Comportement : Mon cheval n’est pas un humain.
Qui n’a pas déjà craqué devant la photo d’un cheval qui rentre dans un salon et s’installe derrière le canapé. Qui n’a pas été tenté de courir mettre à l’abri son cheval dans un box lorsqu’il pleut trois gouttes ? Nous sommes tous pareils, instinctivement nous pensons que ce qui est bon pour nous est bon pour lui. Cependant, s’il est louable de vouloir le meilleur pour son cheval, il ne faut pourtant pas oublier que ses besoins ne sont pas nos besoins. Mais au juste, quels sont-ils ?
Si nous les humains, nous préférons généralement une chambre d’hôtel individuelle avec terrasse privée plutôt qu’un dortoir d’auberge de jeunesse, il n’en est pas de même pour le cheval. Lui ce qu’il aime, c’est la vie en groupe, et il préfère largement une bonne stabulation collective qu’un box avec paddock privatif ! Dans sa tête à lui, être seul, c’est être en danger de mort, à la merci des prédateurs. C’est aussi mourir d’ennui, car pour lui, les relations sociales, et notamment les relations amicales (on parle de « relations d’affinité » en éthologie) sont vitales. À l’état naturel, les chevaux vivent en groupe familiaux composés d’un mâle, de plusieurs juments et de leurs poulains. Plusieurs groupes cohabitent généralement sur un même domaine vital, et les chevaux se connaissent bien entre eux. Des études en cognition ont montré à quel point le cheval est un être extrêmement sociable. Il a des capacités étonnantes pour lire le comportement des autres, il est ultra-sensible aux réactions de ses congénères, et calque ses propres émotions sur celles des autres par des phénomènes de « contagion émotionnelle ». Clairement, le cheval peut dépérir lorsqu’il vit seul. Nous avons montré dans une étude publiée dans la revue scientifique « PlosOne » qu’après seulement six semaines de vie en box individuel, les chevaux ont une sur activation des gènes liés à l’apoptose (la mort cellulaire), signe d’un état physiologique qui se dégrade. Donc, oui aux grands dortoirs collectifs !
Grignoter c’est la santé !
Si tous les diététiciens pour humains nous conseillent de manger à heure fixe et d’éviter le grignotage, cette recommandation n’est pas du tout appropriée pour le cheval. Lui, au contraire, il doit manger tout le temps, mais une nourriture fibreuse pauvre en calorie. L’herbe ou le fourrage sont parfaits. À l’inverse, la distribution d’aliment concentré sous forme de « repas » donnés deux à trois fois par jour est une erreur. En premier lieu, c’est mauvais pour son comportement. La distribution d’une nourriture énergétique sur un cheval à jeun depuis plusieurs heures va provoquer de l’excitation et être source de tics : qui n’a pas vu certains chevaux se mettre à secouer la tête, à tiquer à l’ours ou à l’appui au moment de la distribution des granulés ? Cela peut aussi engendrer de la frustration, avec à la clé le développement de comportements agressifs. De plus, pour sa santé, manger sous forme de repas, au lieu de s’alimenter en continu augmente le risque de coliques, mais aussi d’ulcères gastriques. Donc, vraiment, il ne faut pas calquer son mode d’alimentation sur le nôtre. Il a vraiment des spécificités liées au fait d’être herbivore.
Mais attention ! Pour qu’il mange en continu, il faut donner plus de foin et moins de concentré. Ce serait une mauvaise idée de garder la même quantité de foin tout en restreignant son accès par des dispositifs contraignants, comme les « filets petites mailles » (voir encadré). Une autre manière plus positive pour augmenter le temps passé à manger est de proposer différents tas de foin, si possible de qualité et de composition variés. Le cheval va aller d’un tas de foin à l’autre, comme il le ferait dans la nature, quand il cherche quelles plantes manger en fonction de ses besoins. Si votre cheval est au pré et obèse, là aussi la préconisation est plutôt d’appauvrir le couvert végétal par un surpâturage (en ôtant toutes les plantes toxiques qui auraient tendance à s’y développer), plutôt qu’à laisser le cheval dans un champ de raygrass et de trèfles avec un panier qui l’empêche physiquement de manger et crée beaucoup de frustration.
Être autonome
Ce qui compte aussi quand cela fait des millénaires que vos ancêtres se sont débrouillés pour survivre sans l’aide de personne, c’est l’autonomie. L’autonomie de se mettre à l’abri quand il fait trop chaud, de se rouler dans la terre humide quand ça vous gratte, de manger des mûres à la belle saison pour faire le plein de vitamines, de marcher quand vos jambes sont engourdies et de jouer avec les copains quand ça vous dit. L’humain a tendance à vouloir gérer tout ça à sa place. Pour les chevaux au box, c’est nous qui
décidons quand il doit manger, quel doit être le contenu de son assiette, à quelle vitesse il doit bouger, s’il a le droit de se rouler ou encore s’il peut ou non jouer avec ses congénères. Pendant le confinement, lorsque les propriétaires n’ont plus eu accès aux écuries, on a bien vu le drame que cela a été. Les chevaux, qui de par leur nature sont tout à fait capables de survivre en autonomie, se sont retrouvés parfois coincés dans des boxes, avec quasiment plus personne pour venir s’occuper d’eux comme il l’aurait fallu. On peut se demander s’il est éthique de garder nos chevaux dans un tel état de dépendance, alors qu’ils peuvent être parfaitement autonomes en vivant à l’extérieur.
Limiter les contraintes
Même dans les systèmes censés améliorer leur bien-être, leur autonomie et leur libre choix n’est parfois pas suffisamment pris en compte. C’est par exemple le cas de certains aménagements qui peuvent parfois être bien plus contraignants qu’il n’y parait. Cela peut par exemple être le cas de certains aménagements de paddocks avec des « pistes » semées d’embuches. Au lieu de laisser en accès libre toute une pâture, ce type d’aménagement préconise de créer avec des clôtures des pistes qui conduisent à des points stratégiques : aires de repos, point d’eau ou de nourriture. Parfois ces pistes sont « agrémentées » de rondins, de grosses pierres, ou encore recouverts de cailloux, l’idée étant de reproduire la vie en conditions naturelles. Souvent l’accès à l’herbe est volontairement très limité. Ces systèmes ont l’immense avantage, par rapport au box de favoriser la vie sociale, et les déplacements. C’est donc une vraie bonne idée lorsque c’est une alternative au box, ou pour des chevaux en surpoids. Cependant, lorsque les aménagements sont poussés à l’extrême, les contraintes deviennent si forte, que cela finit par nuire à leur bien-être. Mettons-nous à leur place : est-ce que nous, nous aimerions qu’au bureau, la fontaine à eau soit au sous-sol, les toilettes au dernier étage sans ascenseur, et que la machine à café soit uniquement accessible via un chemin caillouteux ? Pas sûr que les chevaux apprécient davantage ces « aménagements naturels », qui il faut bien l’avouer, font parfois plus plaisir à celui qui les a imaginés, qu’aux chevaux qui doivent les utiliser. On a d’ailleurs pu constater que certains chevaux diminuaient drastiquement leur consommation d’eau dans ces systèmes, avec des risques de problèmes de santé à la clé. Il ne faut pas en tirer de généralités sur ces systèmes, qui peuvent être excellents, mais bien garder à l’esprit que ce sont les chevaux eux-mêmes qui doivent nous dire si oui ou non cela leur convient et que les observer est la clé. Et ne pas oublier que les chevaux ont complétement l’intelligence de savoir quand ils veulent marcher, quels trajets ils veulent emprunter et quelles pistes ils souhaitent eux-mêmes tracer.
Pouvoir anticiper
Un point commun avec nous : les chevaux ont besoin d’anticiper. Or, si on se met à la place des chevaux, on se rend compte qu’on ne respecte pas tellement ce besoin. Passez une journée dans la peau de votre cheval et vous remarquerez que plein d’évènements arrivent sans prévenir : un cavalier qui débarque en pleine sieste pour vous faire sauter des obstacles, un autre qui vous enferme dans un camion pour vous emmener en terre inconnue sans savoir s’il a pris l’option retour… En éthologie, on appelle cela perdre le contrôle de la situation. Le contrôle de la situation est pourtant un élément déterminant à une bonne santé mentale. En résumé, moins vous avez de contrôle sur ce qui vous arrive et moins vous pouvez prévoir et anticiper, plus vous risquez de développer des pathologies mentales et physiques. Ce phénomène a été largement étudié chez
Passez une journée dans la peau de votre cheval et vous remarquerez que plein d’évènements arrivent sans prévenir.
l’animal. Si c’est accentué, cela peut créer de l’anxiété généralisée voire au final de la résignation acquise et de la dépression. Faites-vous « malmener » de la sorte pendant quelques heures en demandant à quelqu’un de gérer votre emploi du temps sans jamais vous avertir de ce qui va vous arriver ou de là où il va vous emmener. Vous allez voir, c’est une vraie source de stress !
L’aimer pour ce qu’il est
Au final, je dirais qu’aimer son cheval c’est l’aimer pour ce qu’il est et ne surtout pas l’infantiliser en le prenant pour un bébé dépendant, ou de jouer avec comme s’il s’agissait d’une poupée. On a trop tendance à vouloir l’inclure dans notre monde, au lieu d’essayer de s’inclure dans le sien. Le cheval est un être autonome, sensible, intelligent, qui a des compétences sociales que l’on ne soupçonne même pas. L’aimer c’est apprendre à le connaître, à connaître ses besoins et à les respecter.
Attention à l’anthropomorphisme !
L’anthropomorphisme, c’est notre tendance à attribuer au cheval nos propres sentiments, idées ou besoins. En bref, c’est considérer le cheval comme s’il était un être humain. Il faut au contraire faire l’inverse : se mettre à la place du cheval, au lieu de le mettre à notre place.
Peut-on se substituer à des copains chevaux ?
Parfois, on pense pouvoir compenser par notre présence l’absence d’autres chevaux. Mais rien ne peut remplacer un congénère de la même espèce. Que diriez-vous de passer votre vie avec un « ami » d’une autre espèce, par exemple une chèvre ou un cochon ? Les échanges risquent d’être assez limités. Et à moins d’avoir eu par le passé de lourdes déceptions, en général, on préfère quand même la compagnie humaine. Sans compter, qu’un compagnon humain ne vit pas 24h/24 avec son cheval, qui le reste du temps, se retrouve tout seul.
Quid des filets à foin petites mailles ?
Les « filets petites mailles » sont des filets dans lesquels on met le foin, et dont le tissage est très serré de telle sorte que le cheval a beaucoup de mal à tirer les brins et met beaucoup de temps à manger. Ces filets peuvent être utiles dans des cas bien spécifiques comme pour certains poneys obèses, qui ont besoin de maigrir. Cependant, beaucoup de personnes les utilisent aussi pour des chevaux qui n’ont pas besoin d’être restreints, mais juste dans l’idée d’améliorer leur bien-être en augmentant le temps passé à manger, sans distribuer plus de foin. On peut s’interroger sur l’impact réel sur le bien-être. C’est un peu comme si, pour notre bien, on nous contraignait à manger avec des baguettes alors qu’on ne sait pas les utiliser : oui, nous allons manger lentement, mais cela risque fort de nous énerver plutôt que d’améliorer notre confort. Sans compter que ces filets peuvent abimer les gencives des chevaux, ou favoriser les mauvaises positions de tête pour manger, causant des douleurs cervicales. Il faut donc utiliser ces dispositifs au cas par cas, et hormis pour certains chevaux en surpoids, il est préférable d’augmenter les quantités de foin afin qu’ils en aient en continu, et sans contrainte d’accès.