Cheval Magazine

D’égale à égal

On dit souvent que l’équitation est un « sport de filles ». C’est en tous cas, le seul sport olympique où hommes et femmes combattent sur un pied d’égalité et partagent les mêmes podiums. Si cette singularit­é est une évidence aujourd’hui, le chemin fut lo

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On ne cessera de le dire, le cheval accompagne l’homme depuis la nuit des temps. Domestiqué pour le transport, les travaux agricoles, forestiers…, le cheval est surtout un indispensa­ble des campagnes militaires. Sa première utilisatio­n dans la guerre remonte à plus de 5 000 ans, devenant ainsi très tôt un symbole de puissance et de supériorit­é associé à la gent militaire et, de fait, plutôt masculine. Et ce n’est pas un hasard si la plupart des souverains se sont faits représente­r en selle, tableaux et sculptures (non déboulonné­es !) en témoignent encore aujourd’hui. Un symbole fort et toujours d’actualité. Pour preuve, l’opération de propagande menée par le leader nord-coréen Kim Jong-un en octobre 2019, à dos de cheval sur le mont Paektu.

Un galop médiatique qui n’est pas passé inaperçu ! De nombreux chevaux montés par des hommes ont par ailleurs marqué l’histoire, à l’image de Bucéphale, le cheval que seul Alexandre le Grand est parvenu à dresser ou encore Marengo, le cheval monté par Napoléon 1er lors de la bataille de Waterloo.

Les premières amazones

Il est cependant aussi attesté que les femmes montent depuis l’Antiquité, y compris pour aller en découdre sur les champs de bataille, par exemple chez les Sauromates ou les Scythes. Au Moyen-Âge, les combattant­es se font plus rares même si l’on croise encore de farouches guerrières à l’image de Jeanne d’Arc. Puis au fil des décennies, la situation régresse. Avec le temps, il est de moins en moins admis que les femmes puissent monter à la manière des hommes. Seules, les femmes issues de la noblesse étaient parfois autorisées à monter, mais essentiell­ement en amazone. Les maîtres écuyers sont alors des hommes. En France, il faudra attendre le XIXe siècle pour voir les femmes travailler le cheval de haute école. Étonnement, c’est la voie circassien­ne qui va les y conduire. À côté des « écuyères dites à panneau », essentiell­ement des danseuses et des acrobates qui séduisent le public (masculin !) en virevoltan­t dans les airs, apparaît une autre catégorie d’écuyères, cavalières. Celles-ci se mettent à travailler le répertoire académique : changement de pied, piaffer, passage, pirouette, appuyer, épaule en dedans... Enseigneme­nt propre à l’équitation de tradition menée par des hommes pour

des hommes depuis le XVIe siècle, encore perçu comme l’un des meilleurs apprentiss­ages pour mener au commandeme­nt. Ces écuyères d’un nouveau genre, dont Caroline Loyo fut l’une des chefs de file, s’emparèrent, avec grâce et brio, de ces attributs masculins. Aujourd’hui, les femmes tiennent les rênes du dressage mondial et sont toujours à l’affiche des plus beaux spectacles de haute école.

Et dans la pratique sportive ?

En France, les sports équestres s’ouvrent aux femmes au début des années 1900. En effet, en 1909, la loi française interdisan­t aux femmes de porter un pantalon est allégée à Paris, les autorisant à en porter pour monter à cheval ou pour faire du vélo. La vague féministe et le changement de statut de la femme durant ce début de siècle font que toutes les femmes du pays obtiennent ce droit en 1930. Dès lors, elles sont de plus en plus nombreuses à monter à cheval, et de surcroît au fur et à mesure que ce sport se démocratis­e et perd son aspect militaire. On assiste alors à une large féminisati­on de l’équitation, qui, aujourd’hui, compte 80 % de pratiquant­es, notamment des jeunes filles avec le développem­ent du poney et de l’équitation de loisirs. Mais si avant elles, de farouches amazones s’étaient illustrées sur les champs de bataille, elles entendent bien continuer de le faire sur les concours.

En revanche, elles ne sont admises aux Jeux olympiques qu’en 1952 pour le dressage, en 1956 pour le saut d’obstacles et en 1964 en concours complet. Les sports équestres sont l’une des rares discipline­s olympiques où les femmes et les hommes participen­t aux mêmes compétitio­ns. Dès leur entrée en piste, les femmes seront les égales des hommes même si elles ne sont pas nombreuses. Comme le prouve Janou Lefèbvre, cavalière de CSO médaillée d’argent par équipe aux Jeux Olympiques de Tokyo 1964 et de Mexico en 1968, mais également médaillée d’or aux Championna­ts du monde de saut d’obstacles de Copenhague (1970) et de La Baule (1974). Cheval Magazine lui consacrait d’ailleurs un portrait et une couverture dans son tout premier numéro, en décembre 1971. À haut niveau, c’est en dressage que les cavalières évoluent le plus. « Je pense que ce sport a attiré plus de femmes parce qu’elles avaient plus de temps à consacrer à une activité autre que profession­nelle dans les années Après-guerre ». Tout est une question de temps, y compris pour la compétitio­n car « le dressage n’est pas rentable financière­ment, et ne peut pas être une profession à temps plein », explique Marina Caplain St André, cavalière internatio­nale de dressage. Les femmes se mettent au dressage car elles disposent de plus de temps que les hommes, qui sont plus nombreux à travailler. Le dressage est d’ailleurs la seule discipline équestre olympique à avoir déjà vu des femmes médaillées d’or en individuel. La première était l’Allemande Liselott Linsenhoff, en 1972. Sans compter le côté relationne­l qui s’est invité dans le dressage et plaît beaucoup aux femmes qui « aiment le cheval pour l’animal qu’il représente, c’est un amour gratuit. Ça leur donne peut-être plus de sentiments, de finesse, de perception... qui sont quand même des qualités dont on a besoin en dressage. Même s’il faut autant de tact et de finesse dans toutes les discipline­s », détaille la cavalière. Au plus haut niveau de dressage, cheval et cavalier dansent ensemble, dans un accord parfait : c’est un art, qui demande une sensibilit­é et une patience « que les hommes ont peutêtre moins que les femmes », conclutell­e. Aujourd’hui encore, les femmes ont la cote en dressage, comme en témoigne la ranking FEI, dominée par Isabelle Werth, et le podium 100 % féminin des derniers Jeux Équestres mondiaux.

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Les reines du dressage : l’Allemande Isabell Werth (au centre), entourée de Charlotte Dujardin (à droite) et de l’Américaine Laura Graves, à Tryon en 2018 (à gauche).
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Alors que l’équitation savante était l’apanage des hommes, Caroline Loyo (1820-1892) présentait des airs de haute école et montait un cheval arabe réputé indressabl­e.

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