés. « L’un d’eux profitant d’un moment calme crie : “C’est les braconnier­s qui vont s’en donner c’te nuit, avec la lune qu’y a. Dis donc, Jean, c’est pas c’te lune qu’tu guetteras, toi?” Le marié brusquemen­t se tourne “Qu’y z’y viennent, les braconnier­s !” L’autre se marre: “Ah y peuvent y venir, tu quitteras pas ta besogne pour ça !” Toute la table s’esclaffe : « J’te dis qu’ça : qui z’y viennent ! »

Ils boivent des barriques d’eau-de-vie, puis vont se coucher, laissant les jeunes époux pressés d’entrer dans leur chambre. Rosalie, enlève coiffure, robe et demeure en jupons. Jean, lui, achève un cigare et regarde sa femme du coin de l’oeil. Il la guette d’un regard luisant, plus sensuel que tendre. Maupassant en spécialist­e des atmosphère­s d’alcôves, nous met l’eau à la bouche. La mariée retire ses bas : « Va te cacher là-bas, derrière les rideaux que je me mette au lit. » Il fait mine de refuser, fait semblant de se cacher et admire la scène. Elle dénoue son dernier jupon et nue sous la chemise flottante se glisse dans le lit. Jean, déchaussé, toujours en pantalon, se courbe vers elle, cherche ses lèvres qu’elle cache sous l’oreiller. Soudain, un coup de feu retentit au loin. « Il se redresse inquiet, le coeur crispé, ouvre la fenêtre et décroche l’auvent. Deux bras nus se nouent sur son cou, Rosalie le tire en arrière et murmure: “Laisse donc, qu’est-ce que ça fait, viens t’en.” Il se retourne, la saisit et l’emporte vers la couche. Au moment où il

la pose sur le lit, nouvelle détonation. “Nom de Dieu, ils croient que je ne sortirai pas à cause de toi? Attends, attends!” De colère, il se chausse, décroche son fusil. » Sa femme se traîne à ses genoux, le supplie, rien n’y fait, il se dégage, court à la fenêtre et saute dans la cour.

Nuit de noce effrayante pour Rosalie, elle attend une heure, deux heures, jusqu’au petit jour. « Elle perd la tête, appelle à l’aide, demande le secours des valets, des charretier­s qui partent tous à la recherche du maître. On le retrouve enfin, à deux lieues de la ferme, ficelé des pieds à la tête, à moitié mort de fureur, son fusil tordu, sa culotte à l’envers, avec trois lièvres morts autour du cou et une pancarte sur la poitrine : “Qui va à la chasse, perd sa place.” »

Et voilà comment on s’amuse, les jours de noce, au pays normand.

Un coq chanta

« Berthe d’avancelles avait jusque-là repoussé toutes les supplicati­ons de son admirateur désespéré, le baron Joseph de Croissard. Pendant l’hiver à Paris, il l’avait ardemment poursuivie, et il donnait pour elle maintenant des fêtes et des chasses en son château normand de Carville. Le mari, M. d’avancelles, ne voyait rien, ne savait rien, comme toujours. Il vivait, disait-on, séparé de sa femme, pour cause de faiblesse physique, que Madame ne lui pardonnait point. »

Encore un conte où Maupassant chasse l’anecdote comme d’autres tirent la bécasse. Même une histoire d’amour, comme celle-ci est saccagée par un remarquabl­e cynisme. Les croquis sont précis, écrits d’une façon encore noire qui contraste avec les couleurs gaies du printemps, la floraison des colzas et la montée des sèves dans les pays d’auge et de Caux. Ici l’auteur s’amuse et se moque des hobereaux. Le pouvoir des sens, détonateur de la fable, nous entraîne dans un marivaudag­e qui se termine en gag. Proche de Zola et Colette, le jeune Guy devient le protégé de Flaubert, ami de sa mère, femme de lettres elle aussi. La veine de Maupassant, navigue entre réalisme et fantastiqu­e, pénètre les âmes : « On sentait traîner dans l’air des odeurs de terre humide, de terre dévêtue, comme on sent une odeur de chair nue, quand tombe après le bal, la robe d’une femme ! »

Un soir, dans une fête, au dernier printemps, Mme d’avancelles répond à M. de Croissard qui lui supplie de répondre à ses prières : « Si je dois tomber mon ami ce ne sera pas avant la chute des feuilles. j’ai trop de choses à faire cet été pour avoir le temps »…

Pourtant au matin d’une grande chasse, Mme d’avancelles dit en riant au baron: « Si vous tuez la bête, j’aurai quelque chose pour vous. » Dès l’aurore, il est debout, fait le bois et accompagne ses piqueurs, dispose les relais, organise tout pour préparer son triomphe. Quand les trompes sonnent le départ, il apparaît dans un étroit vêtement de chasse rouge et or, les reins serrés, le buste large, l’oeil radieux, frais et fort. Les chasseurs partent le sanglier débusqué file à travers des broussaill­es, suivi des chiens hurleurs. Les chevaux galopent, emportant par les étroits sentiers des bois les amazones et les cavaliers.

« Mme d’avancelles, par malice, retient le baron près d’elle, en caressant la crinière de son cheval. “Vous ne m’aimez donc plus, la chasse semble vous occuper plus que moi?” », dit-elle. Il gémit : « Ne m’avez-vous point donné l’ordre d’abattre moi-même l’animal? » Elle ajoute: « Mais j’y compte. Il faut que vous le tuiez devant moi. » Dans un petit chemin, elle se penche sur lui pour éviter une branche, il l’enlace et lui vole un baiser furieux. Par confusion ou remords, elle cingle le flanc de son cheval et part au grand galop. « Le baron pousse un rire de triomphe et crie: “Qui m’aime me suive!” avant de disparaîtr­e dans les taillis. […] Peu après, il se relève souillé de boue, la jaquette déchirée, les mains sanglantes, alors que la bête étendue porte dans l’épaule, le couteau de chasse enfoncé jusqu’à la garde. »

Curée aux flambeaux par une nuit douce et mélancoliq­ue. Les chiens crient et se battent en dévorant les entrailles puantes du sanglier, tandis que les piqueurs et gentilshom­mes chasseurs autour de la curée, sonnent à plein souffle. « “Voulez vous faire un tour de parc, mon ami ?” “Oui, et tout de suite, ils s’embrassent sous les branches.” “Rentrons, dit la jeune femme, je suis si fatiguée que je vais me coucher mon ami.” »

Il ouvre les bras pour la prendre en un dernier baiser, elle s’enfuit et lui jette: « Non, je vais dormir. Qui m’aime me suive. » Une heure plus tard, l’amoureux gratte à la porte de son amie, il entre, elle rêve à sa fenêtre, il se jette à ses genoux, lui baise les pieds éperdument. Elle ne dit rien et enfonce ses doigts dans les cheveux du baron. « Je reviens. Attendez-moi » et désigne le lit au fond de la chambre. Couché, il ferme les yeux dans un bien-être exquis, et rêve dans l’attente délicieuse de la chose tant désirée. « Peu à peu ses membres s’engourdiss­ent, puis la fatigue le terrasse, il tombe et dort jusqu’à l’aurore. Tout à coup, le chant d’un coq par la fenêtre restée ouverte, le réveille. »

« Alors, elle qui n’a pas dormi, regarde cet homme dépeigné, aux yeux rouges, à la lèvre épaisse, répond du ton hautain dont elle parle à son mari : “Ce n’est rien. C’est un coq qui chante. Rendormez-vous monsieur, cela ne vous regarde pas.” »

“La fanfare s’en allait dans la nuit claire au-dessus des bois, réveillant les cerfs inquiets, les renards glapissant­s et troublant clairières.” en leurs ébats les petits lapins gris, au bord des

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