Si elle pouvait parler…
Cet été, une ponette shetland est arrivée dans ma petite écurie : 35 ans, syndrome de cushing, borgne, asthmatique et dermiteuse. Je vous vois faire la grimace ! Et pourtant ! C’est une vraie cure de jouvence cette mamie…
Quand la propriétaire m’a contactée pour mettre en pension chez moi un trotteur accompagné de sa copine de pré shetland retraitée, j’étais enthousiaste. Quand elle m’a décrit sa ponette et ses nombreux soucis de santé, j’ai un peu rétro pédalé, sans toutefois pouvoir dire non. Encore une galère, un pensionnaire âgé qu’il va falloir surveiller de près, nourrir à la soupe, et peut-être une fin de vie à gérer. Certes, je suis fan de mes anciens, mais j’essaye de garder un équilibre entre chevaux en activité et 3e âge, même si je sens bien que je commence à avoir l’étiquette « Ehpad » dans mon secteur… La miss est donc arrivée dans un état, disons, moyen. De sa robe de jais ne subsiste que son nom, Blacky. Le coloris est aujourd’hui indéterminé : beaucoup de blanc bizarrement placé, du gris, du noir terne. Un toupet hirsute bien pratique pour cacher cet oeil droit mort, une crinière en brosse bourrée de croûtes et de pellicules, un poil moche, gras. La dermite est avancée, avec une peau épaisse et plissée sous les croûtes. La choupette a la colonne vertébrale saillante, les flancs creux, et la croupe triangulaire. Et une petite toux pour parfaire le tableau. Ça sentait le sapin cette histoire… Sa propriétaire m’explique qu’elle l’a adoptée il y a une dizaine d’années pour tenir compagnie à son cheval, qu’à cette époque son âge était estimé au minimum à 25 ans. La mamie shet a fait carrière dans un club. Elle doit en avoir des trucs à raconter ! J’imagine les dizaines (centaines ?) de gamins qui ont défilé sur son dos, les heures passées en cours.
La métamorphose de la « guenille »
Les premiers jours, je ne sais pas trop par quel bout attaquer le problème et même si ça en vaut bien la peine, j’avoue. Je mets en place des rations spécifiques pour senior le matin et le soir en augmentant progressivement les quantités. C’est un vrai plaisir de la voir engloutir sa soupe, le nez plongé dans la bassine. Dans la journée, elle revient dans la stabulation toute seule, manifestement pour vérifier s’il n’y a pas un service à la mi journée. Je vois son gros nez rigolo dépasser de la porte du box pour signifier sa présence, et même hennir si personne ne vient la voir. Forcément, je cède et lui sers un repas le midi. Les jours passent et elle se montre hyper ponctuelle pour les rations. C’est ambiance « ouverture des soldes » quand j’ouvre la porte de l’écurie, elle pousse et trottine jusqu’à son seau, de sa démarche saccadée. Rien ne peut l’arrêter. Une jeune stagiaire motivée s’emploie à l’embellir. Elle y passe des heures. Shampoing, brosse, massage, crème pour apaiser les plaies, elle se transforme jour après jour : les croûtes et pellicules disparaissent, le poil repousse. La « guenille » devient une mamie trop choupinette au caractère en or. Toujours joyeuse, proche de nous autres les deux pattes, pas la dernière pour remettre en place les grandes de son troupeau, les postérieurs légers. Le genre qui ne se plaint jamais : « never give up » semble être sa devise. Quand je pense à mon pur-sang qui vit dans du papier bulle, mais qui est au bout de sa vie à chaque fois qu’il se casse un crin, je me dis qu’il y a chez les équidés une diversité de natures au moins aussi grande que chez les humains.
La mamie shet est devenue la mascotte de l’écurie. Les moues dégoutées des premiers temps sont remplacées par des sourires attendris, elle reçoit des tonnes de compliments tous les jours. À son embellissement s’ajoute une prise de poids significative qui va lui permettre d’affronter l’hiver dans de bonnes conditions. La cure phyto choisie par sa propriétaire a calmé à la fois ses démangeaisons et sa toux. Une preuve de plus que les chevaux et poneys âgés ont encore de longues années devant eux une fois à la retraite, si tant est que les propriétaires et les professionnels se préoccupent de leur sort. Longue vie aux seniors !
« Quand je pense à mon pur-sang qui vit dans du papier bulle, mais qui est au bout de sa vie à chaque fois qu’il se casse un crin, je me dis qu’il y a chez les équidés une diversité de natures au moins aussi grande que chez les humains. »