TOURISME :
Au pays des marwaris
L’Inde ! Je parviens à peine à y croire. J’avais toujours rêvé de visiter ce merveilleux pays, coloré et animé, et voilà que j’y suis, pour de vrai. Mais l’entrée en matière fut déconcertante : je ne m’attendais pas à cette pluie battante, si intense qu’elle a rendu l’atterrissage de l’avion… “particulier”, dironsnous. A tel point que nous n’étions même pas autorisés à quitter l’appareil !
Prologue
Tout a commencé, il y a quinze ans, lorsque j’ai rencontré mon fabuleux mari, Bob, alors qu’il revenait tout juste d’une séance photos avec Bonnie – de son vrai nom Kanwar Raghuvendra Singh Dundlod – avec ses chevaux marwaris. C’est exactement à ce moment que j’ai rêvé de pouvoir, un jour, voir et monter ses magnifiques chevaux. Aujourd’hui, le rêve est devenu réalité. Mais comment partager cette merveilleuse aventure en seulement quelques pages ? Il ne s’agit pas seulement d’évoquer les moments passés à cheval, le rythme des journées qui s’écoulent, mais aussi les incroyables chevaux, les autres cavaliers, les équipes d’intendance qui s’occupaient de remonter le camp tous les soirs, sans oublier les véhicules d’assistance capables d’intervenir au moindre problème… Et l’Inde. Ce pays à nul autre pareil qu’il faut pouvoir “vivre pour le croire”. Dundlod Safaris a été créé par Bonnie, il y a trente-quatre ans, en 1985. Bonnie est aussi le secrétaire général de la Indigenous horse society of India avec pour mission de sélectionner les chevaux marwaris et kathiawaris pour les besoins de la télévision ou du cinéma, de leur trouver des lieux de tournage, de superviser la production et de conseiller sur les costumes. A ses côtés, Sunayana, qui signifie “celle aux beaux yeux” et toutes les petites mains de l’ombre sans lesquelles aucun safari ne serait possible, au total une quinzaine de personnes. Parmi elles, Subhash, grâce à qui nous avons mangé comme des rois et qui nous a préparé des plats tous plus incroyables les uns que les autres.
Nous logions au Rang Mahal Hotel de Jaisalmer qui nous a donné l’impression d’être des célébrités, surtout avec la présence de la presse locale et nationale ! Plusieurs mois ont été nécessaires pour établir l’itinéraire idéal et obtenir les autorisations nécessaires pour traverser des terres militaires et tribales. Nous avons ainsi visité le magnifique Jaisalmer Fort, le fort doré, mais honnêtement, nos têtes et nos coeurs étaient ailleurs car nous avions hâte de rencontrer nos chevaux, avec leurs intrigantes et très expressives oreilles courbées. L’heure de la rencontre n’a rien eu de décevant, nous avons vite enfourché nos montures et notre aventure a réellement commencé.
Une aventure hors norme
Nous avons passé nos journées à chevaucher à travers des déserts – tantôt de sable fin, tantôt composés d’un sable plus épais et rocailleux – et des chemins agricoles où poussaient haricots, graines de sésame, millet, orge, blé ou encore coton. Les champs étaient souvent accolés à de magnifiques dunes de sable dans lesquelles il était incroyable de chevaucher. C’était également le meilleur endroit pour voir des animaux sauvages. Le deuxième jour, nous avons pu apercevoir des chameaux, des cerfs chinkara, quelques familles de sangliers – qui ont fini par nous courir après parce qu’ils n’avaient jamais vu de chevaux de leur vie ! – des renards, des oiseaux, des lézards, des écureuils et de magnifiques paons, qui lancent un cri strident et perçant, même durant la nuit. Nous avons également traversé des broussailles épineuses qui m’ont rappelé la savane africaine. Partout où nous passions, nous devions faire attention à tout danger susceptible de blesser les chevaux, comme des fils ou des branches épineuses.
Ouvrez vos chakras, libérez vos esprits, oubliez tout et laissez-vous gagner par l’Inde. C’est ce qu’a fait Pam Langrish, une cavalière qui nous offre quelques morceaux choisis d’une randonnée à cheval inoubliable au pays des maharajas. Invitation au voyage…
Coucher de soleil magique dans le désert. Les cavaliers se laissent bercer par les allures des marwaris, ces chevaux indiens aux oreilles recourbées en forme de demi-lune.
Les lieux de camp étaient généralement un peu éloignés des villages, mais nous avons reçu la visite d’enfants qui se rendaient à l’école, des jeunes garçons (les filles étaient plus timides et gardaient leurs distances) et des “grosses pointures” locales qui s’asseyaient et discutaient avec Bonnie. Comme nous étions des visiteurs totalement inhabituels, tout le monde voulait savoir ce que nous faisions, où nous allions et par où nous étions passés. Ce qui m’a le plus étonné, c’est que les chevaux, et plus particulièrement les marwaris, sont un symbole de royauté et quand nous passions à cheval, les regards des passants étaient remplis d’admiration, ce qui nous faisait nous sentir extrêmement fiers et honorés d’être là. Nous les saluions de la main et leur faisions de grands sourires à s’en décrocher la mâchoire. Les fermiers étaient d’une incroyable générosité et tous nous invitaient à faire boire les chevaux. Ce geste de bonté était d’autant plus fou lorsqu’on sait que la pluie n’est pas tombée dans cette région depuis un an et qu’ils doivent payer pour avoir accès à l’eau. Ils refusaient que nous leur donnions de l’argent et nous invitaient même à boire leur thé chai !
Les chevaux à l’honneur
Bonnie était en tête de notre chevauchée sur Geetanjali, qui signifie “offrande”. Mallyka, sa magnifique fille, montait Gulbadan, un cheval gris sauvé de la mort dont le nom signifiait “beau corps”. Ensuite, il y avait Nikki, aussi sur un gris, Mahima (“altesse”, un nom qui leur allait bien à toutes les deux). Kate montait Sonia, aussi surnommée “belle” parce qu’elle l’est avec son port altier et son encolure ronde. Joanna était sur Koel, “rossignol”, qui profitait de chaque occasion pour manger tout ce qui passait à sa portée. Et puis il y avait moi, sur Sukhi (“joyeux”), qui est la favorite à la course car elle rapide, souple, agile et douce. La petite Sukhi était très patiente vis-à-vis de moi et de mes facéties, elle n’avait aucune crainte à quitter le groupe pour que je puisse prendre des photos. Elle n’a même pas bronché lorsque je me suis mise plusieurs fois à l’envers pour que ses oreilles n’apparaissent pas sur les clichés. C’est une véritable habituée des safaris, si bien qu’elle reconnaît les mouvements de Bonnie dans sa selle lorsqu’il s’agit de repasser au trot : il se retourne pour regarder si tout va bien derrière, avant de prononcer de sa voix grave “Auuuu trooooooot”. A peine avait-il prononcé “Auuu” que déjà Sukhi était repassée à l’allure inférieure. Les derniers jours, il n’annonçait même plus le passage au trot et se contentait de rompre le galop avec un trot très rapide.
Le temps passé à monter à côté de Bonnie était un réel plaisir car nous avions toujours des discussions passionnantes sur des sujets très variés comme la géographie, l’histoire, la religion, la sociologie et les appartenances ethniques. Il est si fier de son Inde qu’il répand tout l’amour de son pays autour de lui. Je me suis trouvée chanceuse d’être témoin du récit de ses aventures avec d’autres cavaliers, y compris des célébrités, de son implication dans les productions cinématographiques, de son voyage à Windsor pour le Jubilé de diamant de la reine Elisabeth II, qui célébrait ses 60 ans de règne, ou encore de l’entendre parler des plantes, des oiseaux, des animaux. C’est un intarissable conteur, très cultivé. Il ne serait pas erroné de dire que chacun de nous se sentait tout petit lorsque nous chevauchions à côté de lui.
Une parfaite intendance
Je pensais que j’étais la première réveillée le matin – hormis les membres du personnel en charge de la cuisine – mais non, Sunayana était déjà debout et avait préparé en deux temps trois mouvements un chai pour Bonnie, qui n’était jamais le dernier à se réveiller. Ensuite, elle s’affairait à parler à Subhash pour la préparation du petit-déjeuner et du déjeuner du midi, qu’il fallait préparer à l’avance. Après quoi elle briefait l’équipe du camp pour aller chercher l’eau pour les douches, et préparer le démontage des tentes et autres fournitures, remballer toutes les affaires afin d’être sûr que rien ne nous retarderait dans notre itinéraire. Aux alentours du troisième matin, j’étais une nouvelle vérification de sa check-list : “Pam, as-tu pris ton petit-déjeuner ?”, “Pam, as-tu pris du chai ?”. Elle avait remarqué que j’étais toujours fourrée quelque part à prendre des photos, quitte à rater le premier repas de la journée. Je la voyais ensuite travailler sur son téléphone, planifier notre itinéraire, nos vols, nos hôtels, transferts et autres besoins. Nous, cavaliers, avons bu pas moins de 300 litres d’eau durant notre safari et ce chiffre n’est pas sorti de nulle part ! Un autre de ses rôles consistait à réchauffer nos repas du midi grâce à un petit poêle. A peine avions-nous le temps de nous détendre qu’elle nous appelait pour signaler que le déjeuner était prêt. Pendant que nous mangions, nous parlions de notre randonnée de la
A l’aube, moment de complicité entre Karn et Mahima. Les cavaliers profiteront ensuite de longs galops sur leurs marwaris parfaitement dressés et habitués aux randonnées.
matinée. Même rituel le soir quand nous nous relaxions après notre douche, un verre de gin tonic à la main.
On dit que New York est la ville qui ne dort jamais, mais l’Inde pourrait lui voler la référence. Comme la lune était brillante, les pèlerins ont profité des nuits fraîches pour aller à Ramdevra pour rendre hommage à Ramdev Baba, un roi et un homme bon, qui a aidé le peuple Shudra de caste inférieure. Il a donc été consacré divinité et chaque année, des fidèles font le pèlerinage pour l’honorer. Ils apportent des offrandes, généralement des drapeaux sur des poteaux avec son image sur un cheval marwari ainsi qu’un soleil et une lune, ou d’autres portent le symbole d’empreintes de pieds rouges sur un drapeau blanc, symbolisant la chance et la prospérité. Ces pèlerins marchent des centaines de kilomètres pour montrer leur extrême dévouement. Ils jettent leurs chaussures sur le bord de la route, un peu n’importe où, mais généralement à 25 km de Ramdevra, ce qui donne lieu à des piles de chaussures au bord de la route. L’inconvénient, c’est qu’ils sont suivis par des camions de DJ qui jouent de la musique pour les inspirer et les motiver à un niveau de décibels inimaginable, si intense que l’on peut ressentir le rythme à travers nos os. La musique donne envie de danser, mais pas à trois heures du matin quand il y a quatre groupes qui s’affrontent à qui mettra sa musique le plus fort ! Cette même nuit, le camp a été envahi par une horde de vaches avec leurs veaux ! Quand nous dormions à la belle étoile, les nuits étaient aussi actives que les jours. Le ciel nocturne était incroyablement magnifique. Sans aucune pollution lumineuse, les étoiles brillaient les unes après les autres et j’aurais vraiment aimé avoir davantage de connaissances en astrologie. J’ai trouvé la Voie lactée, Orion, la Grande Ourse, Cassiopée et quelques autres. J’ai également aperçu des étoiles filantes, et j’ai évidemment fait des voeux !
Un séjour princier
L’une des plus beaux souvenirs également, fut une pause déjeuner près d’un étang entouré de magnifiques arbres. Sur la rive derrière notre campement du déjeuner, il y avait de beaux mausolées. Les chevaux ont pu se baigner pendant que les cavaliers rentraient pieds nus dans l’eau. On pouvait d’ailleurs entendre des cris à cause des centaines de grenouilles qui ont sauté et se sont précipitées sur leurs sabots. Un couple de vanneaux à caroncules rouges était furieux de notre invasion de leur territoire et nous l’a bien fait comprendre, mais ils se sont calmés lorsqu’on leur a rendu leur tranquillité. Les chevaux aussi ont apprécié le moment grâce à l’ombre fournie par les arbres, la brise fraîche, l’eau et la grande quantité de nourriture qu’ils pouvaient manger. Une autre de nos pauses a eu lieu à l’hôtel Fort Pokhran Heritage, avec son architecture impressionnante, comme tous les bâtiments historiques du Rajasthan : une belle salle à manger bleu pâle avec de hauts plafonds et des images des maharajas du passé, ornés de miroirs et de lustres étincelants. Je me suis promenée pour photographier la beauté du bâtiment pendant que les autres s’accordaient une pause farniente. Nous étions dans une partie privée de l’hôtel, alors que le reste du fort est ouvert aux pèlerins, qui le visitent en masse.
Notre dernière nuit s’est déroulée au Reggie’s Camel Camp à Osian. C’est un fort construit il y a peu, à partir duquel sont organisés des courses et des safaris à dos de chameaux. S’y trouvent aussi une fabuleuse piscine et un bar au sommet d’une colline surplombant la ville. Nous avons campé à l’intérieur des murs entrecoupés de tours. Il y avait des chambres au toit de chaume, avec des tentes suspendues, des meubles plus luxueux les uns que les autres et des salles de bains attenantes. Il y a un dicton qui dit que le temps passe beaucoup plus vite lorsque l’on vit des moments que l’on apprécie. C’est une vérité évidente.
Bonnie a ensuite suggéré que nous nous habillions toutes en chemise, jupe ou quelque chose de différent. Nous avons alors beaucoup discuté sur le choix de nos tenues ! Nous avons chevauché dans les dunes à l’extérieur des murs avant de profiter de l’arène pour que Bonnie nous montre ses talents d’installateur de tentes et que Dilip galope en tant que porte-drapeau. Un sentiment de tristesse m’a envahie lorsque nous avons fait le dernier galop, le dernier trot, et les dernières foulées de pas.
Maintenant, il est temps de plier bagages et de quitter nos beaux, royaux, tolérants et merveilleux chevaux pour retourner bientôt à la vie “normale”, loin de ce rêve. Mais les rêves peuvent devenir réalité. Celui-ci l’a été. Je n’oublierai jamais chaque moment, brillant, merveilleux, excitant, mouvementé de ces presque 200 kilomètres. A votre tour de rêver.
Après une nuit dans l’impressionnant fort Reggie’s Camel Camp à Osian, il est temps pour les voyageurs de s’offrir une dernière chevauchée, avec déjà un brin de nostalgie…