COMPORTEMENT
Incitez-le à vous suivre
Il n’y a qu’à regarder deux chevaux faire connaissance en se flairant ostensiblement l’un l’autre pour réaliser à quel point leur odorat est important pour eux. De récentes études dévoilent petit à petit le rôle du sens olfactif pour le cheval. L’occasion de faire un point sur ces nouvelles recherches.
Chaque cheval a une odeur qui lui est propre, on parle d’une “signature olfactive”. Dans une étude datée de 2018, des chercheurs de l’Université de Yales aux États-Unis ont analysé les substances volatiles contenues dans les crins de chevaux. Ils ont étudié deux races différentes : des appaloosas et des quarter horses. En plus de retrouver des signatures olfactives propres à chaque cheval, ils ont montré qu’il y avait une plus grande proximité d’odeurs chez les chevaux de la même famille et ont même pu montrer des différences entre les deux races. Évidemment, les chercheurs restent très prudents sur leur découverte car ils n’ont étudié que des appaloosas et des quarter horses, mais c’est en tout cas une piste de recherche intéressante à explorer dans l’avenir.
Une autre équipe de chercheurs a montré que les chevaux étaient capables de reconnaître ces signatures olfactives. Pour le démontrer, Franck Perron et ses collègues ont frotté des morceaux de tissu polaire sur le corps des chevaux puis ils les ont présentés à 16 chevaux tests. Ils ont fait ce que l’on appelle un test “d’habituation-discrimination”. Ce test consiste à d’abord présenter l’odeur d’un cheval donné (le cheval A), pour qu’il apprenne à le reconnaître. Ensuite, il lui présente à nouveau cette même odeur, mais à côté de l’odeur d’un individu qu’il n’a jamais senti (le cheval B). Ce test se base sur la tendance des chevaux à davantage explorer une odeur nouvelle. Et c’est ce qui s’est passé : lors du test, les chevaux ont davantage flairé l’odeur du cheval B, jamais senti auparavant que l’odeur du cheval A, qu’ils venaient de flairer. Cette découverte est importante car elle montre que les chevaux sont bien capables de distinguer les différentes signatures olfactives des chevaux et de faire la différence entre une odeur corporelle connue et une odeur corporelle inconnue. Pour le moment, les études ne sont pas allées tellement plus loin, mais il serait intéressant d’étudier si les chevaux peuvent identifier l’odeur des congénères qu’ils connaissent dans la vraie vie.
L’odeur des crottins : une mine d’informations
Outre la reconnaissance des odeurs corporelles, les odeurs contenues dans les crottins et urines sont une véritable mine d’informations pour les chevaux. Elles leur permettent de déterminer si son propriétaire est un mâle ou une femelle, mais aussi, son statut reproducteur. Des chercheurs de l’IFCE (l’Institut français du che
val et de l’équitation) et de l’Inrae (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) ont même montré que les odeurs de juments pouvaient stimuler les étalons pour se reproduire. Ils ont présenté à des hongres et à des étalons de l’urine de juments à différents stades du cycle de leur reproduction. Alors que les hongres ne s’intéressent pas plus aux odeurs d’urines qu’à de l’eau, les étalons, eux, se focalisent nettement sur les urines et passent beaucoup de temps à les flairer. De plus, l’odeur de l’urine de jument en oestrus (c’està-dire au moment du cycle où elle est prête à se reproduire) va stimuler l’étalon à lui faire la cour et à se reproduire avec elle. L’odeur de l’urine de la jument en anoestrus (pas au bon moment du cycle pour se reproduire), aura un effet stimulant bien moins important.
Des informations si importantes… qu’il faut les masquer !
Ces informations sont tellement importantes pour les étalons qu’ils ont créé tout un rituel autour.
L’un de ces rituels consiste à faire des piles de crottins. Quand deux étalons se croisent, ils vont venir faire leurs crottins tour à tour au même endroit jusqu’à en faire une pile. Ils peuvent venir huit fois de suite au même endroit. Ce rituel est un exemple de contre-marquage, qui est également observé dans de nombreuses autres espèces. On ne peut pas dire avec certitude pourquoi ils font ce rituel mais des chercheurs comme Claudia Feh, pensent que les étalons montrent ainsi qu’ils ont le contrôle de leur famille à l’autre étalon. Ces piles pourraient aussi servir aux chevaux pour les guider sur leur domaine vital, grâce à un marquage olfactif. En outre, les chevaux peuvent utiliser ces piles comme une source d’informations, pour repérer par exemple l’identité des étalons présents, et même peut-être leur rang social, mais cela reste à confirmer. Les étalons qui font ces piles vont aussi se flairer longuement, essentiellement sous la queue, sur les flancs ou encore derrière les genoux. Ces comportements montrent l’importance de la reconnaissance individuelle via l’odorat. Un autre comportement typique de l’étalon en rapport avec les odeurs est le masquage des odeurs des femelles de son groupe. Les étalons ont tendance à venir recouvrir de leur urine les traces d’urines et de crottins déposées par les juments. Plusieurs chercheurs pensent qu’ils font ça afin de masquer l’odeur de leurs juments, et en particulier de leurs statuts reproducteurs. Ainsi, ils espèrent peut-être qu’elles seront moins courtisées par les autres étalons.
Des odeurs qui ouvrent l’appétit… ou pas !
Comme pour nous, l’appétit des chevaux est stimulé par l’odeur de certains aliments. Plusieurs expériences ont été réalisées pour déterminer les flaveurs préférées des che
Une reconnaissance multimodale, qui associe odorat, vision et audition
Il ne faut pas occulter le rôle de la vision dans la reconnaissance individuelle.
Nous avons montré cette année que les chevaux étaient aussi tout à fait capables de reconnaître des portraits sur photo, c’est-à-dire même lorsque le sens olfactif n’est pas en jeu. Une autre étude a aussi montré qu’ils étaient capables d’associer un portrait avec la voix correspondante. Tout comme nous, le cheval peut donc mobiliser ses différents sens pour reconnaître les autres, même si nous, humains, nous avons tendance pour des raisons culturelles à mettre de côté notre sens olfactif. En éthologie, on parle d’une reconnaissance multimodale, c’est-à-dire qu’elle passe par nos différents sens : vue, audition, odorat.
Comme pour nous, l’appétit des chevaux est stimulé par l’odeur de certains aliments.
vaux. Dans une étude australienne datée de 2016, les chercheurs ont vaporisé sur la même nourriture quatre odeurs différentes, dans une solution diluée : de la noix de coco, de la banane, de la menthe et de la cannelle. En moyenne, les chevaux ont préféré manger la nourriture qui sentait la noix de coco et la banane, plutôt que la menthe et la cannelle. Cependant, comme pour nous, il existe une assez grande variabilité dans les préférences des chevaux, et chaque individu va avoir ses propres goûts. Une astuce consiste à connaître les flaveurs préférées de son propre cheval, afin de pouvoir aromatiser les médicaments lorsqu’il est malade, ou l’eau de boisson lorsque l’on est en déplacement afin de l’aider à boire quand l’eau n’a pas le même goût qu’à la maison. A l’inverse, comme chez de nombreuses autres espèces, on observe des phénomènes de “néophobie” (la peur de la nouveauté) alimentaire chez le cheval. Lorsqu’on lui présente un aliment qui a une odeur qu’il ne connaît pas, son premier réflexe sera d’éviter de le manger. Cette néophobie alimentaire ne dure en général que quelques jours, mais parfois, cela peut prendre davantage de temps pour certains chevaux. Souvent, les préférences alimentaires se mettent en place tôt dans le jeune âge. Ainsi, si un cheval n’a pas eu l’habitude de manger certains aliments lorsqu’il était poulain, il n’en voudra pas quand il sera adulte, même si on lui présente de nombreuses fois. De nombreux chevaux adultes refusent ainsi catégoriquement de manger des aliments pourtant appétant comme les pommes ou les bonbons !
Des odeurs effrayantes
On a tous fait l’expérience de chevaux qui sont intrinsèquement effrayés par certaines odeurs. Qui n’a pas eu de soucis en balade lorsque l’on passe devant un élevage de porcs, ou en forêt après le passage d’animaux sauvages. La chercheuse danoise Janne Christensen a réussi à mettre en évidence ce phénomène en conditions expérimentales. Elle a étudié le comportement des chevaux lorsqu’elle leur présentait différentes odeurs : celles de prédateurs, comme de lions ou de loups,
ou encore l’odeur du sang de chevaux qui avaient été abattus. Elle a montré que les chevaux s’agitaient davantage, étaient plus en alerte et mangeaient moins quand ces odeurs étaient présentes. Encore plus intéressant : elle leur a fait ensuite passer un petit test de soudaineté. Pour cela, elle a agité un sac en plastique, dans des conditions bien standardisées, soit quand l’odeur de prédateur était présente, soit quand il n’y avait aucune odeur. Elle a observé que le rythme cardiaque des chevaux a davantage augmenté lorsque l’odeur était présente. Comme si l’odeur du prédateur avait abaissé leur seuil de réaction, les rendant davantage sur l’oeil et réactifs à un éventuel danger. C’est intéressant, car ces chevaux n’avaient jamais vu de loups en vrai. Cette étude vient confirmer ce que l’on pressentait : certaines odeurs, notamment celles de prédateurs, peuvent rendre anxieux les chevaux. Par ailleurs, dans une étude préliminaire dévoilée lors d’un congrès en 2018, une équipe italienne a suggéré que les chevaux pourraient être sensibles à nos odeurs corporelles que nous émettrions lorsque nous sommes effrayés. Cependant, cette piste n’est pas encore vraiment validée et il ne faut pas en tirer des conclusions trop hâtives. Néanmoins, cela ouvre un champ de recherche vraiment prometteur.
Et des odeurs apaisantes
A l’inverse, certaines odeurs sont apaisantes. Dans une étude que nous avons publiée en 2018, nous avons montré que l’application d’huile essentielle de lavande permettait d’abaisser le niveau de peur. Les chevaux à qui l’on avait appliqué de l’huile essentielle de lavande à la base des naseaux réagissaient moins dans un test de peur que ceux à qui l’on avait appliqué une huile neutre. Leur taux de cortisol (l’hormone du stress) était également plus faible, signe d’un état de stress moindre. Attention néanmoins : l’effet était de très courte durée. Cela s’explique si l’on suit la cinétique du passage des substances actives dans le sang. En effet, si on fait des prises de sang aux chevaux, on constate un pic de linalol (l’une des substances actives) dans le sang quinze minutes après l’application, puis ce taux diminue rapidement. Ce qui concorde avec le fait que l’on a observé des effets sur le comportement juste au moment du pic, mais plus après. La lavande peut donc être une aide pour apaiser le cheval confronté à un petit stress de courte durée, mais elle ne sera probablement pas très utile pour un stress de longue durée ! Pas d’effet magique en perspective.