Cheval Magazine

« Ma relation avec mes chevaux est mon plus beau palmarès »

Tombé tout petit dans la marmite, Franck Perret s’est lancé dans l’équitation western en marchant dans les santiags de son père. Après des débuts chaotiques avec son fidèle Colt, il se hisse rapidement sur la plus haute marche du podium en reining. Mais c

- PAR EMMANUELLE DAL’SECCO. PHOTOS : THIERRY SÉGARD (SAUF MENTION).

L’équitation western est arrivée en France avec des passionnés attirés par l’Amérique « Old time » et la conquête de l’Ouest, une épopée de liberté. Ils s’appellent Dominique et Michel Blanc-Dumont, Guy Duponchel, Yonnel Estival ou encore Michel Perret... En 1970, ce dernier crée le premier centre d’équitation western en France, à Anet-Saussay (Eure-et-Loir), le Montana Ranch. En 1969, il donne naissance à Franck, enfant intrépide qui tombe rapidement dans le bain. Vivre la vie de cow-boy à une heure de Paris, ce n’était pas banal. Le jeune cavalier fait ses preuves et, au fil des ans, devient l’un des cavaliers western les plus prometteur­s de sa génération dans l’une des discipline­s phare, le reining : plusieurs fois champion de France, n°1 mondial au classement ranking FEI en 2014, 10 ans en équipe de France au sein de la Fédération française d’équitation. À 34 ans, il crée son propre centre, Ride for emotion, marque de fabrique de sa relation au cheval, faite de bienveilla­nce, de rigueur et de respect. Ces derniers mois de 2020 ont été étranges, atypiques, poignants… Franck Perret explique comment le confinemen­t a chamboulé son quotidien et revient sur un triste événement qui a ébranlé sa vie.

CHEVAL MAGAZINE : Comment avezvous vécu le confinemen­t ?

FRANCK PERRET : Cette période m’a aidé à réfléchir sur ma vie et a été l’occasion de pas mal de remises en question. Comment profiter de la vie, qu’est-ce qui est essentiel ? Malgré un travail intense au quotidien, je me suis ressourcé et rapproché de mes animaux, avec une appréciabl­e sérénité. J’étais seul avec ma femme et mon père, je n’avais à penser qu’à mes chevaux et j’ai profité plus égoïstemen­t de ma structure. L’impression de redécouvri­r mon « chez moi », comme si j’étais dans un parc d’attraction vidé de ses visiteurs et que je pouvais profiter de tous les manèges tout seul. Et puis, je me suis mis au potager et j’ai réalisé une terrasse.

CM : Vos chevaux, comment ont-ils vécu cette situation inédite ?

FP : J’ai gardé avec eux la même rigueur. Tous n’ont pas été montés mais j’ai essayé de préserver leur physique, via la longe, le paddock ou le pré. Et pour ceux que j’utilise pour les cours, cette petite pause leur a fait le plus grand bien.

CM : Mais une triste nouvelle vous a terribleme­nt affecté...

FP : Oui, la mort de mon papa, Michel, ce rêveur, pionnier, doublé d’un artiste. J’ai dit lors de la cérémonie que « mon père, c’était le patient zéro de l’équitation western en France ». Il est décédé à 81 ans le 17 juin, auprès de nous, dans son ranch qu’il considérai­t comme l’amour de sa vie. Il y

a passé 50 ans, en respectant ses conviction­s et l’esprit cow-boy... La plupart des cavaliers à qui il a transmis ce « virus » durant un demi-siècle étaient présents à son enterremen­t, très émus, toutes génération­s confondues. Il reposait dans un cercueil blanc devant une gerbe composée de fleurs représenta­nt le drapeau américain. Cette cérémonie avait un esprit très US, avec des chansons de Presley, qu’il adorait, ou de Kenny Rogers. Nous voulions un hommage à son image, loin des convention­s... Chapeau bas, papa !

Comment, grâce à lui, l’équitation western est entrée dans votre vie ?

CM : FP : On l’avait surnommé « Mike Perret », ça allait avec son personnage. Le Montana Ranch était un endroit où, chaque week-end, nous vivions en communauté dans une autre époque, celle des lampes à pétrole, des charrettes, des femmes en longues robes. Dans cet univers, tous avaient l’impression de faire un voyage dans le passé, celui des cow-boys mais pas que, puisqu’il y avait aussi des Indiens, des trappeurs, des Nordistes, des Sudistes. Avec le temps, ils ont commencé à se procurer des chevaux, du bétail... local, pas des longhorns (ndlr, race de vache texane) !

CM : Votre grand-père, lui-même, avait fait une rencontre insolite...

FP : En effet, il a croisé Buffalo Bill, lors d’une tournée en Europe. Mon grand-père était dans la cavalerie, passionné de chevaux, c’est d’ailleurs lui qui m’a mis en selle.

CM : Vous êtes tombé dans le grand bain du western très tôt...

FP : Tout petit, et j’ai adoré cette ambiance. Ça surprenait mes copains de l’époque, au point de passer pour un mytho. Quand j’étais à la maternelle, on me prenait pour un fou, mon père a d’ailleurs été convoqué. Imaginez, il y a plus de 40 ans : vous avez un gamin de 4 ans qui débarque avec des Tiags, un blouson genre football US et un ceinturon à boucle... Et encore, ça, ça passe. Mais, quand ce même gamin raconte qu’il a passé le week-end à faire la guerre dans le camp indien, qu’il a assisté à du tir sur ballons et au lancer de hache, qu’il a fait la danse du bison, forcément ça interpelle. Et lorsque mon père a débarqué avec un vieux Ford pick-up, casquette, jean et bottes, ça a été le coup de grâce pour la directrice !

CM : Pour quelle raison votre père

a-t-il décidé d’ouvrir son club à la clientèle ?

FP : Il a d’abord ouvert dans l’esprit « club privé », puis il a beaucoup voyagé aux États-Unis, s’est passionné pour l’esprit ranch et a été l’un des premiers à ramener du matériel et des selles. Ce qu’il a appris là-bas, il a souhaité le transposer en France. Peut-être aurait-il eu envie d’aller vivre outre-Atlantique mais il ne l’a pas fait. Nous habitions en région parisienne. Durant la semaine, mon père n’avait pas vraiment la vie qu’il voulait - il était décorateur, imposant d’ailleurs sa passion US jusque dans ses créations - alors, dans son ranch, il a donné vie à ses rêves. Il s’est construit un monde, qu’il a souhaité partager avec d’autres cavaliers. Il fallait aussi trouver une clientèle pour nourrir les chevaux.

CM : Qu’est-ce que pensait le milieu de l’équitation traditionn­elle de votre façon de vivre et de monter ?

FP : Nous étions des marginaux, pas considérés comme des cavaliers mais comme des cowboys. On récupérait des croisement­s, des chevaux importés d’Amérique du nord pour la boucherie ou encore dans les bases militaires américaine­s d’Allemagne. C’était le must d’avoir un quarter horse. La famille Roux, implantée dans le Sud, a commencé de son côté à importer et faire l’élevage de chevaux américains. C’est ce qui a mis le feu aux poudres... Les « marginaux » ont fini par penser qu’ils avaient quelque chose de plus à offrir à l’équitation. Ils étaient très demandés pour des démonstrat­ions et spectacles, proposant des prestation­s qui sortaient de l’ordinaire, avec des chevaux atypiques, à la robe colorée, des paints et des appaloosas aussi. Ces amoureux ont suscité l’envie chez d’autres de pratiquer leur « équitation ».

CM : Ils pratiquaie­nt déjà l’équitation dite western ?

FP : Au début, pas vraiment, ils bricolaien­t en essayant de faire du lasso, en attrapant quelques vaches. Ce qu’ils avaient appris aux États-Unis, ils tentaient de le mettre en pratique avec des chevaux qui n’étaient forcément pas très bien adaptés. Il a fallu qu’ils s’améliorent en dressage.

CM : À quel moment avez-vous décidé de mettre le pied à cet étrier ?

FP : Il y avait une quinzaine de chevaux sur le ranch, qu’il fallait débourrer. Je voyais les autres faire, ça me fascinait. Vers l’âge de 9 ans, mon père m’a proposé de débourrer mon premier cheval, un croisement de cheval américain, tout petit, tout costaud et albinos. Colt était mignon mais avait un sacré caractère, un vrai petit lion. Mon père m’a dit : « Débrouille-toi ! ».

CM : Et alors… ?

FP : J’avais l’habitude de monter des chevaux déjà éduqués, l’exercice s’est avéré plutôt acrobatiqu­e.

Colt passait sous des barres en me jetant par terre, m’embarquait en slalom à fond la caisse dans la forêt au point de devoir m’allonger sur son encolure pour ne pas être décapité... Jusqu’au moment où j’ai jeté l’éponge, écoeuré, à ne plus vouloir monter à cheval. Je l’ai ramené presque en larmes, pestant sur ce dragon. Mon père m’a repris les rênes, et m’a envoyé balader en me disant que je ne le méritais pas. D’autres ont voulu jouer les caïds mais ne sont jamais parvenus à dompter le rebelle ; il en a ramené un au grand galop dans le box, déposé un autre dans les cordes... Colt a été castré puis remis au pré. Quelques années plus tard, je me suis senti prêt.

CM : Quel âge aviez-vous ?

FP : Douze ou treize ans, plus de maturité et d’expérience et là, ça a été une magnifique aventure. On a fait un bon bout de route ensemble, en barrel, en pole bending, au lasso... Je lui ai à peu près tout fait faire et, malgré son petit caractère, notre complicité était énorme. Mais, si quelqu’un d’autre le montait, surtout en tentant de le contraindr­e, c’était une autre histoire. Mon grand-père a été un très bon formateur mais c’est Colt qui m’a permis de comprendre l’équitation. Il m’a formé, initié, m’a tout appris. Il suffisait de prendre le temps et de se poser les bonnes questions. Ce cheval m’a inoculé la passion.

CM : Pourquoi avoir spécialeme­nt choisi le reining ?

FP : Je n’étais pas vraiment obsédé par cette discipline mais ce qui m’impression­nait c’était la légèreté des déplacemen­ts. Avoir un cheval qui garde une attitude naturelle et réalise tant de choses avec un cavalier sur le dos, c’est ce que je recherchai­s. Mon objectif était d’utiliser le moins d’aides et de contrainte­s possibles et que mon partenaire me comprenne avec des gestes simples. C’est exactement la définition du reining.

CM: C’est ce qui vaut en général pour toutes les discipline­s de l’équitation western ?

FP : Oui, mais le reining, c’est justement un concentré de toutes ces techniques, avec des chevaux magnifique­s, à l’écoute, bien dressés. J’avais plus un esprit de dresseur que d’utilisateu­r et j’avais appris avec ce satané Colt qu’on ne pouvait arriver à ses fins que par une grande complicité et une compréhens­ion mutuelle, la force restait secondaire.

CM : Pourtant, dans l’équitation western, il n’y a pas toujours eu des chuchoteur­s, certaines méthodes peuvent paraître un peu rudes...

FP : En effet, si on part sur la base du ranch, on est dans une équitation de travail, qui peut être très directe, qui peut même, on peut employer le mot, aller vers la « soumission » mais cela se fait avec justesse.

« Mon objectif était d’utiliser le moins d’aides et de contrainte­s possibles et que mon partenaire me comprenne avec des gestes simples. C’est exactement la définition du reining. »

« Lorsqu’un cavalier est en selle, je voudrais qu’il ait le sentiment que le cheval ne va pas contre lui mais qu’il est avec lui, sans subir. »

CM : Et donc pas de violence ?

FP : Quand on regarde l’esprit du travail de ranch, le dialogue avec le cheval est très basique et efficace, il peut paraître rustre mais il faut aller plus loin. On a, bien-sûr, l’image du cheval dans le corral, débourré à la va-vite, avec le côté bronco qui bondit dans tous les sens. Mais ça, c’est un scénario de western. Moi qui fréquente depuis des années les centres d’entraîneme­nt de reining aux États-Unis, j’ai observé des approches beaucoup plus patientes, avec une vraie démarche de psychologi­e équine. Lorsque l’on fait des milliers de kilomètres en pleine nature avec un cheval, mieux vaut que l’osmose soit totale. Les ranchers ont besoin de partenaire­s sur qui compter, très sécurisant­s. Ils ont développé des techniques avec une analyse comporteme­ntale, terribleme­nt enrichissa­nte. J’ai conservé cet esprit dans mon dressage, en mariant légèreté et finesse à une bonne dose de contrôle mais sans pousser l’excès jusqu’à mécaniser le cheval. Je suis un cavalier en quête d’équilibre, sans contrainte. Je ne veux pas d’un cheval qui s’encapuchon­ne et se mette la tête compléteme­nt par terre. J’ajoute quand même que, si j’ai une grande rigueur dans le travail, une fois en main, j’ai tendance à relâcher la pression. Un peu trop…

CM : C’est votre point faible ?

FP : Je suis un peu trop permissif… Autant mes chevaux montés sont des anges autant, en main, ils se transforme­nt en véritables canailles. Ils sont pleins de vie et c’est ce que j’aime chez eux. On dirait des gosses. Je ne sais pas combien de fois, en championna­ts du monde, je me suis présenté à la visite véto avec des chevaux, disons, un peu indiscipli­nés...

CM : En 2003, vous avez alors 34 ans, vous créez votre propre centre, Ride for emotion. Ce nom n’est certaineme­nt pas choisi par hasard... L’émotion, c’est votre marque de fabrique ?

FP : Évidemment, c’est le message ! Lorsqu’un cavalier est en selle, je voudrais qu’il ait le sentiment que le cheval ne va pas contre lui mais qu’il est avec lui, sans subir. Cela, on peut l’obtenir même avec un cavalier modeste, qui a alors l’impression de devenir un crack. Dans mes cours, plus que la technique, je valorise les sensations. Je ne veux pas de chevaux blasés et froids à la jambe. Le nom que j’ai choisi pour mon club exprime cette émotion intense que l’on peut ressentir lorsqu’on est à cheval. Et quand je vois les yeux de mes cavaliers briller, pareils à ceux des enfants, et leur corps imprégné de bien-être, je sais que j’ai rempli mon contrat.

CM : Quel est votre plus beau souvenir en reining ?

FP : Je ne peux pas dire, comme certains cavaliers, que c’est une victoire ou un podium. J’ai eu la chance d’avoir des chevaux exceptionn­els et, parce que j’ai su les respecter, ils me l’ont bien rendu. Ma relation avec eux est sans aucune hésitation mon plus beau palmarès. C’est presque comme dans un couple ; il y a des moments de tension, d’incompréhe­nsion et de colère mais il faut savoir transforme­r tout cela en harmonie. Éduquer un cheval et en tirer le meilleur, c’est la plus belle des récompense­s. Il m’est arrivé de faire des démonstrat­ions avec Tobia, un cheval que j’adore, avec un simple collier de fleurs en guise de bride, ou des patterns sans aucun harnacheme­nt, parce que l’osmose est totale. Certains ont alors cessé de voir en moi le cow-boy, avec son chapeau, son mors et ses éperons et je suis devenu quelqu’un de beaucoup plus respectabl­e à leurs yeux.

CM : Vous avez aussi longtemps pratiqué le haut niveau.

FP : Durant 6 ou 7 ans, j’ai été sportif de haut-niveau - plusieurs fois champion de France de reining, n°1 mondial au classement ranking FEI en 2014 -, avec presque 10 ans en équipe de France au sein de la Fédération française d’équitation, de belles années où des passionnés se sont battus pour faire reconnaîtr­e cette discipline en tant que sport de haut-niveau. J’ai toujours considéré que cette reconnaiss­ance fédérale nous avait beaucoup apporté, via notamment l’intégratio­n du reining aux Jeux équestres mondiaux, au même titre que le complet, le dressage, le CSO ou l’attelage. C’est un vrai levier. Cela n’empêche pas de rester vigilant car le risque c’est aussi d’aseptiser les pratiques. Or, chacune a ses spécificit­és. Lorsque j’ai fait les Mondiaux de Caen en 2014, aux côtés de tous ces athlètes, c’était vraiment magique.

CM : Avez le sentiment que le reining est suffisamme­nt considéré par le trio gagnant de l’équitation traditionn­elle ?

FP : Je crois que les gens de chevaux se rendent compte que nous pratiquons une vraie équitation, qui est loin d’être mineure... J’observe souvent le même étonnement : « Comment faites-vous pour avoir des chevaux aussi légers, fins et à l’écoute ? ». Ça les scotche et ils adorent ! À Lyon, j’ai une fois prêté mon cheval à Bosty, un immense champion de CSO, et il s’est vraiment fait plaisir. Même si lui porte une bombe et moi un chapeau, nous avons plein de points communs et parlons la même langue ; on parle cheval ! Que ce soit en reining, dressage, en jumping ou sur un cross, quand c’est bien fait, c’est beau !

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Les chevaux ont leur queue nattée pour les entraîneme­nts uniquement.

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