Les trois révolutions
Annoncer la fin du cheval n’avait rien d’absurde lorsque les progrès de la mécanisation ont permis d’envisager de s’en passer. Cette époque charnière se situe, grosso modo, autour des années quarante du siècle dernier. Quatre-vingts ans plus tard, force est de constater que, mécanisation ou pas, le cheval tient encore sa place dans la société des hommes. Certes, son statut a changé, ses emplois ne sont plus les mêmes, mais il tient bon. On attribue généralement cette heureuse résistance à l’obsolescence par sa reconversion réussie d’animal de travail en compagnon de loisirs. Certes, mais ce constat ne rend pas compte des révolutions qui ont permis un bouleversement aussi profond.
Il y a, d’abord, la féminisation rapide d’un univers qui était jusque-là le domaine réservé des messieurs. Ces derniers ayant trouvé, avec les moyens mécaniques, d’autres outils, d’autres façons d’exercer leur pouvoir, ont lâchement abandonné cet animal qui leur avait tant servi, au profit de l’automobile, du tracteur, du char d’assaut. Du coup – et c’est tant mieux pour les chevaux –, les femmes ont été autorisées à s’en emparer. À les sauver d’une possible disparition : aujourd’hui, 80 % des équitants, on le sait, sont des femmes.
Une deuxième révolution est venue des progrès de la science, et en particulier de l’apparition d’une discipline nouvelle : l’éthologie. Popularisée par Konrad Lorenz (Prix Nobel de médecine en 1973), l’étude du comportement des animaux sauvages et domestiques a permis de mieux connaître – et surtout de mieux faire connaître – les besoins les plus élémentaires des chevaux. Il était temps, car les nouveaux usagers du cheval étant dans leur écrasante majorité des citadins, n’en avaient aucune idée. Il y a eu des dérives, des abus ; on a trop vite qualifié d’éthologiques des pratiques qui ne le sont guère. On peut tout de même dire que le résultat fut globalement positif.
Mais voilà que, depuis une petite décennie, le monde équestre subit une troisième révolution qui, à la différence des deux précédentes, risque de lui être fatale : l’animalisme, dont le but ultime est l’interdiction de l’utilisation, et même de l’emploi, sous quelque forme que ce soit, des animaux en général, et du cheval en particulier. Il y a là un véritable défi à relever, dont bizarrement les principaux intéressés ne semblent guère se préoccuper. Il y a pourtant urgence, comme le milieu des courses, qui paraît pour le moment totalement inconscient – ou, pire, indifférent – de la menace, ne va pas tarder à s’en apercevoir. Après le cirque, les hippodromes seront les prochaines cibles des antispécistes. Puis, sans aucun doute, les centres éqestres, les poney clubs, les écuries de propriétaires. Il est temps de réfléchir à la contre-offensive.