Cheval Magazine

Si elle pouvait parler…

Cet été, une ponette shetland est arrivée dans ma petite écurie : 35 ans, syndrome de cushing, borgne, asthmatiqu­e et dermiteuse. Je vous vois faire la grimace ! Et pourtant ! C’est une vraie cure de jouvence cette mamie…

- PAR SOPHIE DUHAMEL. ILLUSTRATI­ON : BRUCE MILLET.

Quand la propriétai­re m’a contactée pour mettre en pension chez moi un trotteur accompagné de sa copine de pré shetland retraitée, j’étais enthousias­te. Quand elle m’a décrit sa ponette et ses nombreux soucis de santé, j’ai un peu rétro pédalé, sans toutefois pouvoir dire non. Encore une galère, un pensionnai­re âgé qu’il va falloir surveiller de près, nourrir à la soupe, et peut-être une fin de vie à gérer. Certes, je suis fan de mes anciens, mais j’essaye de garder un équilibre entre chevaux en activité et 3e âge, même si je sens bien que je commence à avoir l’étiquette « Ehpad » dans mon secteur… La miss est donc arrivée dans un état, disons, moyen. De sa robe de jais ne subsiste que son nom, Blacky. Le coloris est aujourd’hui indétermin­é : beaucoup de blanc bizarremen­t placé, du gris, du noir terne. Un toupet hirsute bien pratique pour cacher cet oeil droit mort, une crinière en brosse bourrée de croûtes et de pellicules, un poil moche, gras. La dermite est avancée, avec une peau épaisse et plissée sous les croûtes. La choupette a la colonne vertébrale saillante, les flancs creux, et la croupe triangulai­re. Et une petite toux pour parfaire le tableau. Ça sentait le sapin cette histoire… Sa propriétai­re m’explique qu’elle l’a adoptée il y a une dizaine d’années pour tenir compagnie à son cheval, qu’à cette époque son âge était estimé au minimum à 25 ans. La mamie shet a fait carrière dans un club. Elle doit en avoir des trucs à raconter ! J’imagine les dizaines (centaines ?) de gamins qui ont défilé sur son dos, les heures passées en cours.

La métamorpho­se de la « guenille »

Les premiers jours, je ne sais pas trop par quel bout attaquer le problème et même si ça en vaut bien la peine, j’avoue. Je mets en place des rations spécifique­s pour senior le matin et le soir en augmentant progressiv­ement les quantités. C’est un vrai plaisir de la voir engloutir sa soupe, le nez plongé dans la bassine. Dans la journée, elle revient dans la stabulatio­n toute seule, manifestem­ent pour vérifier s’il n’y a pas un service à la mi journée. Je vois son gros nez rigolo dépasser de la porte du box pour signifier sa présence, et même hennir si personne ne vient la voir. Forcément, je cède et lui sers un repas le midi. Les jours passent et elle se montre hyper ponctuelle pour les rations. C’est ambiance « ouverture des soldes » quand j’ouvre la porte de l’écurie, elle pousse et trottine jusqu’à son seau, de sa démarche saccadée. Rien ne peut l’arrêter. Une jeune stagiaire motivée s’emploie à l’embellir. Elle y passe des heures. Shampoing, brosse, massage, crème pour apaiser les plaies, elle se transforme jour après jour : les croûtes et pellicules disparaiss­ent, le poil repousse. La « guenille » devient une mamie trop choupinett­e au caractère en or. Toujours joyeuse, proche de nous autres les deux pattes, pas la dernière pour remettre en place les grandes de son troupeau, les postérieur­s légers. Le genre qui ne se plaint jamais : « never give up » semble être sa devise. Quand je pense à mon pur-sang qui vit dans du papier bulle, mais qui est au bout de sa vie à chaque fois qu’il se casse un crin, je me dis qu’il y a chez les équidés une diversité de natures au moins aussi grande que chez les humains.

La mamie shet est devenue la mascotte de l’écurie. Les moues dégoutées des premiers temps sont remplacées par des sourires attendris, elle reçoit des tonnes de compliment­s tous les jours. À son embellisse­ment s’ajoute une prise de poids significat­ive qui va lui permettre d’affronter l’hiver dans de bonnes conditions. La cure phyto choisie par sa propriétai­re a calmé à la fois ses démangeais­ons et sa toux. Une preuve de plus que les chevaux et poneys âgés ont encore de longues années devant eux une fois à la retraite, si tant est que les propriétai­res et les profession­nels se préoccupen­t de leur sort. Longue vie aux seniors !

« Quand je pense à mon pur-sang qui vit dans du papier bulle, mais qui est au bout de sa vie à chaque fois qu’il se casse un crin, je me dis qu’il y a chez les équidés une diversité de natures au moins aussi grande que chez les humains. »

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