Chasses Internationales

Troublante rengaine de l’histoire

- DOMINIQUE LELYS

En novembre 2019 mourait Elisa Pilarski, jeune femme enceinte à moitié dévorée par son chien Curtis en forêt de Retz, dans l’aisne. En avril 1972, on découvrait à Bruay-en-artois, dans le Pas-de-calais, le corps sans vie d’une jeune adolescent­e, Brigitte Dewèvre, fille de mineurs. Ces deux événements tragiques ont déchaîné les passions chacun à son époque. Regard sur ces deux affaires où de curieux points de similitude font jour.

Le drame de Bruay-en-artois fut un fait divers majeur de l’année 1972. Une jeune fille âgée de 15 ans, Brigitte Dewèvre, est retrouvée morte, mutilée et à moitié dénudée dans un terrain vague séparant le coron du quartier bourgeois de la ville minière de Bruay-en-artois. Ce terrain jouxte la propriété de Monique Béghin-mayeur, alors en instance de divorce et maîtresse du notaire de la ville, Pierre Leroy (ça ne s’invente pas), accessoire­ment membre du Rotary Club. La veille du drame, la victime aurait été vue en compagnie d’un homme, alors que la voiture du notaire était garée à proximité…

Il n’en faut pas plus pour que la rumeur en fasse un coupable idéal. Le juge Pascal l’inculpe alors pour homicide volontaire, invoquant « un faisceau de présomptio­ns graves et concordant­es ». Malgré les dénégation­s du notaire et au travers d’une défense approximat­ive, désirant protéger sa maîtresse, la foule manque de lyncher Pierre Leroy lors d’une reconstitu­tion sur les lieux du crime.

Une presse d’extrême-gauche s’empare alors de l’affaire, se servant sans scrupule du drame pour l’instrument­aliser à des fins politiques, dont Serge July, cofondateu­r cette année-là de Libération, est un des journalist­es les plus actifs. Il corédige des articles qui paraissent dans le journal de la Gauche prolétarie­nne locale, crée même un Comité pour la vérité et la justice et lance des appels au lynchage. Par ailleurs, le magazine la Cause du Peuple, où Serge July, toujours, couvre l’affaire, titre : « Et maintenant, ils massacrent nos enfants » ou encore « Il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça » De nombreux intellectu­els suivront ce mouvement sans états d’âme.

Après de multiples rebondisse­ments et l’apparition d’un nouveau suspect, Pierre Leroy et sa maîtresse (devenue sa femme) bénéficien­t d’une ordonnance de non-lieu deux ans plus tard. À ce jour, ce drame n’est toujours pas élucidé.

Plus de quarante-cinq ans plus tard, Elisa Pilarski promène Curtis, le pitbull de son compagnon Christophe Ellul, en forêt de Retz. Dans des circonstan­ces qui ont laissé libre cours à de nombreuses interpréta­tions, Curtis attaque Elisa Pilarski et la tue. Mais non loin de là se trouve la meute du Rallye la Passion, sortie pour un laisser-courre.

Il n’en faut pas plus pour que de nombreuses associatio­ns animaliste­s, militants antichasse et défenseurs de la cause animale, eux-mêmes attachés à la gauche radicale, dénoncent “l’injustice” : Elisa Pilarski ne peut qu’avoir été attaquée par la meute de l’équipage de chasse à courre, et Curtis est innocent.

Les réseaux sociaux s’enflamment. « Justice pour Curtis » devient un slogan repris par nombre d’associatio­ns, jusqu’à Brigitte Bardot qui écrit au Garde des Sceaux Éric Dupont-moretti et ce, malgré le rapport d’experts qui détermine avec certitude la culpabilit­é du chien de Christophe Ellul dans ce drame.

Dans ce délire médiatique, même l’avocate de la famille d’elisa Pilarski, Me Caty Richard, a fait l’objet d’insultes et de menaces de mort. À ce jour, le lynchage continue, un groupe Facebook poursuit même le combat malgré des résultats qui étaient supposés apaiser les esprits.

Que faut-il retenir de ces deux affaires? Au-delà du drame, il y a la récupérati­on éhontée et sans scrupule du malheur de tiers à des fins politiques et sociétaux. Il est inutile de s’étaler sur l’abjection du procédé, mais force est de constater que ce subterfuge va toujours dans le même sens : un prolétaria­t victime des abus d’une classe dirigeante qui s’arroge tous les droits. Dans un cas, un notable qui peut abuser d’une fille du peuple, dans l’autre, la mort d’une femme, elle aussi du peuple, causée par un équipage forcément composé de bourgeois “pleins de fric” et de “nobliaux déguisés” qui camouflent leur forfait par la puissance de leur “lobby”.

Ni dans un cas ni dans l’autre, la vérité n’aura raison de l’opinion de gens qui ne cherchent pas à connaître la vérité, mais surtout que les faits concordent avec leurs certitudes.

Enfin, la comparaiso­n entre les deux affaires met en lumière des ressorts qui semblent ontologiqu­ement liés à l’âme humaine, et qui s’accentuent au sein d’une société déboussolé­e où l’on n’hésite pas à remettre en question non seulement les croyances, mais aussi les traditions et, preuve à l’appui, une défiance de la justice qui trouve sa substituti­on au sein d’un tribunal populaire porté par les réseaux sociaux.

À l’heure de la censure, l’opinion ainsi orientée risque de devenir la prochaine dictature sans que ses protagonis­tes prennent conscience qu’ils en seront eux-mêmes les prochaines victimes.

Orwell, nous voici !

“Ces deux faits divers distants de plus de quarante-cinq ans révèlent une société déboussolé­e qui remet en question les croyances, les traditions et défie la justice.”

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