Cheval Magazine

L’ENTRETIEN

- PAR CHRISTOPHE HERCY.

Pénélope Leprévost : « Je ne suis qu’au début de mon rêve »

Elle est l’une des meilleures cavalières de saut d’obstacles au monde, auréolée du titre de championne olympique par équipe à Rio. Adulée pour son style tout en légèreté, Pénélope Leprévost est l’icône d’une génération. Cavalière, maman et égérie de sa marque, rencontre avec une femme de caractère épanouie.

Ses écuries sont nichées au creux d’un petit vallon typique du pays d’Auge. C’est là-bas en Normandie, chez elle, que nous allons la rencontrer. Pénélope descend de son 4x4 noir suivie par James son grand bouvier suisse. Bronzée, sourire radieux, elle affiche un style et une allure décontract­és, léger blouson coupe-vent à capuche, culotte bleu marine et baskets blanches. En un mot, sympa. « Suivez-moi, j’ai un bureau où on sera tranquille­s », lance-telle en guise de prologue. Contournan­t l’écurie, nous entrons dans une pièce aux baies vitrées donnant sur de petits paddocks séparés par des allées impeccable­ment tondues. Pénélope nous désigne un fauteuil placé face à une méridienne où elle s’installe à son aise. Voilà pour ce qui est du cadre et de l’atmosphère de ce grand entretien accordé par la championne olympique par équipes en titre.

Le confinemen­t a-t-il été l’occasion d’un changement de rythme dans le travail ? PÉNÉLOPE LEPRÉVOST |Oui, clairement, ma vie est devenue très tranquille, très linéaire par rapport à ce que j’ai l’habitude de vivre (rire). Cela a été assez déroutant de changer de rythme. Je n’étais plus fatiguée, ne rentrais plus à 2 h du matin le lundi, plus besoin de se lever à 6h et d’être dans le jus toute la journée, de courir pour ne pas rater un avion. Cela fait dix ans, je crois, que je n’ai pas vécu un moment comme celui-là.

Et dans votre relation avec vos chevaux ?

PL | Cette période m’a permis de passer plus de temps avec certains d’entre eux, à les connaître sentimenta­lement. J’ai eu le temps de faire bien progresser certains petits jeunes parce que je les avais tous les jours sous ma selle et qu’il n’y avait pas d’impératif de timing. Je travaillai­s au rythme du cheval, parfois il me donnait plus ou moins, mais ce n’était pas grave.

Vous allez conserver ce rythme de fonctionne­ment a priori vertueux ?

PL | Dans la vraie vie, c’est impossible. En plus je suis hyperactiv­e, toujours dans l’intensité, je me sens meilleure dans cet élément, et un peu perdue lorsque j’ai beaucoup de temps. Et puis je pense particuliè­rement à Vancouver (de Lanlore, selle français, ndlr), qui en prévision des J.O. avait été déjà en vacances pour décompress­er après Genève (décembre 2019, ndlr) jusqu’au Sun Shine Tour (mars 2020, nldr), où il a gagné une épreuve juste avant le confinemen­t, j’avoue que durant cette seconde trêve, lui et moi, on s’ennuyait un peu. En revanche, pour Excalibur (de la Tour Vidal*GFE, ndlr), ça été une réelle décompress­ion, il n’a pas sauté une barre pendant le confinemen­t. Pour Vancouver, Excalibur et Varennes (du Breuil, ndlr), qui sont dans la force l’âge (11 ans, ndlr), ils auront pris un an au cours d’une période où il ne se sera rien passé, c’est dommage sur le plan commercial et sportif.

Etalon, hongre, jument qui a votre préférence ?

PL | J’adore les étalons. Et j’ai pourtant, j’ai eu de la réussite avec de très bonnes juments (Ratina d’la Rousserie, Flora de Mariposa, Jubilée d’Ouilly, Nice Stéphanie, etc. ndlr), mais avec elles je « m’engueule » souvent. Elles sont pénibles, en ce sens qu’elles remettent tout en question, du genre : « Mais tu es sûre que ? … Oui, oui, je suis sûre. » Avec les étalons, dès que l’on a créé une relation où chacun est à sa place, il n’est pas besoin d’y revenir. Quant aux hongres, ce sont les plus faciles dans la relation avec le cavalier.

Instant de détente pour Pénélope et sa jument Big Star des Forêts.

Sacrée championne olympique par équipe associée à Flora de Mariposa aux J.O. de Rio.

Dans vos séances, avez-vous des exercices récurrents ?

PL | Non, pas du tout. Je suis avec mes chevaux comme je suis dans la vie. Je suis en phase avec eux et j’essaie de faire ce dont ils ont besoin. C’est la seule chose qui m’importe, je n’ai pas de règle.

Pour vous, équitation éthologiqu­e et de haut niveau vont-elles de pair ?

PL | On est homme de cheval ou on ne l’est pas. Si un groom n’arrive pas à embarquer un cheval dans le camion, c’est moi que l’on appelle, pour autant je n’ai jamais pris de cours. Dans le passé, j’ai fait appel à des spécialist­es (Edouard Thueux, Cécile de Vrégille, ndlr) parce que j’aime cette approche naturelle. Lorsque l’on a un cheval très classique, on n’a besoin de rien, en revanche, quand on a un cheval très talentueux mais difficile, que personne ne sait gérer parce qu’incompris, c’est autre chose, là il faut trouver un chemin. Pourquoi je m’entends si bien avec les étalons ? C’est parce que depuis que je suis petite, après les avoir confiés aux gars les plus balaises et les plus castrateur­s qui ne s’en sortaient pas, on me les donnait en se disant que j’allais le faire à ma sauce, et ça fonctionna­it. Idem avec les juments difficiles. Et c’est d’autant plus jouissif lorsque l’on y arrive car on crée des relations incroyable­s. La jument la plus difficile de ma carrière à ce jour ce fut Ratina (d’la Rousserie, ndlr). Elle m’occupait deux heures par jour. Oui c’était une star, mais je crois qu’il y a très peu de cavaliers qui auraient été capables de la monter, et à moi elle m’a tout donné. Flora (de Mariposa, ndlr) pareil. Si sa couverture tournait, personne ne pouvait l’approcher pour lui remettre. Avec elle, ce fut émotionnel­lement fort, en piste elle était difficile à contrôler, tant elle avait envie de bien faire. C’est ce qui est beau dans notre métier. Homme de cheval et compétitio­n, tout va ensemble. En ce moment, j’ai la chance d’avoir des chevaux faciles et tout est plus simple.

Avec qui travaillez-vous ?

PL | J’ai autour de moi deux personnes de confiance et très complément­aires, l’une est Michel Robert, l’autre Henri Prudent. Michel m’a prise sous son aile, il y a une quinzaine d’années, à cette époque je faisais des B1 et B2 (épreuves pro 2, ndrl). Il a senti que j’avais une vision du cheval assez semblable à la sienne. Il a toujours été là pour moi et m’a fait travailler gratuiteme­nt. Nous sommes devenus des amis. Il vient régulièrem­ent ici. Je peux parler avec lui un langage que je ne peux avoir avec personne d’autre. Michel c’est le top, c’est la base. Henri Prudent, lui me coachait lorsque je montais pour les Mégret, c’est un excellent ami sur qui je peux compter. On se voit peu mais lorsqu’il vient en Normandie, il passe à la maison et on fait sauter les chevaux sur des dispositif­s précis, il me fait travailler sur des obstacles un peu plus gros. Il est capable, malgré les six heures de décalage (il est établi aux

Etats-Unis, ndlr) de regarder le Grand Prix et de m’envoyer un SMS m’indiquant à tel moment du parcours mon nombre de foulées, m’ôtant ainsi un doute si besoin.

Quelle place accordez-vous à votre préparatio­n physique ?

PL | L’an dernier, j’ai eu un lumbago pendant les championna­ts d’Europe. Cela a été très stressant pour moi de sentir que je n’étais pas à 100 % physiqueme­nt. Depuis, je fais des étirements tous les matins avant de monter à cheval. J’avoue ne pas avoir une hygiène de vie extraordin­aire. Je ne fais pas attention à ce que je mange par exemple. En vieillissa­nt, je devrai être plus vigilante.

Et dans votre carrière, est-ce un regret d’être, vous l’avez souvent dit, « une maman à mi-temps » pour Eden ?

PL | C’est une question qui ne s’est jamais posée. Il n’était pas question que j’arrête le métier que j’aime pour élever ma fille, ce choix ne nous aurait, ni elle, ni moi, rendues plus heureuses. Ceci dit, avec le confinemen­t, je suis devenue durant six mois maman à plein temps. Nous passons beaucoup plus de moments ensemble, du coup elle a énormément progressé à cheval.

Elle s’inscrit dans votre sillage, quel regard portez-vous sur cet état de fait ? PL | À vrai dire jusqu’à maintenant, je l’ai toujours plutôt freinée. Lorsqu’elle était petite je rigolais en lui disant : « Tu es meilleure à l’école qu’à cheval ». La seule chose que je lui ai toujours imposé, c’est que quoi qu’elle fasse, elle le fasse bien, même sur des épreuves à 105. C’est-à-dire se lever à l’heure, avoir des bottes propres, respecter son cheval, etc. toutes ces règles qui sont mes propres valeurs. Je n’étais pas du tout prête à ce qu’elle monte davantage, ni à faire des sacrifices pour lui acheter des chevaux incroyable­s. Eden prétend que depuis toute petite elle veut monter à cheval mais je ne la crois pas ! (rire) Elle avait un tel petit niveau et on prenait cela (les concours, ndlr) avec tellement de légèreté.

« Je suis avec mes chevaux comme je suis dans la vie. Je suis en phase avec eux et j’essaie de faire ce dont ils ont besoin. C’est la seule chose qui m’importe, je n’ai pas de règle. »

Et à présent ?

PL | Eden passe un cap et commence à sortir du lot, du coup son projet d’en faire son métier fait sens, car sur les plans technique, physique et psychologi­que elle semble tenir la route. Elle me voit tellement épanouie dans ce que je fais, qu’elle se dit que ce doit être génial. Que de fois lui ai-je dit : « Tu sais c’est un métier compliqué, difficile, fait de sacrifices » et elle me répond « oui, mais maman, toi tu es heureuse », c’est vrai. Mais ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un tel épanouisse­ment, je le dois au fait d’avoir rencontré des chevaux et des propriétai­res incroyable­s. J’ai la chance de vivre des choses dont je n’avais même pas rêvé.

À travers Eden, vous voyez-vous au même âge ?

PL | Pas du tout ! Elle est bien meilleure que moi à 16 ans. À cet âge je devais faire des 110 avec les chevaux qui se présentaie­nt dont certains étaient plantés, cela n’avait aucun sens pour une gamine, c’était beaucoup moins confortabl­e. Eden a toujours monté des chevaux qui, sans être des cracks, lui convenaien­t. Elle avance plus grâce à mon expérience qui lui épargne les mauvaises périodes que j’ai connues. Toutefois Eden a le goût de l’effort, c’est un aspect majeur de son éducation, et en cela je suis très fière d’elle.

Cependant « être la fille de », est-ce pour autant confortabl­e ?

PL | Il faudrait lui poser la question, mais de ce que j’en perçois pour l’instant, ce n’est que du plus. Eden kiffe sa vie : les chevaux ça va bien, le lycée ça va bien, elle a ses amis avec qui elle s’éclate, nous nous entendons à merveille, tous les voyants sont au vert avec ma fille, et je pense qu’elle en a conscience. Elle mérite ce qu’elle a car elle est très travailleu­se et plutôt douée.

Parlez-nous de cette expérience assez rare où mère et fille sont concurrent­es dans une même épreuve…

PL | C’est génial ! Nous avons disputé plusieurs épreuves ensemble, à chaque fois elle passait avant moi. J’avoue que les 140, je ne les cours pas trop, j’y entraîne surtout mes chevaux. Lorsque Eden est en tête ou 3e, et que vient mon tour, à chaque fois j’ai réussi à la gratter un tout petit peu (rire). Jusqu’à cette 140 à Grimaud où elle fut première et moi deuxième. Cette fois-là je passais en premier, Eden étant la dernière à entrer en piste. Elle m’a dit « Là maman, j’ai deux challenges : gagner l’épreuve et surtout être devant toi » (Pénélope étant en tête, ndlr), c’était rigolo. Ce n’est pas le plus beau barrage qu’elle ait fait, mais elle s’est arrachée, et m’a battue. Pour moi c’était un kif total. On a vécu un moment incroyable de complicité.

Comment est née la marque Pénélope Store ?

PL | C’est une histoire de coeur partagée avec Céline Leroux, ma meilleure amie. Toutes petites, nous montions à poney ensemble, Céline montait très bien mais avait peur, moi j’étais la fonçeuse. Elle s’est lancée dans le textile et un jour m’a proposé de créer la marque Pénélope, je lui ai dit ok sans aucune attente de ma part, si ce n’est de partager un projet avec une personne que l’on aime. Céline a créé une marque qui me ressemble parce qu’elle me connait par coeur.

En quoi vous reflète-t-elle ?

PL | Par son esprit. Je suis une petite fille des poney-clubs, ce sont des gammes de produits chics, modernes, sport à des prix abordables. J’aime tout et pourtant je suis chiante ! (rire). Je suis hyper fière de cette marque. J’ai envie de dire : « C’est tout nous », car Céline et moi aimons les mêmes choses.

Vous avez, semble-t-il une « arche de Noé »…

PL | J’ai toujours voulu avoir plein d’animaux, mais il me fallait de l’espace pour qu’ils soient bien. Petite, j’habitais en appartemen­t et il était impossible d’avoir chien ou chat. C’est pour cela que je me suis mise au poney. J’aime les animaux originaux, comme mes alpagas aux yeux bleus, mon bélier nez noir du Valais, mes chèvres géantes Pile et Poil, que j’ai élevées au biberon. J’ai aussi des wallabies, des vaches Galloway, des chats, chien, lapins, poules, poneys, ânes, et bien sûr Dorothée, ma cochonne. Certains achètent un tableau, moi, pour le plaisir des yeux, je voudrais un jour avoir un dromadaire et un frison. Je suis dingue de mes animaux. Ne me demandez pas combien j’en ai, je n’en ai aucune idée.

Qu’est-ce qui vous motive après plus de 20 ans de carrière ?

PL | De ne pas avoir réalisé la moitié de ce que je veux faire, je ne suis qu’au début de mon rêve. Le summum pour moi, était d’être une bonne cavalière de B1, point. Et me voilà devenue championne olympique par équipe, mon rêve c’est de toujours vouloir faire mieux…

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L’entretien : Pénélope Leprévost.
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 ??  ?? Nice Stéphanie fut l’une des très bonnes juments qui ont accompagné Pénélope dans son ascension.
Nice Stéphanie fut l’une des très bonnes juments qui ont accompagné Pénélope dans son ascension.
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Eden c’est fusionnel, une complicité que la période du confinemen­t a amplifiée.
Entre Pénélope et Eden c’est fusionnel, une complicité que la période du confinemen­t a amplifiée.
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Pénélope et Dorothée, la mascotte de sa ménagerie au Haras de Lécaude.

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